L’euro, monnaie imposée, n’est pas sauvé –On assiste à une succession de catastrophespar Bruno BanduletLorsque les députés du Bundestag allemand ont approuvé en mai dernier le «plan de sauvetage» de l’euro sans en connaître les détails et le coût définitif, ils s’imaginaient encore que la simple présentation des instruments dispenserait de les mettre en œuvre. Or il apparaît maintenant que la crise de la monnaie commune n’était pas terminée. Elle ne faisait que commencer. Les trois principes sur lesquels repose l’euroOn sait que l’idée d’un euro fort reposait sur trois principes. Premièrement sur le fait que le déficit budgétaire devait être inférieur à 3% du PIB et la dette publique (= ensemble des emprunts contractés par l’Etat) inférieure à 60% du PIB. (Si ces «critères de convergence» avaient été respectés, l’euro aurait pu fonctionner mais dès 1999, au moment de son introduction en tant que monnaie scripturale, on ne les a pas pris au sérieux.) Deuxièmement, le Traité contient la clause de no bail-out qui interdit à un pays de la zone euro de répondre des dettes d’un autre pays. Et troisièmement, la Banque centrale européenne devait être indépendante de toute influence politique. Elle n’a pas le droit d’acheter des emprunts d’Etat et de mettre ainsi en circulation de l’argent «frais», c’est-à-dire de faire fonctionner la planche à billets. Ces trois principes ont été sacrifiés à l’opportunisme politique. Si les gouvernements avaient été fidèles au Traité, la zone euro aurait probablement éclaté dès le printemps dernier. Légende du plan de sauvetage de 750 milliards d’eurosDepuis lors, on essaie de maintenir à flot cette monnaie imposée et de gagner du temps à l’aide d’un grand bluff. Bluff facile à percer à jour si l’on examine de près le plan de sauvetage décidé en mai dernier: Les déficits publics ne représentent qu’une partie du problèmeEtant donné les dettes colossales accumulées avant 1999 et depuis lors dans la zone euro, les 472,5 milliards ne sont à la rigueur qu’une goutte d’eau dans la mer. A la fin de 2009, les dettes de l’Irlande s’élevaient à 104,6 milliards d’euros, celles de la Grèce à 273,4 milliards, celles de l’Espagne à 559,6 milliards, celles du Portugal à 125,9 milliards et celles de l’Italie à 1760,7 milliards; et elles continuent d’augmenter partout. Les promesses d’aide n’y changeront rien. Avec le plan de sauvetage de l’Irlande décidé le 28 novembre qui s’élève à 85 milliards (avec une participation irlandaise de 17,5 milliards), la dette irlandaise doublera brusquement. La dette de l’Espagne a également un caractère explosif: si l’on ajoute les anciennes dettes qui arrivent à échéance et les déficits courants, le pays a des besoins de trésorerie de presque 200 milliards (environ 18% du PIB) pour 2011 et d’un peu moins de 150 milliards pour 2012. En 2011, l’Espagne aura besoin de beaucoup plus d’argent que la Grèce, l’Irlande et le Portugal réunis. Chaque crédit augmente la dette et son service devient plus difficile. Ainsi l’insolvabilité est d’autant plus coûteuse qu’elle se prolonge. Cela dit, les chiffres mentionnés ne concernent que les dettes publiques, et non celles du secteur particulier, y compris des banques qui, dans des pays comme l’Irlande ou l’Espagne, représente le plus grave problème. Les dettes publiques ne représentent donc qu’une partie de ce sombre bilan. Depuis longtemps, la zone euro ne souffre pas seulement d’une crise des dettes publiques mais également d’une crise des dettes des particuliers et des banques et, dans le cas de l’Irlande et de l’Espagne, d’une crise immobilière encore plus grave que celles des Etats-Unis. Et l’on ne cesse de nous mentir, de nous abreuver de belles paroles. Le test de résistance bancaire de l’été dernier était déjà incomplet et manquait de sérieux. Il avait pour objet de rassurer les marchés, ce qui a fonctionné pendant quelque temps. Même les banques irlandaises pourries l’ont réussi! Lorsqu’une «bad bank» a été créée en Irlande, la National Assets Management Agency (Nama), qui rachetait aux banques du pays leurs crédits immobiliers pourris, celles-ci ont prétendu qu’elles avaient prêté en moyenne 77% des sommes du projet. Or on sait maintenant qu’il s’agissait de 100% de ces sommes. Les investisseurs, eux, ont été plus méfiants que la Nama. Depuis des mois, ils retirent leur argent des banques