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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°37, 10 septembre 2012  >  «L’‹économie verte› est le nouveau colonialisme destiné à soumettre nos peuples» [Imprimer]

«L’‹économie verte› est le nouveau colonialisme destiné à soumettre nos peuples»

Discours d’Evo Morales Ayma, Président de la Bolivie, lors de la séance plénière de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable, Rio+20, Rio de Janeiro, le 21 juin 2012

Parmi les peuples du Sud, nous célébrons aujourd’hui notre Nouvel An andin amazonien, nous célébrons le Inti Raimy, en quechua «fête du soleil», la cuti Inca, en ayara «le retour du soleil père», les horloges cosmiques qui nous enseignent et indiquent les âges de la terre mère. Aujourd’hui est un jour férié en Bolivie, nous fêtons le Nouvel An andin amazonien. Félicitations à tous les peuples du Sud, en particulier au mouvement indigène originel.
Il y a 20 ans, lors du Sommet de la Terre tenu ici, au Brésil, une profonde réflexion a eu lieu sur la vie et l’humanité, prenant en considération notre planète terre. Je me souviens du grand message d’un homme sage, Fidel Castro, président et commandant de la révolution cubaine: «Finissez-en avec la faim, pas avec l’homme. Payez la dette écologique, pas la dette externe». Maintenant nous nous rendons compte que cet homme avait tout à fait raison d’affirmer qu’il faut condamner la dette du système capitaliste, que nous, les pays que l’on nomme pauvres ou en développement, nous pensons que la dette des pays capitalistes est impayable.
Lors de cette conférence, il est important de procéder à des réflexions profondes en tenant compte des générations futures. Ce qu’on appelle l’économie verte est en discussion: en accord avec ce que pensent les mouvements sociaux dans le monde, en particulier le mouvement indigène, le souci de l’environnement de l’‹économie verte› est le nouveau colonialisme qui domine nos peuples et les gouvernements anticapitalistes.
Le souci de l’environnement de l’‹éco­nomie verte› est un nouveau colonialisme en deux sens: premièrement, c’est un colonialisme de la nature, les ressources naturelles de la vie deviennent des valeurs marchandes, deuxièmement c’est un colonialisme des pays du Sud qui portent sur leurs épaules la responsabilité de protéger l’environnement détruit par l’économie capitaliste industrielle du Nord. Ce qu’on appelle souci de l’environnement fait de la nature une valeur marchande, transformant chaque arbre, chaque plante, chaque goutte d’eau et chaque être vivant en une marchandise soumise à la dictature du marché qui privatise la richesse et répand la pauvreté.
L’économie verte usurpe la créativité de la nature, patrimoine commun de tous les êtres vivants, pour l’exproprier vers le bénéfice privé sous couvert de prendre soin de la nature. C’est une stratégie dominatrice qui quantifie nos ressources naturelles: chaque rivière, chaque lac, chaque plante et chaque produit naturel se traduit en argent pour le bénéfice de l’entreprise et son appropriation privée. Elle convertit la ressource de vie de toutes les générations en un bien privé pour le bénéfice de quelques personnes, donnant un rendement économique de la nature, et c’est pour cette raison qu’elle est seulement un mode de réalisation du capitalisme destructeur, graduel et progressif, de la destruction mercantile de la nature.
Mais par ailleurs, le souci de l’environnement du capitalisme, l’‹économie verte›, est aussi un colonialisme prédateur, parce qu’il permet que les obligations des pays développés pour préserver la nature pour les générations futures soient imposées aux pays appelés en voie de développement, pendant que les premiers s’emploient de manière implacable à détruire l’environnement de façon mercantile. Les pays du Nord s’enrichissent par une orgie prédatrice des ressources naturelles de vie et obligent les pays du Sud à jouer les gardes forestiers pauvres.
Ils prétendent supprimer notre souveraineté sur nos ressources naturelles, en limitant et contrôlant l’exploitation de nos ressources naturelles. Ils veulent créer des mécanismes d’intrusion pour adapter, diriger, évaluer et contrôler nos politiques nationales. Ils prétendent juger et punir l’utilisation de nos ressources naturelles avec des arguments environnementaux.
Ils veulent un Etat faible, avec des institutions faibles, soumises, sans règles pour que nous leur offrions nos ressources naturelles, comme ce fut toujours le cas dans l’histoire. C’est pour cela qu’il est si important de faire naître lors de cette conférence une profonde réflexion sur la façon dont l’économie verte promeut la privatisation et la commercialisation de la biodiversité et le commerce des ressources génétiques. Pour l’‹économie verte›, la biodiversité ce n’est pas la Vie, c’est un commerce, j’en viens donc à la conclusion suivante: la vie n’est pas un droit mais seulement un commerce pour le capitalisme et le colonialisme qui se sert de l’environnement lors de cette conférence.
