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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°12, 26 mars 2012  >  Moscou et la formation du nouveau système mondial [Imprimer]

Moscou et la formation du nouveau système mondial

par Imad Fawzi Shueibi

hd. Imad Fawzi Shueibi est philosophe et géopoliticien et Président du Centre de documentation et d’études stratégiques (Damas, Syrie).
Il analyse les causes et les conséquences de la récente position de la Russie au Conseil de Sécurité de l’ONU. Le soutien de Moscou à Damas n’est pas une posture héritée de la Guerre froide, mais le résultat d’une analyse en profondeur de l’évolution des rapports de force mondiaux. La crise actuelle va cristalliser une nouvelle configuration internationale, qui d’un modèle unipolaire issu de la chute de l’Union soviétique, va évoluer progressivement vers un autre type de système qui reste à définir. Cette transition exige une entente circonspecte de tous les pays et avant tout la fin de tous les projets de guerre et de la propagande de guerre. Après que le «Herald Tribune» vient de publier à quel point la guerre de la Libye a été forcée, les pays occidentaux ont tout lieu de réfléchir sur leur propre rôle. La partie européenne de l’Otan doit revenir à ses bases européennes et en premier lieu analyser la mauvaise gestion en Afghanistan. La Russie pour sa part est en train d’en tirer les conclusions.

