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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°13, 6 avril 2009  >  La FED et la «magie» de l’argent [Imprimer]

La FED et la «magie» de l’argent

par Werner Wüthrich, Zurich

Au sujet de la «crise financière» deux livres ont paru aux USA et sont traduits en allemand: «The Dollar-Crash» par Ellen Brown et «The Creature from Jekyll Island» par Edward C. Griffin. Les deux auteurs arrivent à la même conclusion que la crise financière aboutira à une crise du dollar. Un assainissement durable du système financier serait uniquement possible avec une réforme fondamentale du système monétaire. Les deux exigent l’abolition de la banque d’émission américaine, la FED (Federal Reserve System). Sa manière de travailler serait la cause principale des difficultés actuelles et empêcherait une amélioration durable. Brown et Griffin représentent deux mouvements de la politique américaine et de la population. Leurs opinions sont rafraîchissantes – et tellement différentes des communications officielles.

Les deux livres d’Ellen Brown et d’Edward C. Griffin pèsent lourd dans la main – ils comptent les deux plus de 600 pages. Plus d’un lecteur réfléchira s’il veut vraiment commencer par la première page. S’agit-il de théories monétaires compliquées? – La première impression est trompeuse. Celui qui avance page par page ne sera pas déçu. Brown, aussi bien que Griffin accompagnent le lecteur dans un langage clair et compréhensible à travers l’histoire monétaire et économique des USA. Et celle-ci est passionnante. Le voyage commence par les premiers colons au XVIIe siècle qui, dans leurs communautés fraîchement fondées, réfléchissaient à des questions d’argent et essayaient d’établir leur propre ordre monétaire. Est-ce que nous reprenons tout simplement la monnaie de l’Europe? Ou bien créons-nous notre propre monnaie? En fin de compte nous voulons devenir indépendants. Qui devra le faire? Est-ce une tâche pour les communes ou pour des régions plus grandes? Fondons-nous une banque d’Etat à nous – d’après le modèle de la Bank of England? Est-ce que notre monnaie doit être constituée par des pièces d’or et d’argent, est-ce que nos billets de banque doivent être couverts du métal précieux? Ou bien pouvons-nous tout simplement imprimer de l’argent en papier? Cela suffit-il d’avoir une couverture partielle de nos billets de banque par l’argent ou l’or? – Que de questions. – Beaucoup d’essais ont été faits. Le champ d’action était large, parce qu’il ne fallait pas seulement construire le système monétaire et financier mais aussi les autres institutions d’Etat. Le «Continental» était l’une des monnaies avant la fondation de l’Etat fédéral. – Une réponse claire et sans équivoque, les colons ne l’ont pas trouvée. Leurs finances sont restées pour longtemps un champ d’expériences. Ils ont vu de tout: des périodes stables, l’inflation, l’escroquerie, la perte totale, de nouvelles monnaies etc.
Brown et Griffin démontrent le combat pour un système monétaire fiable aux USA. Même après la fondation de l’Etat fédéral en 1778, le calme ne s’est pas établi. Le lecteur s’étonne lorsqu’il apprend que la FED actuelle n’est pas du tout la première banque d’émission des USA. Avant, déjà trois banques centrales d’émission avaient existé qui, avec une concession du Congrès, émettaient de la monnaie. Cependant, ces institutions n’avaient pas réussi à gagner la confiance de la politique et de la population. Le Congrès des USA leur a retiré la concession, souvent déjà après quelques années.