Chers Présidents, il n’est pas possible qu’une soi-disant civilisation de 200 à 300 ans puisse détruire la vie harmonieuse dans laquelle ont vécu les peuples indigènes pendant plus de 5000 ans. C’est la différence profonde entre l’Occident et les pays du Sud, particulièrement les mouvements sociaux qui vivent en harmonie avec la mère Terre.
Une petite contribution de la Bolivie à cette lutte est l’approbation, il y a deux jours, de la Loi de la mère Terre et du développement intégral, dont l’objectif est de vivre bien le développement intégral par l’harmonie et l’équilibre de la mère Terre, pour construire une société juste, équitable et solidaire, sans pauvreté.
Pour réussir le développement total, nous avons besoin de tenir compte des droits suivants de manière complémentaire, compatible et interdépendante:
a.    les droits de la mère Terre
b.    les droits des peuples indigènes
c.    le droit des pauvres de venir à bout de la pauvreté
d.    le droit du peuple bolivien de vivre bien
e.    le droit et l’obligation de l’Etat au développement durable.
Nous ne pouvons pas nous développer sans toucher à la nature, ni nous développer en détruisant la nature. Pour cette raison, notre loi propose la complémentarité de ces droits. En plus, notre loi crée aussi l’Entité plurinationale de justice climatique, pour gérer l’adaptation et l’évolution climatique et elle crée un Fonds national de justice climatique.
Une petite expérience, vécue en Bolivie jusqu’à présent à la recherche du bien-vivre de nos peuples, c’est la récupération de nos ressources naturelles. Ceci a nettement amélioré notre économie nationale, je peux vous en donner trois exemples. La plus grande entreprise de Bolivie, Yacimientos Petrolíferos Fiscales Bolivianos, rapportait en 2005 à peine 300 millions de dollars. Après la nationalisation, elle va rapporter cette année 3,5 milliards de dollars grâce à la lutte du peuple bolivien et au respect de sa demande de nationaliser nos ressources naturelles.
Nous savons que nous sommes un petit pays, qualifié de pays pauvre et en voie de développement. Nos réserves internationales étaient en 2005 de 1,7 milliard de dollars, cette année nous arrivons à 13 milliards de dollars de réserves internationales. En 2005, avant mon arrivée à la présidence, l’investissement public en Bolivie était de 0,6 milliard de dollars dont 70% de prêts ou de donations, cette année l’investissement est prévu pour plus de 5 milliards de dollars. Vous pouvez imaginer combien notre économie a changé après la récupération et la nationalisation des hydrocarbures, c’est un acquis très important de récupérer nos ressources naturelles, elles appartiennent aux peuples et doivent être de la compétence de l’Etat et ne peuvent pas servir au commerce des multinationales.
Par ailleurs, une autre expérience se rapporte aux services de base, qui ne pourront jamais faire l’objet de commerce privé. En Bolivie, on privatisait les services de télécommunications et l’eau. Après mon arrivée à la présidence, on a entamé leur récupération et de cette façon, on a réussi à récupérer les services de base comme une obligation de l’Etat et à dire non à la privatisation: aucune transaction des multinationales ne nous aide à résoudre les problèmes sociaux si importants en Bolivie.
Chers Compagnes et Compagnons présents, ici il sera important de penser vraiment aux générations futures, et nous ne pourrons y arriver qu’en rejetant les modèles de pillage qui s’approprient et épuisent nos ressources naturelles. Le capitalisme n’est pas une solution, je déplore beaucoup la chasse au terme ‹économie verte›, le nouveau colonialisme qui soumet les peuples et les gouvernements anti-impérialistes et anticapitalistes. C’est pour cela que je vous appelle à la réflexion pour le bien des générations futures, si nous désirons passer à la postérité et si nous voulons que cet événement soit inédit, nous n’avons pas d’autre alternative ici que d’approuver un document qui permet d’en finir avec les politiques économiques, écologiques et sociales qui mènent le monde à un suicide, pour nous lancer dans l’humanisme qui est si important pour les peuples du monde.
Présidents, merci beaucoup pour votre attention, il sera très important de continuer le travail, tous les peuples du monde unis.     •

Source/Traduction: Pressenza IPA, www.pressenza.com