La Russie ne peut pas revenir en arrière dans le monde d’aujourd’hui étant donné que Moscou voit dans les événements actuels, et dans sa confrontation avec l’Occident – Etats-Unis et Europe – l’occasion de cristalliser un nouvel ordre mondial, surpassant l’ordre (si l’on peut appeler cela un «ordre») qui a prévalu depuis l’après Guerre froide et l’effondrement de l’Union Soviétique; un ordre caractérisé par l’uni-polarité, et qui tend vers la multipolarité depuis la guerre de 2006 au Liban.
C’est ce que Vladimir Poutine a voulu signifier le 14 janvier 2012 lorsqu’il a annoncé que nous assistions à la formation d’un ordre mondial nouveau, différent de celui qui avait émergé après la chute de l’Union Soviétique. Cela implique que Moscou ira jusqu’au bout pour contrecarrer toute tentative de stopper ce processus, y comprit si cela implique d’aller au conflit. La déclaration du ministre russe des Affaires étrangères selon laquelle l’Occident commettrait une grave erreur s’il s’imaginait pouvoir attaquer l’Iran - suivie d’une autre déclaration de Poutine selon laquelle si l’Occident tentait une action unilatérale sur la scène internationale, Moscou ne resterait pas immobile; et même répondrait puissamment - n’était rien d’autre qu’un ultimatum signifiant que Moscou n’entendait plus marchander comme ce fut le cas en Irak, ou rester indécis comme en Libye, et qu’aujourd’hui tout concoure à la mise en place de l’ordre mondial nouveau, dans le sillage du retrait stratégique étasunien d’Irak, et au moment où le président Barack Obama annonce une réduction des effectifs des forces US de 750 000 à 490 000 ainsi qu’une réduction du budget militaire à 450 milliards de dollars.
Ce qui précède implique l’incapacité de lancer au même moment deux opérations militaires distinctes, mais aussi annonce le démarrage de la confrontation avec la Chine en Asie du Sud-Est (et l’armement de cette région). Beijing a répliqué, le 7 janvier 2012, en déclarant que «Washington n’était plus en mesure d’empêcher le Soleil Chinois de se lever». Washington est en train de commettre à nouveau la folie d’affronter la Chine, ayant perdu la bataille avec Moscou sur de nombreux fronts, que cela soit dans le grand jeu du gaz au Turkménistan et en Iran ou sur les côtes orientales de la Méditerranée (avec l’annonce de sa nouvelle stratégie, Washington se retire de la région, tout en s’engageant à garantir la stabilité et la sécurité du Proche-Orient en affirmant qu’il restera vigilant).
Poutine, à propos de sa stratégie, a écrit récemment: «le monde s’apprête à rentrer dans une zone de turbulence longue et douloureuse» et c’est à prendre en considération bien au delà des simples déclarations d’intention électorales. Ainsi, il affirme clairement que la Russie ne poursuit pas l’objectif illusoire d’une domination unipolaire en plein effondrement, et qu’elle ne pourra pas garantir la stabilité mondiale, à un moment où les autres centres d’influence ne sont pas encore prêts à assumer collectivement cette charge. En d’autres termes, nous nous trouvons au seuil d’une longue période de confrontation avec le système unipolaire, qui durera tant que les autres puissances influentes n’auront pas consolidé un ordre mondial nouveau.
D’habitude, les Etats-Unis se retirent quand leurs perspectives de succès ne sont ni rapides, ni sûres. Ils savent parfaitement combien leur économie se détériore et combien l’influence de leur force militaire diminue, surtout après avoir perdu son prestige du fait d’un recours intempestif à la guerre. Poutine, bien qu’il réalise que le temps ne fait pas marche arrière, invite les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, du G8 et du G20 à stopper toute velléité de faire émerger des tensions sur des bases ethniques ou sociales, ou des forces destructrices qui puissent menacer la sécurité mondiale. C’est une indication claire du refus dans les instances décisionnelles des tendances religieuses et des groupes armés qui n’adhèrent pas au système des Etats-Nations. Ces groupes, Poutine les identifie clairement comme les alliés objectifs des Etats qui sont en train d’exporter la «démocratie» par des voies militaires et par la coercition. Moscou ne fera pas l’économie d’affronter ces tendances politiques et ces groupes armés. Le Premier ministre russe conclut en affirmant que la violation du droit international n’est plus justifiable, même si cela partait d’une bonne intention. Ceci signifie que les Russes n’accepteront plus aucune tentative de la part de la France, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis de remplacer le principe de souveraineté par celui d’ingérence humanitaire.
En réalité, les USA ne peuvent pas se retirer complètement du Proche-Orient. Ils sont simplement en train de réaménager cette zone pour une «guerre par proxy». Ceci advient à un moment où Poutine admet que les puissances émergentes ne sont pas encore prêtes à prendre leur position dans le nouveau monde non-unipolaire. Ces puissances émergentes sont la Chine, l’Inde, et en général les Etats de l’Organisation de Coopération de Shanghai. Ceci implique ce qui suit:
1.    Le monde sera désormais moins unipolaire qu’il ne l’a été pendant la période 2006–2011.
2.    Les conflits seront caractérisés par le fait d’être mondiaux, et ils seront accompagnés d’un discours qui ira s’intensifiant donnant l’impression que le monde s’approche du gouffre et risque d’y être engloutit.
3.    La règle selon laquelle «les superpuissances ne meurent pas dans leur lit», est une règle qui invite à la prudence à cause des risques de fuite en avant; surtout quand une superpuissance se trouve hors du système principal auquel elle avait été habituée depuis la Seconde Guerre mondiale, et que ses options se trouveront donc oscillant entre faire la guerre et rehausser la tension dans les zones d’influence des autres. Tant que la guerre entre superpuissances est rendue difficile, sinon impossible, par les armements nucléaires, l’augmentation des tensions et/ou le lancement de guerres par proxy deviennent des alternatives pour les conflits afin de s’affirmer sur le plan international. Il y a aussi l’option d’une redistribution satisfaisante des zones d’influence selon un nouveau Yalta1. Aujourd’hui, c’est hors de question, mais qu’en sera-t-il à l’avenir? Rien ne peut être exclu pour toujours dans l’action politique. Il existe une règle selon laquelle il est possible de vaincre une superpuissance, mais il est préférable de ne pas le faire. Mieux vaut plutôt lui permettre de sauver la face et faire cohabiter nouvelles et anciennes superpuissances. C’est ce qui est arrivé pour la France et la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale.
4.    La plus grave inquiétude concerne la lutte pour la modification du statu quo, qui dépasse en férocité ce que l’on a connu durant la Guerre froide (même si l’époque actuelle diverge par les méthodes utilisées), et ceci durera tant que les Etats de l’Organisation de Coopération de Shanghai ne seront pas en mesure d’assumer leurs positions. Cela signifie que les zones des conflits (Corée-Iran-Syrie) sont vouées à connaitre des troubles sur une longue période. Dans le langage de la politique contemporaine ceci peut être vu comme la porte ouverte à l’effet domino; à savoir une ouverture sur l’incalculable et le sans précédent, et le passage de luttes limitées à des conflits plus inconsidérés où chacun jouera le tout pour le tout.
    Il est certain que les pays impliqués dans la lutte seront partis prenantes de la nouvelle partition, et que cette future partition internationale ne se fera pas nécessairement à leurs dépends, en tant qu’ils sont impliqués dans la lutte. La nouvelle partition mondiale se fera en fait au détriment des autres pays se situant en périphérie du conflit, ou qui seront les instruments du conflit. Parmi les règles des conflits internationaux, il en est une qui dit que l’engagement en lui même dicte la répartition – cela s’est vérifié jusqu’à maintenant – à condition que lesdits pays ne perdent pas leur capacité d’initiative, leur libre-arbitre et leur possibilité d’action, et qu’ils suivent le principe de fermeté, qui est la règle fondamentale dans la gestion des périodes de crise.
5.    La réalité est que la gestion des crises sera le lot commun pour la phase qui s’annonce, et cela durera peut-être des années. Le vrai danger est que l’on se mette à régler les crises par l’intermédiaire d’autres crises, ce qui signifie que la Méditerranée Orientale et l’Asie du Sud-Est risquent de devenir des zones chroniquement agitées.    •

