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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°43, 27 octobre 2008  >  L’économie doit être au service de l’homme [Imprimer]

L’économie doit être au service de l’homme

Le deal de plusieurs milliards effectué par l’UBS exige transparence et honnêteté

par Reinhard Koradi, Dietlikon

Le Conseil fédéral, la Banque nationale et la Commission fédérale des banques veulent rétablir la confiance envolée. Mais la confiance exige franchise et honnêteté dans la communication. C’est précisément ce qu’ont détruit, au cours de ces derniers jours et de ces dernières heures, l’ensemble des participants au deal de plusieurs milliards effectué pour sauver la première banque suisse (Union des banques suisses UBS). Les 68 milliards de francs suisses [= 24 milliards d’euros] – destinés au sauvetage des banques dépassent de loin toutes les mesures d’aides accordées jusqu’à présent par l’Etat suisse. Cependant – ou précisément pour cela – les règles du jeu démocratique en vigueur ont été traitées avec une négligence voisine de la grossièreté. La «communication» employée nous fait craindre que ni le Parlement ni le peuple ne connaîtront jamais les véritables raisons qui ont contraint le gouvernement et la Banque nationale suisse (BNS) à «sauver la place financière suisse».
Préalablement au sauvetage nous avons été rassurés et presque endormis par des déclarations lapidaires relatives à la crise financière, bien que les initiés aient sûrement été au courant de la situation précaire où se trouvait la première banque suisse. Et à présent, on veut nous faire croire que ce deal de plusieurs milliards est une bonne affaire et ne coûtera pas un centime aux caisses de l’Etat (Confédération et Banque nationale) ni au contribuable. Un doute considérable pèse pourtant sur le sérieux qu’il y a à reprendre des créances pourries, si l’on considère que même la Commission des finances du Parlement fédéral n’a pas été mise au courant de l’affaire et que celle-ci a été conclue à huis clos, en toute hâte et de façon définitive, sans que soient précisés clairement les engagements juridiques pris par l’UBS.

Ces milliards feront défaut

La Suisse, mais aussi bien d’autres Etats et organisations du monde entier se trouvent face à d’énormes défis. Catastrophes naturelles, guerres, faim et pauvreté détruisent la vie de plusieurs centaines de millions d’êtres humains et les biens essentiels à cette vie. La crise financière nous mène droit à une crise économique mondiale dont les conséquences seront dévastatrices pour une grande majorité de la population mondiale. Le risque est grand que l’argent manque pour combattre la faim et la pauvreté, assurer les soins médicaux, la protection sociale et l’éducation ainsi que pour maintenir et développer la couverture des besoins fondamentaux, puisque les fonds ont été affectés à ce système financier délabré et ainsi dérobés à la collectivité. N’en serait-il pas allé tout autrement, si ces aides qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars avaient été accordées avec la même générosité à des projets d’autosubsistance, de lutte contre la misère et la faim, voire à l’assainissement des budgets de santé et d’éducation? Une question à laquelle les gouvernements, l’ONU, la Banque mondiale et le FMI devraient tout de même bien avoir une réponse. Il est sûr que des investissements pour le bien-être de tous, visant à mieux assurer une vie souvent très difficile ainsi que pour la sécurité d’approvisionnement auraient fortement amélioré les conditions de vie d’une grande majorité de la population mondiale. Or c’est une petite minorité qui en profite et qui a pu mettre sa fortune à l’abri. Par ricochet des millions de gens devront financer les gains des riches spéculateurs et les mesures de soutien prises par les gouvernants.

Les esprits qu’ils ont évoqués ne les lâcheront plus

On n’a pas cessé pour autant d’en appeler à l’économie libérale mondialisée et de chanter ses louanges. Mais peu à peu des doutes se font jour, principalement chez les politiciens. La situation et les actions de sauvetage des marchés financiers rappellent «l’Apprenti sorcier». Les propagandistes de l’économie de marché mondialisée ont lâché dans le monde une poudrière qu’ils sont hors d’état de contrôler (sous peine de perdre leur argent). Si récemment encore toute idée d’une intervention de l’Etat était rejetée avec indignation, les appels à ce dernier pour maîtriser la crise se font aujourd’hui de plus en plus pressants. Ces gens ne sont plus maîtres de ce qu’ils ont déclenché et en sont réduits à appeler au secours. Mais pourquoi l’Etat entre-t-il dans leur jeu, et en plus avec des cartes truquées? Il est évident que la crise financière a largement ébréché la crédibilité et les perspectives d’avenir du libéralisme et de la mondialisation. Et cependant aucun gouvernement n’a encore modifié son programme. Tous se cramponnent obstinément à leurs projets et poursuivent leurs dérégulations, internationalisations et harmonisations jusqu’à détruire les nations. Pas un chef d’Etat n’est encore prêt à annoncer un changement de cap et à reconnaître l’échec de la mondialisation et du dogme libre-échangiste de l’OMC. Il se peut que ce refus, de nommer la réalité par son nom, tienne à la force des choses et à un manque de courage. Pourquoi reconnaître l’échec d’une politique, quand il est bien plus facile et aussi moins douloureux pour ses responsables de soutenir le système en place avec les fonds publics et d’assurer ainsi sa propre survie politique – du moins provisoirement?

