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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°32, 15 août 2011  >  Quand les réformes issues du sérail politique nuisent à l’école [Imprimer]

Quand les réformes issues du sérail politique nuisent à l’école

Vaud: votation cantonale du 4 septembre 2011

par Jean-François Huguelet, canton de Vaud

C’est en 1990 que je débutai dans l’enseignement, en tant que maître auxiliaire non formé à la pédagogie. C’était dans une école professionnelle, celle-là même que j’avais quittée en tant qu’élève à peine plus de 6 ans auparavant. Un retour aux sources, quoi!
Une chose me frappa d’emblée: la réticence des élèves à produire un texte en français. Je compris bien vite l’origine de leur gêne lorsque je corrigeai, dans quatre classes parallèles, un travail dans lequel il leur était demandé de présenter un thème d’économie politique sur une page et demie environ.
A l’exception de quelques travaux d’assez bonne facture, les fautes d’orthographe faisaient écho aux fautes de syntaxe et de grammaire. Il y avait, dans certaines productions, jusqu’à cinq fautes par ligne en moyenne, et jusqu’à plusieurs fautes dans un même mot. Je devais parfois lire un mot ou une partie de phrase à haute voix pour la décrypter.
Alors inexpérimenté, je ne me posai pas davantage de questions et attribuai cette première impression à une représentation déformée et idéalisée de ma propre scolarité.
L’année suivante, en été 1991, j’entrai en formation pédagogique dans le cadre de l’école obligatoire vaudoise. Enseignant en mathématiques, économie et géographie pour des élèves des classes terminales (niveau scolaire de base), supérieures (niveau moyen) et prégymnasiales (niveau supérieur), je pris connaissance du terreau de l’enseignement dans un collège de bonne réputation regroupant des jeunes de milieux sociaux très divers. Cette période de formation fut aussi pour moi à l’origine de mes premiers doutes sur les méthodes d’enseignement. Je ne comprenais pas bien quel intérêt il y avait à amener les élèves à découvrir par eux-mêmes la théorie alors qu’ils sont parfaitement disposés à la comprendre et à l’appliquer lorsqu’elle leur est bien expliquée. Mais je me pliai de bonne grâce à ces méthodes, estimant que mes formateurs avaient bien plus d’expérience que moi et savaient de quoi ils parlaient. Ma formation terminée à la satisfaction de mon directeur, mon contrat fut reconduit, d’abord annuellement, puis à long terme.
L’une de mes surprises fut de découvrir parmi mes collègues expérimentés que j’appréciais beaucoup, des enseignants qui tenaient des propos particulièrement amers qui me touchèrent profondément: «De toute façon, on ne peut plus rien leur apprendre à ces jeunes, non seulement ils ne savent rien, mais en plus, ils ne s’intéressent à rien.» Cette vision fataliste ne correspondait pas à mes propres observations, ni à mon sentiment.
Un de mes collègues me fit découvrir les méthodes de français imposées dans l’école vaudoise depuis 1981, année où je quittai le collège en tant qu’élève pour commencer un apprentissage. L’enseignement du français avait été réformé et les règles de grammaire n’y apparaissaient presque plus, si ce n’est sous forme ludique, parfois associées à des couleurs. Une idée de «génie», adoptée sans discernement par l’autorité scolaire d’alors et qui avait amené, en moins de 10 ans, près de 15% des élèves sortant de l’école obligatoire au bord de l’illettrisme. Je fus stupéfait que cela soit possible, mais mes observations de ma première année d’enseignement me revinrent alors à l’esprit.
Dans le même temps, l’exercice de l’orthographe par la dictée avait été pratiquement proscrit, parce que, disait-on, trop stigmatisant pour les élèves qui commettent des fautes et font de mauvaises notes. Seuls des maîtres réfractaires osaient encore se livrer à l’exercice, avec bien souvent la caution morale des parents des élèves concernés.
Dès 1996, l’école vaudoise fut profondément remaniée par une réforme (Ecole Vaudoise en Mutation – EVM) émanant d’un compromis politique. Mise en place de façon verticale avec la promesse qu’elle ne coûterait presque rien et sans aucun souci de l’impact qu’elle déploierait dans les classes, cette réforme acheva de déstabiliser le corps enseignant en supprimant les derniers repères institutionnels.
C’est alors que l’école vaudoise s’engagea dans une fuite en avant. Correction après correction, on institua un système d’évaluation sans notes pour les classes jusqu’en cinquième année, puis on supprima les options spécifiques des élèves des classes supérieures, enfin on supprima les notes de toute la scolarité en changeant la dénomination des appréciations, puis on revint en arrière. Dans le désarroi ambiant, les rares consignes que les enseignants recevaient de leur hiérarchie étaient les suivantes: «Nous vous faisons confiance, faites au mieux avec ce que vous avez.» Même en tenant compte des années de fortes tensions syndicales, jamais le corps enseignant vaudois n’avait été aussi déstabilisé. C’est aussi dans cette période de grande incertitude que la confiance des parents vaudois dans l’institution scolaire s’est le plus érodée, à juste titre, mais au plus grand dam d’enseignants impuissants, réduits à subir les exigences contradictoires de leur hiérarchie aussi désemparée qu’eux à tenter de colmater les brèches.
Avec la réorganisation qui s’ensuivit, les exigences bureaucratiques et les tracasseries administratives prirent le relais, imposées par des supérieurs technocrates. Les enseignants furent de plus en plus absorbés par des réunions de concertation, des formations, des colloques, des méthodes de correction compliquées, des conseils de classe de plusieurs heures chacun. Durant ce laps de temps, le pensum administratif des enseignants fut plus que triplé, les démobilisant d’autant de leur mission première: l’instruction.