irlandaises et, ce faisant, ils aggravent la crise. Une ruée sur les banques tout à fait classique a menacé, entraînant un effondrement du système financier. Le désendettement est une mission impossibleQu’est-ce que c’est que cette monnaie qui doit constamment être sauvée? Et comment? Pour l’essentiel, il reste les moyens suivants: de strictes mesures de rigueur ont déjà commencé à être prises en Irlande et dans les Etats du Sud de l’Europe. Il n’est pas prévu de réduire la dette mais on va la laisser croître plus lentement qu’elle le ferait sans les coupes dans les budgets sociaux et les hausses d’impôts. Mais même ainsi l’effet est déflationniste et dépressif. Toutefois, l’idée suivante est juste: normalement, la Grèce, par exemple, devrait opérer une dévaluation de 30% pour rester compétitive. Comme ce n’est plus possible après l’abandon de la drachme, les salaires et les prix devraient baisser de 30% pour obtenir le même effet. Mais on est face à un cercle vicieux: les mesures de rigueur ont un effet négatif sur l’économie, ce qui entraîne une baisse des recettes fiscales et le déficit public augmente au lieu de diminuer. Pour pallier ce phénomène, le gouvernement devrait réaliser encore plus d’économies, mais il ne peut le faire que d’une manière limitée s’il veut éviter des troubles sociaux et une situation révolutionnaire. Dans ces circonstances, le désendettement est une «mission impossible», écrivait la Neue Zürcher Zeitung le 22 novembre. Il n’y a rien à ajouter à cela, si ce n’est peut-être qu’à la périphérie de l’Europe, les ressentiments à l’égard de l’Allemagne augmentent maintenant. Les Allemands sont considérés comme des «maîtres de discipline» qui condamnent les pays endettés à une dépression qui durera des années et à l’appauvrissement. L’euro a ceci de fatal qu’il a déclenché des tensions sociales qui menacent maintenant de dégénérer en conflits interétatiques. La mise en garde, autrefois, des adversaires de l’euro selon laquelle il diviserait l’Europe au lieu de la cimenter se révèle juste. Le coût d’une union de transfert n’est pas maîtrisableLa seconde solution, préférée par la Commission européenne, consiste à transformer la zone euro (voire l’UE tout entière) en une union de transfert impliquant une péréquation financière entre pays riches et pays pauvres à l’image de l’Allemagne et de ses seize Länder. Ce genre de nivellement des niveaux de vie européens correspondrait tout à fait à la logique de l’européanisme, de la centralisation et de la mise au pas. Les contribuables encore solvables des pays du noyau dur devront se saigner pour que la périphérie puisse conserver l’euro. Cela pourrait coûter des sommes colossales. Holger Steltzner écrivait dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 30 octobre dernier: «Si, dans cette crise d’endettement, on en venait à des transferts financiers, il n’y aurait plus ni limites ni contrôle.» L’Italie serait un cas d’urgence absolueLa troisième solution serait que certains Etats membres de la zone euro en sortent volontairement, qu’ils dévaluent leur nouvelle monnaie et qu’ils réduisent leurs dettes dans le cadre d’une procédure de faillite. C’est précisément ce que redoutent les marchés financiers, d’où le bradage des emprunts d’Etat grecs et irlandais dont les intérêts atteignent des taux exorbitants. Toutefois, il est juste que la sortie des candidats à la faillite renforcerait l’euro. Mais qu’arrivera-t-il si la Belgique et l’Italie sont en difficulté? Le gouvernement Berlusconi est pratiquement paralysé; il n’a pas entrepris les réformes structurelles nécessaires et le déficit public doit être de plus en plus financé par l’étranger. Dans les années 1990, avant l’adoption de l’euro, l’Italie s’est déjà trouvée au bord de la faillite. Aujourd’hui, son endettement est trop important pour qu’on puisse la «sauver». Il reste à espérer que les marchés financiers détourneront les yeux le plus longtemps possible et ignoreront encore un certain temps le fait que la situation du pays ne cesse de s’aggraver. Un «processus insidieux»La solution la plus élégante, mais aussi la plus invraisemblable actuellement serait que l’Allemagne sorte de l’union monétaire. Le nouveau mark s’apprécierait immédiatement et le reste de la zone obtiendrait précisément ce dont elle a besoin: une dévaluation et le rétablissement de sa compétitivité. Mais