1    A la Conférence de Yalta – une station balnéaire sur l’ancienne presqu’île soviétique de Crimée – les chefs d’Etat des Etats-Unis (Roosevelt), de l’URSS (Staline) et du Royaume-Uni (Churchill) ont décidé en janvier 1945 du partage de l’Europe en trois sphères d’influence correspondantes et de la division du Reich allemand pour le temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cet ordre a survécu jusqu’à la fin de l’Union soviétique en 1991.

Source: www.voltairenet.org du 13/3/12
(Traduction Marie-Ange Patrizio)

Un fonctionnaire militaire américain admet: des bombardements américains massifs en Libye

«Déjà une fois, on nous a entraînés dans un tel engagement à durée indéterminée et nous ne le ferons plus», a dit un fonctionnaire militaire supérieur, eu égard à la Libye où une intervention considérable de l’armée de l’air a été nécessaire – mais également des centaines de missiles de croisière qui ont été tirés à partir de navires et de sous-marins américains – pour éliminer l’armée de l’air de la Libye afin que les avions de combat européens puissent agir librement dans le ciel. Et même après, les Etats-Unis ont continué à livrer des munitions, à ravitailler les avions en vol et à voler pour des missions de combat.
Des fonctionnaires du ministère de la Défense et des services secrets disent que le système de défense antiaérien intégré de la Syrie – une combinaison de milliers de missiles sol-air, des installations radars et d’artillerie antiaérienne – n’est pas seulement plus moderne que celui de la Libye, mais que les sites sont installés dans des régions très peuplées près de la frontière ouest du pays. Cela signifie que la population civile voisine mourrait probablement même en cas de bombardement avec des armes de précision. «Il y aurait pas mal de dégâts collatéraux graves si l’on prévoyait d’attaquer cette région», a dit Panetta la semaine dernière.
En raison de l’arsenal et des capacités électroniques de la Syrie en cas de guerre aérienne, les premières étapes d’un combat aérien seraient, comme en Libye, presque uniquement l’affaire des Etats-Unis et il faudrait probablement un espace de temps prolongé et un grand nombre d’avions, comme le général Dempsey vient de déclarer.
Si les Etats-Unis avaient la maîtrise aérienne, il serait possible soit de créer des zones de retraite ou un «corridor humanitaire» – une voie de sortie sûre pour les réfugiés, par exemple en Turquie –, mais les fonctionnaires militaires objectent que des couloirs ainsi que des zones de retraite seraient exposés aux risques d’être attaqués par l’armée syrienne, une unité forte de 330 000 hommes et qualifiée comme excellente, d’après des fonctionnaires du service secret.

Source: «International Herald Tribune» du 12/3/12
(Traduction Horizons et débats)