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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°21, 21 mai 2012  >  «Le développement actuel menace les fondements d’une société démocratique et d’une culture de la réflexion vivante» [Imprimer]

«Le développement actuel menace les fondements d’une société démocratique et d’une culture de la réflexion vivante»

Déclaration de Cologne concernant «l’image que l’université se fait d’elle-même»

par des enseignants à l’Université de Cologne, le 24 novembre 2009

L’aspiration par l’économie de tous les domaines de la vie ne s’arrête pas aux portes de l’université. Le processus des réformes actuelles menace gravement l’idée et la mission sociale de la haute école: la différenciation entre l’université, les hautes écoles spécialisées et les offres d’études par des discounters (Aldi) ou des marchés électroniques (Saturn) est nivelée. Un résultat défavorable à l’université pourrait même résulter d’une comparaison, puisque les autres offrants peuvent effectivement remplir la promesse d’une qualification professionnelle. C’est une occasion suffisante pour rappeler l’image originelle que l’université se fait d’elle-même. Elle se fonde sur les principes d’universalité, d’autonomie ainsi que d’une volonté incorruptible de la vérité. Bien qu’au cours de son histoire, il y eût toujours eu des manquements et que cette exigence n’ait pas toujours été satisfaite, elle put, précisément grâce à son indépendance, répondre de façon essentielle à ses responsabilités culturelles et sociales. Ce qui est dramatique, c’est qu’aujourd’hui, l’université est apparemment prête à abandonner sans résister cette exigence et même d’accélérer servilement son démantèlement.
Le développement actuel menace les fondements d’une société démocratique et d’une culture de la réflexion vivante. Au moyen du catalogue présenté ici, des enseignants de l’Université de Cologne veulent déclarer leur solidarité avec les objections d’étudiants et d’élèves dans le cadre de la grève de l’enseignement et appeler à une dispute publique concernant (l’idée de) l’université et son évidente liquidation.

§ 1    Nous exigeons la fin de l’épuration épistémologique de l’université!

Au cours du processus de Bologne, l’université vit une délégitimation progressive de la pensée réfléchie face au savoir fonctionnel-opérationnel. Le programme d’études suit actuellement la logique de l’orientation professionnelle et de l’acquisition de compétences, alors que la systématique spécifique et l’orientation de la recherche passent à l’arrière-plan ou ont déjà été totalement remplacées. Cela se reflète aussi dans la tendance de la marginalisation ou de la suppression de petites matières et domaines d’études. Dans l’ensemble, cela signifie une réduction inappropriée de l’idée d’université et prive les étudiants de la possibilité d’acquérir une formation académique.
L’exigence d’une formation universelle et littéralement universitaire ne doit pas être abandonnée. La civilisation moderne se base sur une recherche réfléchie qui ne vise pas d’objectif précis et théoriquement fondamentale. Cette recherche ne s’oppose pas à une exigence d’utilité, mais au contraire permet des possibilités d’applications conscientes de ses responsabilités.

§ 2    Nous exigeons l’abandon des processus modulés de programmes d’études BA/MA!

La modulation a provoqué une scolarisation de l’enseignement universitaire qui permet à peine un espace pour des études spécifiques orientées. Les filières universitaires BA/MA exigent trop en quantité et pas assez en qualité en visant surtout la compétence et en rendant impossible la réflexion nécessaire. La culture ne peut pas être modélisée, mais elle découle d’une conception de sens à acquérir individuellement. En fait, la qualification professionnelle promise n’est pas acquise, de même il n’y aucune formation correspondante aux critères scientifiques systémiques.
Il ne s’agit donc pas d’une optimisation des filières universitaires, mais de leur abandon. Les étudiants doivent être redirigés avec effet immédiat vers les anciennes filières de diplômes universitaires et d’examens d’Etat – et cela selon des procédés de reconnaissance non bureaucratiques. La réorganisation formelle et de fond des filières d’études ne s’en trouve pas résiliée. Mais une telle réorganisation doit se faire de façon démocratique et avec la participation des étudiants, des enseignants et des autres responsables.

§ 3    Nous exigeons la re-démocratisation de l’université!