comme Berlin n’aime en principe pas agir sans Paris, la France devrait suivre et il en résulterait une division de la zone euro en un bloc à monnaie solide et un autre à monnaie faible. On aurait ainsi un euro du Nord et un euro du Sud. Les exportations allemandes en souffriraient momentanément, l’économie intérieure en serait renforcée, le fort pouvoir d’achat de l’euro à l’étranger rapporterait une sorte de dividende social. Cela n’irait certes pas sans difficultés. La division de l’euro ébranlerait fortement les Bourses et les marchés de devises mondiaux et l’on peut comprendre que les gouvernements redoutent cette option. En outre, la question se pose de savoir si la France ferait partie de l’euro du Nord ou de celui du Sud. Il n’existe pas de recette miracle: il faut choisir entre différents maux. On ne fait que retarder l’heure de véritéAngela Merkel a déclaré que si l’euro échouait, c’est l’Europe qui échouait. C’est absurde car l’UE n’est pas identique à l’Europe et que la zone euro ne recouvre même pas l’UE. Les Etats de l’UE les plus solides n’en font pas partie: la République tchèque avec une dette de 35,4% du PIB, le Danemark avec 41,6% ou la Suède avec 42,6%, sans parler de la Norvège et de la Suisse, se portent très bien en dehors de la zone euro et de l’UE. Toutes ces monnaies survivront à l’euro et entrent en ligne de compte, en plus de l’or, pour les investisseurs allemands qui veulent limiter les risques de leur portefeuille. Dimanche noir pour BerlinLe 28 novembre, lorsque les ministres des Finances de l’UE et le FMI sont tombés d’accord sur l’aide de 85 milliards à l’Irlande, d’autres mesures de sauvetage de l’euro ont été décidées. Les marchés financiers ont réagi avec scepticisme bien que la Banque centrale européenne ait à nouveau augmenté ses achats d’emprunts d’Etat en euro. Ce qui a été décidé ce jour-là représente une grave défaite du gouvernement Merkel. Ce à quoi les investisseurs devraient faire attentionNous devons considérer le drame de l’euro comme une crise qui va durer des années, avec des hauts et des bas dont on ne voit pas la fin et qui pourrait brusquement aboutir à un effondrement de la monnaie, du système financier et des marchés obligataires. En particulier: Source: Gold & Money Intelligence, no 358, décembre 2010–janvier 2011 Echec de l’euroCe qui avait été annoncé par de nombreux spécialistes de la finance est devenu réalité. L’euro, monnaie d’Europe du Sud et du Nord a échoué. La Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie ont perdu beaucoup de leur compétitivité. L’euro ne permet plus de dévaluer une monnaie nationale pour stimuler les exportations. En outre, la globalisation a un effet de plus en plus négatif sur les différentes économies. Aussi les coûts salariaux sont-ils devenus la mesure de toutes choses: on préfère importer des produits bon marché des pays à bas salaires car la production indigène n’est plus rentable (USA). Les acteurs globaux ne se préoccupent ni de protection de l’environnement ni des droits de l’homme car la seule chose qui compte est le profit. Source: Interinfo. Internationaler Hintergrundinformationsdienst für Politik, Wirtschaft und Militär, 384, décembre 2010 Le SPD «essaie de gagner du temps et fignole des compromis formulés de manière vague»Le Cercle de Seeheim, qui regroupe quelque 50 députés SPD du Bundestag à la pensée traditionnelle, est actuellement dirigé par le député de Basse-Saxe Garrelt Duin. Il a rédigé un document dans lequel les membres dudit Cercle critiquent sévèrement leur parti et sa politique actuelle. Ils se montrent plus sévères à l’égard de la direction du SPD que ne peut le faire actuellement la concurrence! Source: Vertrauliche Mitteilungen du 14/12/10 Et maintenant également la BelgiqueTandis que tous les politiques et médias européens ont les yeux fixés sur l’Irlande et la crise qui s’y dessine, la catastrophe suivante se prépare plus près de nous. Avec une dette publique dépassant actuellement 100% du PIB et une crise gouvernementale qui dure depuis le mois d’avril de cette année, la Belgique se trouve au bord de la faillite. Les primes des couvertures de défaillance (CDS) des emprunts d’Etat belges ont nettement augmenté, ce qui est normalement le signe évident qu’un Etat se trouve en grande difficulté économique. Source: Vertrauliche Mitteilungen du 7/12/10 |