Un tournant décisif

Mais en prenant ces mesures prétendument destinées à sauver le système financier les gouvernements ont un peu trop tiré sur la corde. On veut certes nous faire croire que l’on agit sous la pression de la contrainte économique. Et à première vue cela paraît juste. Mais quel profit l’économie retirera-t-elle à moyen et long terme de la prise de contrôle par la BNS d’un Fonds commun de créances qui rachète à l’UBS jusqu’à 60 milliards de dollars de créances pourries et reçoit en échange, de la Fed (Réserve fédérale US) un crédit de 54 milliards de dollars? Le seul gagnant, c’est Peter Kurer, le président du Conseil d’administration de l’UBS, qui a confirmé dans une conférence téléphonique: «Nous pouvons ainsi nous débarrasser de nos anciennes charges et dettes» (Die Welt online). Mais le comble est atteint lorsque la Confédération injecte 6 milliards de francs suisses [= 4 milliards d’euros] dans le capital de l’UBS et que cette dernière déclare qu’au printemps prochain elle paiera 7 milliards [= 4,7 milliard d’euros] de boni! Le 15 octobre, la BNS a en outre informé les médias d’une «mesure en vue d’approvisionner le marché en liquidités» prise en commun par la BNS et la Banque centrale européenne (BCE) – qui mériterait elle aussi une explication. «A partir du 20 octobre, la BNS et l’Eurosystème établiront tous les lundis et pour une semaine des swaps de devises à prix fixe, qui permettront d’échanger des euros contre des francs suisses. […] La BNS et la BCE ont conclu un accord swap à durée limitée garantissant l’approvisionnement de la BCE en francs suisses liquides qu’elle distribuera ensuite aux banques relevant de son domaine d’influence. Cette mesure restera en vigueur le temps nécessaire, mais au moins jusqu’en janvier 2009.»
Un accord bien risqué en période de faiblesse relative de l’euro, surtout si l’on veut bien considérer que la BNS partage au moins durant cette période la garantie souveraine de la devise suisse avec la BCE. S’agirait-il d’ajouter maintenant au péché originel – la vente par la Banque nationale de réserves d’or prétendument superflues – un affaiblissement conscient du franc suisse?
Ces nombreuses contradictions sapent la crédibilité des personnes et des organisations qui ont ficelé le paquet de soutien aux banques. En conséquence, le peuple a droit à une information qui ne soit pas filtrée sur l’ensemble du projet. En outre il est plus que temps de questionner sérieusement les orientations sociétales, sociales, économiques et diplomatiques défendues jusqu’ici par la Suisse et d’en débattre publiquement.
Ce qui se passe sur les marchés financiers nous a bien montré qu’il ne fallait pas ajouter foi aux scénarios politiques qu’on nous propose. La totalité des «projets de réforme, dérégulation et libéralisation» doit donc être, elle aussi, fondamentalement réexaminée. Il faut éliminer les solutions qui vont à l’encontre du bien public. Ce qui veut dire entre autres que l’économie doit se soumettre à nouveau aux impératifs de politique publique et sociale; qu’il faut cesser de sacrifier l’orientation locale et de proximité de l’économie suisse et sa diversification en branches finement articulées à la pensée unique transnationale orientée vers le seul profit; opposer à la libéralisation et à la privatisation de la fourniture de produits de base un refus clair et net. Cette fourniture ainsi que les infrastructures sont des tâches qui reviennent à l’Etat et qui doivent être à nouveau soumises au contrôle populaire.
Nous qui sommes le peuple, des parents et grands-parents, avons le devoir d’exiger de nos gouvernements une politique de protection de la vie de tous les hommes ainsi que des valeurs intellectuelles et matérielles. Nous et nous seuls portons la responsabilité du monde que nous léguerons à nos enfants et petits-enfants. Refusons donc la soupe que l’on nous sert depuis quelques jours.    •

(Traduit par Michèle Mialane et révisé par Fausto Giudice, www.tlaxcala.es)