Je dois probablement à mon esprit indépendant et un peu frondeur le fait d’avoir pu surmonter cette période de troubles. D’autres enseignants y ont perdu une partie de leur santé et de leur foi professionnelle. Comme certains de mes collègues, je n’ai jamais cédé aux sirènes de la modernité ou de la facilité, j’ai continué d’enseigner de façon conforme à ma conscience. Je pouvais heureusement me baser sur une certaine expérience professionnelle. Les résultats de mes élèves étant là pour valider mes méthodes, je n’ai jamais été inquiété par ma hiérarchie.
En 2002, avec une quinzaine de collègues, nous fondions une association d’enseignants, l’AVEC, qui avait pour but d’apporter une vision critique mais constructive de la base à la hiérarchie. Les statuts furent adoptés par 95 membres, l’association crût en six mois jusqu’à 320 membres, puis son effectif plafonna. Madame Lyon, ministre en charge de l’école, se réjouit publiquement de la création de cette association professionnelle, estimant que cela permettait de mettre un «visage» à la grogne des salles des maîtres.
Dans les faits, les démarches de l’association se heurtèrent à une attitude hostile et méprisante. Lorsque l’AVEC fit remonter les critiques, l’autorité considéra ces dernières comme décalées, passéistes et réactionnaires, parce que non conformes aux tendances pédagogiques du moment, parce que contraires à la volonté idéologique de «calibrer» tous les élèves sous l’appellation d’«égalité des chances». Après avoir tenté sans succès de faire entendre la voix du terrain auprès des autorités scolaires cantonales pendant plus de quatre ans, l’AVEC décida de porter son action sur le terrain politique, celui de l’initiative populaire.
Il faut aussi dire qu’avec l’adoption massive par le peuple de l’article constitutionnel décrétant l’harmonisation des systèmes scolaires suisses (HarmoS) les autorités scolaires vaudoises tenaient le parfait alibi pour passer la vitesse supérieure de leur desseins collectivistes dans l’organisation de l’école. L’AVEC ne pouvait pas laisser l’école vaudoise s’engager à son tour dans la vision idéologique du «collège unique» et du «bac pour tous» qui a mené l’école française à la quasi-faillite pédagogique.
Mais c’est surtout des constats de base qui encouragèrent l’AVEC à se lancer dans l’arène politique. On peut être pour ou contre les réformes, mais l’évidence, c’est qu’elles ont conduit à une situation insatisfaisante reconnue à la fois par les maîtres d’apprentissage, les parents, les maîtres professionnels, les maîtres de gymnases et les universités: trop d’élèves ont des connaissances insuffisantes pour faire face correctement aux exigences des formations subséquentes. Pire, nombreux sont les élèves qui ont fait toute leur scolarité dans le canton, qui se retrouvent en situation de quasi-illettrisme (près de 20%!) et ne maîtrisent même pas les notions arithmétiques de base.
La décision fut prise de lancer une initiative légale rédigée de toutes pièces en novembre 2006. La rédaction fut commencée dès décembre. En janvier 2007, l’ASPICS (association de parents également critique sur la gestion de l’école) se joignit à la rédaction. Puis, ce fut autour de l’AVPC, autre association de parents, de se joindre à l’initiative. C’est en tout pas moins de 40 séances (de trois heures à toute une journée) qui occupèrent les initiants à peaufiner les éléments du texte, enseignants et parents tous bénévoles et apolitiques, relecture après relecture. A bout touchant, le texte fut soumis à deux avocats et à un panel de politiciens. Tous se montrèrent enthousiastes sur la qualité du travail fourni et peu nombreuses furent les modifications à apporter.
Le texte fut déposé en septembre 2007 à la chancellerie d’Etat et validé en janvier 2008 par plus de 15 200 signatures de citoyens, sous l’appellation «ECOLE 2010, sauver l’école». Visant principalement à structurer l’enseignement, à permettre que les pratiques pédagogiques souhaitées par les maîtres soient validées par la loi, à rendre une véritable liberté pédagogique aux maîtres, à appliquer un système d’évaluation et de promotion simple, cohérent et compréhensible, à offrir dans les classes des conditions d’enseignement favorisant un enseignement efficace, cette initiative fut reçue avec colère par l’autorité qui n’avait pas l’habitude de voir ses choix discutés par la base.
Mais les initiants y étaient préparés. Ils avaient compris que toute émanation critique, si elle ne peut être étouffée, fait l’objet d’une guerre sans merci de la part de ceux qui tiennent les arcanes scolaires sous leur joug idéologique depuis près de trente ans.
L’ironie a voulu qu’une majorité du Grand Conseil vaudois opte pour un contre-projet issu d’un consensus politique avec des promesses, des slogans et des méthodes très proches de ceux qui avaient servi pour l’élaboration, et finalement l’adoption d’EVM. En fait, ce contre-projet prolonge et accentue les défauts de la réforme de 1996. Dans une période proche des élections fédérales, puis cantonales, personne ne s’étonnera que certains caciques de la politique parlementaire vaudoise aient voulu «couvrir leurs arrières» en s’engageant dans une logique du compromis politique qui les met, pensent-ils, à l’abri des conséquences électorales. Mais le peuple n’a pas la mémoire courte et surtout, pas d’a priori idéologique.
La réforme EVM a marqué les esprits et il serait étonnant que le Souverain l’ait oublié. C’est pourquoi les initiants ont très bon espoir que les Vaudoises et les Vaudois auront à cœur de tourner le dos à près de trente ans d’idéologie dans l’école qui l’ont conduite dans une situation insatisfaisante, une impasse. Pour tourner cette page de l’histoire, la solution est finalement assez simple:
Voter OUI à l’initiative ECOLE 2010, voter NON à son contre-projet (LEO).    •