A part quelques professeurs et étudiants, des «représentants des milieux professionnels», en grande partie anonymes, ont grâce à la création des agences d’accréditation et du conseil d’accréditation qui les accrédite, été chargés de la compétence de décision pour les filières universitaires de près de deux millions d’étudiants en Allemagne. Par l’installation du conseil de l’université, composé de personnes pour la plupart extérieures à l’université, on a en fait ravi son pouvoir au sénat de l’université en tant qu’autorité législative. Les séances du conseil de l’université se déroulent par ailleurs sous exclusion du public. Des décanats établissent de plus en plus des structures top-down. La souveraineté des acteurs académiques a été réduite. De plus en plus de travaux de recherche et de qualification se font sur demande de la politique et de l’économie afin de prévenir par des justifications pseudo-scientifiques des interventions possibles et ce faisant de légitimer des décisions. En fait, les résultats des recherches sont déjà déterminés avant le début de la recherche. Les thèmes et les méthodes sont ainsi soustraits à l’autorité des chercheurs.
Pour ne pas pervertir la liberté de la recherche par des intérêts particuliers, il appartient aux seuls scientifiques de légitimer, initialiser et garantir des présentations provenant des institutions scientifiques. C’est pourquoi les procédés de décision internes de l’université doivent être rendus accessibles au contrôle universitaire officiel de façon à ce qu’ils puissent être interrogés sur leur sens et leur but. Cette structure de réflexion et de communication doit se baser par principe sur la participation, le dialogue et l’argumentation et il respecte également les positions de minorité. Il ne saurait y avoir d’utilisation de forces de police contre ceux qui cherchent de dialogue avec de bons arguments!
La démocratie rend possible la participation de chacun aux processus d’organisation qui concernent la communauté. L’université représente la base d’une pareille société. La machinerie de l’accréditation, l’institution du conseil de l’université et les structures top-down dans les facultés dé-démocratisent l’université. Il faut par conséquent les abolir.

§ 4    Nous exigeons la suppression des frais d’inscription à l’université!

Les frais d’inscription à l’université sont socialement injustes. Celui qui doit gagner ces frais par un travail temporaire étudie moins bien. Celui qui, en raison de son origine sociale, doit prendre un crédit, paie en réalité plus que ceux qui sont mieux lotis. Les frais d’inscription renforcent par ailleurs la précarisation des apprenants et font baisser la qualité des études, parce qu’il n’est pas permis de les utiliser pour la formation structurelle (places à durée indéterminée). Par conséquent, les frais d’inscription à l’université doivent être supprimés et remplacés par des contributions de l’Etat.

§ 5 Nous exigeons la fin de la disqualification et précarisation des enseignants!

Au cours du processus de Bologne, la situation des enseignants s’est détériorée. Le nombre élevé d’heures à donner et la limitation des postes compliquent la qualification et créent une situation précaire pour la relève scientifique. Ce déficit n’est pas compensé par de soi-disant postes de professeurs juniors et la tendance renforcée de la dissertation et de l’habilitation cumulatives, mais au contraire de plus en plus aggravé.
Ceci fait avancer d’un côté la divergence entre la recherche et l’apprentissage et d’autre part ça contribue au caractère de «tapis rapiécé» des études parce que les apprenants en situation d’occupation principale à durée déterminée ont souvent déjà disparu quand les étudiants veulent être examinés sur des sujets qu’ils ont préparés. Ainsi, des examinateurs titulaires doivent examiner des matières qu’ils n’ont pas enseignées eux-mêmes.

§ 6 Nous exigeons que les responsables du rectorat et du décanat prennent leurs responsabilités en cherchant le dialogue avec les critiques et les personnes concernées et qu’ils entreprennent les rectifications appropriées!

L’intervention dans la culture académique qui a été effectuée au nom de soi-disantes réformes est sans précédent par sa radicalité. Ses effets sont problématiques pour l’actuelle et les futures générations d’enseignants et d’étudiants. La transformation de l’université n’entreprend rien de moins que la dissolution de la culture de formation d’émancipation qui remonte au Siècle des Lumières. Elle cause des dégâts incalculables pour la société toute entière sur les plans scientifique, culturel et économique. Le report de responsabilité en renvoyant à la compétence à d’autres instances (rectorat, Land, Etat fédéral, UE) ne saurait être accepté.
Toutes les personnes concernées par l’université ont le droit et le devoir de participer au renouvellement interne de celle-ci de façon responsable, c’est-à-dire en faisant passer l’intérêt de la matière (à enseigner) avant les intérêts particuliers.

§ 7    Finalement nous exigeons la garantie écrite de la liberté académique véritable dans la recherche, l’enseignement et les études et une profession de foi de l’université en faveur de sa mission de formation!

La réduction économistique des études selon les critères supposés des exigences du marché du travail sert uniquement des intérêts particuliers. La culture en revanche sert toujours l’intérêt général de la société. L’université ne réalise cette tâche qu’en liberté: elle ne doit pas être considérée ni par les administrateurs, ni par les enseignants et les étudiants comme une entreprise du secteur tertiaire. La recherche libre, sans recherche dans la précipitation de fonds fournis par des tiers ni doctrine de recyclage, est la condition préalable pour une croissance de la connaissance et pour l’innovation. Des étudiants formés de façon complète ont du succès dans n’importe quelle profession et ils deviennent des créateurs conscients de leurs responsabilités dans le domaine culturel et dans la société.    •

Source: www.bildungsstreik-koeln.de/koelner-erklaerung   
(Traduction Horizons et débats)