Intérêts divergents

Derrière ces événements divers groupes d’intérêt ont agi: de grandes banques, domiciliées avant tout sur la côte Est ont approuvé l’institution d’une banque centrale d’émission privée qui émettrait de la monnaie avec la concession de l’Etat et le prêterait contre des intérêts aux banques d’affaires et au gouvernement. Cet argent était partiellement couvert par l’argent ou l’or. Beaucoup de petites banques, avant tout à la campagne, ont combattu cette solution parce qu’elles craignaient qu’une telle banque centrale ne tienne compte que des intérêts des puissants.
Un autre groupement souhaitait que des communautés et plus tard aussi le gouvernement fédéral à Washington émette de la monnaie sans intérêts et qu’il finance ainsi ses propres dépenses. Il faudrait de toute façon de la nouvelle monnaie pour ravitailler en argent l’économie grandissante. Comme ni remboursement ni intérêts n’étaient prévus, on aurait pu en revanche – d’après leur idée – renoncer à des impôts. Si le parlement et le gouvernement contrôlaient cette tâche et l’exerçaient avec circonspection, l’inflation pourrait être évitée.
Il y avait un troisième groupement qui ne faisait confiance ni à l’argent des banques ni à celui de l’Etat. Les deux inviteraient à l’abus et à l’escroquerie. Il souhaitait une sorte de monnaie des citoyens en monnaie d’argent et d’or, dont les billets de banque seraient couverts à 100%. Il suffisait de fixer le contenu en métal précieux par la loi. Ni la banque d’émission ni le gouvernement n’étaient nécessaires. Toutefois, une banque d’émission étatique pourrait fabriquer de telles pièces de monnaie. Des billets de banque, couverts à 100% pourraient par contre être émis par chaque banque sérieuse dans tous les Etats fédéraux. L’argent des banques qui ne respecteraient pas ces règles serait simplement ignoré.
Ces intérêts fondamentalement divergents ont conduit à une véritable lutte pour le pouvoir autour et aussi contre la banque d’émission et autour du droit de fabriquer de l’argent. Aucun de ces trois groupes d’intérêts ne s’est vraiment imposé, ce qui s’exprime dans le fait que la banque centrale d’émission a été fondée trois fois et supprimée trois fois. C’étaient la Bank of North America, la First Bank of the United States et la Second Bank of the United States. Cette lutte pour le pouvoir a été décisive seulement avec la fondation de la FED actuelle en 1913.

Rencontre secrète sur l’île de Jekyll Island

L’acte de fondation a été préparé à l’époque par les représentants des premières banques mondiales comme Morgan, Rockefeller, Kuhn-Loeb (devenue plus tard par fusion Leh­man Brothers) et autres, ensemble avec des représentants du gouvernement, sur l’île de Jekyll Island dans l’Etat de Géorgie. Il y avait aussi des représentants de grandes banques européennes. La rencontre était tenue absolument secrète. Lors de ce «séminaire» d’une semaine les structures du système monétaire actuel furent fixées. Cet événement et ses répercussions sur la politique et l’économie se sont seulement fait connaître peu à peu et plus tard. Le Federal Reserve Act a été voté par «une attaque surprise» peu avant Noël 1913 par le Congrès. Dans le même paquet de lois l’Etat fédéral a obtenu le droit de percevoir des impôts sur le revenu. Depuis 1913, l’argent de la FED est valable. La FED est un cartel privé de grandes banques qui travaille avec une concession du Congrès.

Opposition

Les groupes d’intérêt qui ont été vaincus à l’époque n’ont cependant pas abandonné la partie. Ils s’emploient jusqu’à aujourd’hui à réformer le système monétaire. Ils sont ancrés dans la population et ont du soutien politique. Ils n’ont cependant pas les mêmes objectifs. Sur un point cependant, ils sont tous d’accord: la FED avec sa politique désastreuse doit être abolie.
Ellen Brown appartient au groupe de l’«argent gouvernemental». On appelle ce mouvement aux USA les «Greenbackers». Griffin par contre défend une sorte de «monnaie citoyenne» et avec cela l’étalon-or classique. Ce groupement s’appelle aux USA «Gold bugs». Qu’est-ce qu’ils ont contre la FED?

Abolition de la FED

Commençons par l’objet principal des réformistes: Griffin et Brown voient tous les deux la cause principale de la crise financière actuelle dans la manière de travailler de la FED. Griffin désigne la méthode de la banque d’émission comme mécanisme Mandrake. Pour comparer, il utilise un personnage d’une bande dessinée américaine des années 40, appelé Mandrake: le magicien. La spécialité de ce personnage était de créer des choses à partir du néant et quand il en avait envie, de les faire disparaître de nouveau dans le néant. Ellen Brown utilise également un conte de fée américain comme analogie, «Le magicien d’Oz». – Qu’est-ce que la banque d’émission américaine a en commun avec un magicien? Pourquoi sa façon de travailler est-elle si mystérieuse? Est-ce qu’elle a une formule secrète pour fabriquer de l’argent – semblable aux alchimistes du temps de Goethe qui avaient cherché une formule pour pouvoir fabriquer de l’or?

Le mécanisme Mandrake: «magie» de l’argent

Eh bien, elle n’est pas si secrète – cette «formule magique». Elle n’est seulement pas si facile à comprendre. Il s’agit de la question centrale: comment est fabriqué l’argent avec lequel nous faisons nos paiements tous les jours?
Un peu simplifié: la FED crée quelque chose à partir du néant – justement l’argent. Comme ça, tout simplement – comme avec un bâton magique –, la plupart avec un simple clic sur l’ordinateur. Seulement encore 6% de l’argent sort de l’imprimerie en billets de banque. Ces dernières semaines des sommes inouïes auraient été créées – des milliards ou même des billions de nouveaux dollars. Qu’est-ce qui se passe avec ces nouveaux dollars? – Dès qu’ils voient la lumière du jour ou apparaissent sur l’écran ils se transforment en dette. Car la FED les prête contre intérêts. A qui?