Plus d’informations sur le site: www.ecole2010.ch

Le problème

On constate depuis des années une baisse générale du niveau de connaissances des élèves qui sortent de l’école obligatoire. II en va de même de leurs capacités d’attention, de persévérance et de maîtrise de soi.
Pour l’essentiel, cette évolution est due à des changements continuels, à des méthodes pédagogiques inappropriées et à un système d’évaluation imprécis.

La réponse

Des enseignants et des parents ont lancé une initiative populaire reprenant l’entier du problème. Leurs propositions évitent de chambarder l’école vaudoise une fois de plus.
Ecole 2010 rend leur rôle aux enseignants: apprendre aux enfants à travailler, leur transmettre des connaissances précises et systématiques, contrôler leurs progrès. En bref, les préparer à leur vie d’adulte, en particulier professionnelle.

Cinq mesures simples et de bon sens

1    Améliorer la VSO pour en faire une vraie voie préprofessionnelle

La VSO offre un programme insuffisant et apparaît à beaucoup comme une voie au rabais. Ecole 2010 la renforce pour en faire une vraie voie préprofessionnelle.
Ecole 2010 conserve le système des trois filières, qui a fait ses preuves, ainsi que les passerelles qui les relient.

2    Découpage annuel

L’organisation en cycles de plusieurs années empêche de tenir un programme rigoureux. Ecole 2010 prévoit un découpage annuel, rythme naturel qui permet un meilleur suivi de l’élève et une détection plus précoce et plus sûre de ses lacunes.

3    Des conditions de promotion claires, des notes et des moyennes

Aujourd’hui, les conditions de promotion sont approximatives et les évaluations sont peu compréhensibles pour les élèves et leurs parents. Ecole 2010 fixe des conditions de promotion claires. Des notes, des moyennes par branches et une moyenne générale permettront de vérifier si ces conditions ont été atteintes.
De la sorte, on évitera aussi l’arbitraire des appréciations non chiffrées.

4    Un enseignement structuré et systématique

Les méthodes d’enseignement actuelles ne conviennent ni aux élèves, ni aux maîtres, ni aux parents, dont beaucoup ne peuvent plus aider leurs enfants.
Ecole 2010, tout en garantissant le choix des méthodes aux maîtres, accorde la priorité à des pédagogies structurées et systématiques. Accessibles aux élèves et à leurs parents, elles prévoient des exercices réguliers ainsi qu’un contrôle fréquent de l’acquisition des connaissances.

5    Nouveau: les classes régionales d’encadrement

Trop de classes souffrent d’un désordre excessif. Ecole 2010 ouvre, à l’intention des perturbateurs, des classes régionales à effectif fortement réduit dans lesquelles ils seront placés temporairement.
Ils y profiteront durant une année au moins d’un encadrement fort dans une filière correspondant à leurs capacités, d’appuis scolaires et de devoirs surveillés, dans une dynamique du succès et sous la conduite de professeurs expérimentés.
Ecole 2010 propose ici une véritable nouveauté, qui répond à une situation nouvelle et qui permettra de soulager les classes ordinaires.