«Le droit à une vie dans la dignité et la bienséance»par Thomas KaiserLa crise financière et économique a quasiment disparu de la une des quotidiens, d’autres thèmes ayant pris le relais dans les médias, sauf en cas d’événements extraordinaires comme le développement en Grèce. Alors, les nouvelles, les reportages se déchaînent, on publie l’avis d’experts et la propagande médiatique marche à plein régime. Mais, après la lecture, le lecteur n’est pas plus avancé. En plus, les conséquences humaines de ce désastre trouvent à peine place dans le monde officiel des informations. Marc Chesney présente sans détour les machinations des sociétés financières et leurs impact sur la société, et comme mentionné dans le titre sur la démocratie, ce qui concerne tous les pays. Dans ses investigations, Marc Chesney prend une position éthique qu’on ne peut que souhaiter surtout dans le domaine des finances. Son indignation sur la cupidité des institutions bancaires et leurs collaborateurs, ainsi que sur le manque de responsabilité est bienfaisante et demande l’action politique mais aussi éducative car un changement de convictions éthiques peut difficilement être atteint avec des lois, bien qu’elles soient très importantes. Dans les écoles et dans les Hautes écoles (d’économie) s’impose une approche différente, davantage d’esprit de solidarité, de bien commun et d’humanité, d’éthique et finalement d’éducation démocratique. Des limites à la cupidité débridéeDans l’introduction l’auteur compare le début de la Première Guerre mondiale avec la guerre actuelle dans les places financières. Leurs armes sont surtout les gigantesques bulles spéculatives qui ont un effet dévastateur et précipitent des économies nationales tout entières dans le gouffre. «Actuellement la jeunesse européenne ne meurt plus en masse dans les tranchées ou sur les champs de bataille. Elle est pourtant enrôlée dans cette forme de guerre qu’est une guerre financière, dont elle pâtit le plus souvent.» (p. 7) Le nombre très élevé de jeunes chômeurs reflètent les conséquences désastreuses de l’économie monétaire débridée sur les marchés financiers. «Sauver le système des banques au frais du contribuable»A plusieurs reprises Chesney fait des comparaisons entre la rhétorique de guerre et la «propagande financière». «Lors de la Première Guerre mondiale les nations, placées sur un piédestal, exigèrent des sacrifices. […] Aujourd’hui les marchés financiers, tout comme déifiés eux aussi, exigent une satisfaction perpétuelle et les sacrifices qui lui sont liés.» (p. 18) Les sacrifices sont d’abord financiers. «Le sud de l’Europe est le plus souvent exsangue [avant tout la Grèce], ayant à pâtir de plans d’austérité brutaux.» (p. 18) Mais ce n’est pas seulement dans ces pays-là que les gens souffrent. En Allemagne, désignée comme locomotive économique par excellence, presque 12 millions d’Allemands vivent au-dessous du seuil de pauvreté, ce sont environ 15% de la population. C’est un scandale. En Italie ce sont 12%. Vu ces chiffres, la question se pose de savoir où cet argent va avec lequel les banques centrales ont renfloué le système financier? Pourquoi les gens concernés n’en ont-ils pas profité? Dans la gueule de qui a-t-on jeté ces sommes exorbitantes? «Tenter de satisfaire les marchés financiers c’est traduit par le renflouement du système bancaire, aux frais du contribuable, sans exiger de véritables contreparties.» (p. 20) Les sommes avec lesquelles on a essayé de sauver les banques européennes sont exorbitantes. «Entre octobre 2008 et octobre 2011 les Etats européens ont dépensé 400 milliards d’euros, soit 37% de leur PIB pour secourir leurs systèmes bancaires.» (p. 20) Mais ni l’économie ni les citoyens trompés n’ont jamais vu la couleur de cet argent. Dans une grande banque, l’argument dominait qu’il fallait subir cette crise pour pouvoir continuer après exactement dans le même style qu’avant la crise. Ce qui veut dire «continuer comme avant», Chesney l’explique: «Les montants déversés à grande échelle dans le système financier par la BCE ne s’investissent pas réellement dans l’économie. Les priorités des grandes banques sont manifestement ailleurs. Au lieu de se concentrer sur ce que devrait être leur activité principale, soit le prêt de capitaux aux entreprises européennes ayant des projets d’investissements rentables, elles s’impliquent dans des activités rémunératrices que sont des arbitrages financiers et la diffusion de produits financiers complexes et trop souvent toxiques. […] Ces liquidités introduites dans le secteur financier génèrent des rendements boursiers élevés alors que l’économie reste en crise.» (p. 21/22) «Les grandes banques des Etats-Unis sont en pointe en ce qui concerne la création de produits douteux et toxiques»La deuxième vague de mondialisation est marquée avant tout par le néolibéralisme de provenance états-unienne. La puissance militaire des Etats-Unis et la dominance du dollar leur permettent de vivre au-dessus de leurs moyens. «Les Etats-Unis jouent également un rôle clé dans le cadre de cette seconde globalisation. Ils incarnent un autre Eldorado: la référence en matière de néolibéralisme débridé. Depuis les années 1980, Wallstreet et les grandes banques américaines battent la mesure sur le plan financier tant en termes de montages douteux que de produits toxiques. Par ailleurs, la puissance militaire des Etats-Unis et la dominance du dollar assurent un avantage certain à ce pays et lui permettent de vivre encore au-dessus de ses moyens.» (p. 37) «L’économie a besoin de dirigeants conscients de leurs responsabilités»Les différences de fortune, de revenus et de propriété parmi les êtres humains sont énormes. Alors que presque 3 milliards d’êtres humains ont moins de deux dollars par jour, selon «le classement de l’agence Bloomberg du 2 janvier 2014 les 300 milliardaires les plus riches du monde […] représentent une richesse totale de l’ordre de 3700 milliards.» (p. 45) «Ils sont les symptômes de l’insatiable boulimie de la sphère financière et de la logique que ce secteur impose à celui de l’économique. Cette pathologie est humainement préjudiciable, car contraire aux principes de base inculqués à la plupart des individus, dès leur enfance, et ceci quelles que soient leur origine, leur culture ou leur éventuelle religion et qui fondent leur éducation.» (p. 45) On peut constater de plus en plus de salaires de managers exorbitants depuis la propagation du néo-libéralisme. Des sommes en millions à deux chiffres, sont versées même si la société est dans les chiffres rouges. Ici on ne peut plus parler de responsabilité mais d’un développement dans lequel seul l’auto-enrichissement prime. «C’est de dirigeants conscients de leur responsabilités non seulement vis-à-vis de leurs actionnaires, mais aussi vis-à-vis de leurs salariés, clients et de la société en général, dont l’économie a besoin.» (p. 46) «La main invisible d’Adam Smith est, dans la sphère financière, toujours plus inopérante»La crise financière a montré clairement que la croissance des économies nationales n’est pas due à une économie réfléchie et durable mais à l’économie de casino, source de bénéfice immédiat mais sans planification à long terme pour le bien des générations futures. Ainsi Chesney remarque: «Finalement la Main Invisible d’Adam Smith est, dans la sphère financière, toujours plus inopérante. Tenter de satisfaire ses propres intérêts est de moins en moins compatible avec ceux de la société.» (p. 49) «Le secteur financier devrait être au service de l’économie»Les excès d’un capitalisme déchaîné comme Marc Chesney le décrit et le fait que jusqu’à nos jours on n’ait pas réussi à effectuer un vrai changement dans ce domaine mais qu’on se soit retrouvé dans les mêmes excès de spéculation, sont révoltants. Il y a déjà des années, la direction de la banques hypothécaire américaine Freddie Mac et Fanny Mae a fait comprendre qu’ils avaient de nouveau autant de papiers pourris dans leur portfolio qu’avant la crise financière mais que cette fois ce n’était pas si grave car on avait la garantie de l’Etat. Il est évident qu’ainsi rien ne changera, que nous devons nous attendre à la prochaine crise et que les contribuables seront à nouveau priés de passer à la caisse. Dans son livre Marc Chesney ne se borne pas uniquement à l’analyse de la réalité qui n’est en partie pas très réjouissante, mais il essaie dans le dernier chapitre de formuler différentes approches d’une solution. Il formule des exigences très claires: «Le secteur financier devrait être au service de l’économie et non la dominer, comme c’est le cas actuellement.» (p. 95) En plus, il voit dans la clause «too big to fail» un danger qui donne aux banques peu de raisons d’arrêter les affaires à risque. En outre, la satisfaction d’intérêts spéciaux des grandes banques et des fonds d’investissement nuit à l’économie et au bien commun. «Une véritable démocratie doit être instaurée»Le seul moyen efficace contre l’arbitraire des marchés financiers et une politique qui se sent davantage obligée à l’économie qu’aux citoyennes et citoyens, est la démocratie directe, parce que le peuple a toujours la possibilité de saisir le référendum lorsqu’il s’agit de lois ou bien de procéder avec des initiatives contre le comportement des banques. L’initiative contre les rémunérations abusives lancée par Thomas Minder est un exemple clé comment une initiative de gens du même bord peut être lancée pour que le peuple puisse finalement décider. Dans d’autres pays cette possibilité n’existe malheureusement pas (encore); selon Chesney elle devrait absolument être créée. «Instaurer une véritable démocratie comme c’est le cas par exemple en Suisse pour que le citoyen puisse proposer que des thèmes sujets à controverses soient débattus et finalement tranchés par le biais du référendum. […] Il est inconcevable que dans ces pays soi-disant démocratiques, des questions essentielles – qu’elles soient de nature politiques, énergétiques, sociales, économiques ou financières – ne soient pas traitées démocratiquement.» (p. 98) «Les dirigeants qu’ils soient de gauche ou de droite se doivent d’appliquer une seule politique, celle des marchés financiers. Cela s’apparente à une forme de dictature. Début 2011, Georgios Papandreou, encore premier ministre grec, eut l’audace d’envisager un référendum pour que ces concitoyens puissent s’exprimer au sujet de l’aide financière qui devait être apportée à leur pays et des plans d’austérité l’accompagnant. Quelques jours plus tard, il avait perdu le pouvoir. Dans un cadre présupposé démocratique, il serait souhaitable que les citoyens non seulement grecs mais aussi allemands, français aient voix au chapitre sur ces questions qui les concernent directement et qu’ils puissent décider de l’utilisation des fonds publics!» (p. 26/27) «Les dérapages budgétaires de la Grèce ont en partie été camouflés en 2000 grâce à l’utilisation d’un produit financier complexe (le swap de devises) mis en place par un des acteurs importants de ces marchés, la banque Goldman Sachs en l’occurrence. [Ce montage douteux a coûté à la Grèce environ 300 millions d’euros qui se sont transformés en autant de commissions pour cette banque.] Le montant de dette ainsi dissimulé a contribué à ce que la Grèce satisfasse en apparence les critères de Maastricht lui permettant d’intégrer la zone euro, ce qui n’aurait pas dû être le cas. Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne, fut de 2002 à 2005 vice-président de Goldman Sachs Europe. Force est de constater qu’il n’a jamais condamné publiquement ces opérations. Loukás Papadímos, alors gouverneur de la Banque centrale grecque et premier ministre de ce pays courant 2011, fut un maillon clé de la transaction.» (p. 28/29) |