Des dettes qui se multiplient

La FED prête le nouvel argent pour un certain temps contre intérêts à des banques d’affaires. Celles-là multiplient l’argent, c’est-à-dire la dette, maintes fois.
Un exemple: la FED crée 1000 dollars à partir du néant – avec un clic de souris. Elle prête cet argent contre 3% d’intérêt à la banque d’affaires A. Celle-ci en garde 10% en réserve et prête 90% – donc 900 dollars – à un client, et demande pour cela 8% d’intérêt. Ce client achète un magnétoscope avec cet argent. Le vendeur vire les 900 dollars qu’il a reçus comme dépôt sur son compte à la banque B. Celle-ci garde également 10% en réserve et prête 810 dollars à un client qui achète quelque chose avec cet argent. Le deuxième vendeur vire 810 dollars comme dépôt sur son compte à la banque C qui garde, elle aussi, 10% etc. Ce processus continue ainsi et en peu de temps les 1000 dollars que la FED a créés par un clic de souris deviennent au travers de tout le système bancaire une dette totale de 10 000 dollars que les clients de la banque doivent rembourser et pour laquelle ils doivent en plus payer plus de 600 dollars d’intérêts de dette. Le paiement des intérêts et le remboursement ne se font cependant pas avec de la «magie» ou par un clic de souris, mais avec du travail.
La «magie» de l’argent devient encore plus claire lorsque les banques – comme c’était souvent le cas ces dernières années – ne gardent pas une réserve de 10% mais seulement de 5% ou encore moins. Maintenant, les 1000 dollars créés artificiellement par la FED deviennent dans le système des banques 20 000 dollars de dettes, dont des intérêts doivent être payés et remboursés avec du travail.
Cette «magie» de l’argent ne s’entend pas avec le «banking» de la vieille école qui est basé sur le principe qu’il faut d’abord travailler et économiser avant de pouvoir demander un prêt. Les Américains ont tenté ces derniers vingt ans d’apporter la preuve que cela marche aussi sans économiser et que les dettes font partie de la vie normale de tous les jours. Le personnage de la bande dessinée Mandrake a bien donné l’exemple. – L’expérience a échoué. La «magie» de l’argent a eu pour conséquence un endettement gigantesque et rendu impossible des situations stables comme nous le voyons, et pas seulement depuis aujourd’hui.
La FED a les possibilités de mettre l’argent en circuit. Elles sont plus faciles à comprendre que le mécanisme «Mandrake»: La banque d’émission achète par exemple des papiers-valeur comme des emprunts d’Etat, des obligations d’entreprise ou également des papiers-valeur douteux comme par exemple des dettes de cartes de crédit ou bien des dettes hypothécaires. Cela se passe actuellement avec des sommes gigantesques pour des billions de dollars. La FED paie avec du nouvel argent et finance de cette manière les banques et le gouvernement. Mais là aussi il s’agit de dettes qui doivent être remboursées et d’intérêts payés avec du travail.

Qui profite?

Qui profite de cette «magie» de l’argent? Le CEO de la Deutsche Bank, Josef Ackermann n’en finit pas de répéter jusqu’à présent qu’avec des affaires de banque ont peut arriver à un rendement de 25% et qu’on peut atteindre des revenus qui ne seraient pas possibles autrement.
Le gouvernement peut s’endetter sans difficultés et peut faire des guerres sans soucis financiers. Il n’a pas besoin de penser à rembourser. Les dettes sont remboursées par leur renouvellement. Seul, le poids des intérêts devient de plus en plus lourd. Les Américains des USA paient déjà environ 200 milliards de dollars d’intérêts par an pour leurs dettes fédérales. Cela équivaut à la moitié des coûts annuels de la guerre en Irak.

Qui paie pour cette «magie» de l’argent?

Ce sont les clients des banques, ceux qui paient les impôts, ou bien tout simplement les citoyens qui livrent avec leur travail les intérêts pour rembourser quelque chose que personne n’a économisé, mais qui a été créé par «magie».
Est-ce qu’une telle responsabilité peut être assumée éthiquement? Griffin et Brown ne ménagent pas leur opinion: demander des intérêts pour quelque chose qui n’a pas de valeur, ce pour quoi personne n’a travaillé ni fait aucun effort, c’est de l’usure. Plus encore, c’est tout simplement de l’escroquerie.     •