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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N° 33, 23 août 2010  >  Campagne contre l’indépendance de la Suisse – Cessons de trahir notre pays petit à petit [Imprimer]

Campagne contre l’indépendance de la Suisse –Cessons de trahir notre pays petit à petit

par Marianne Wüthrich

Le bilatéralisme va semble-t-il atteindre ses limites mais la Suisse officielle redoute un débat sans préjugés sur l’avenir de notre politique européenne. Il faut que cela change. Presque quotidiennement les médias nous serinent que la voie de l’indépendance de la Suisse est bouchée. Comment se fait-il qu’il vient justement maintenant à l’idée des médias que la population suisse, dont on sait qu’elle est opposée dans sa majorité à une adhésion à l’UE, devrait absolument dé­battre de ce sujet?
Ceux qui ont lu l’ouvrage du think tank «Avenir Suisse» paru aux éditions de la Neue Zürcher Zeitung et intitulé «Souveränität im Härtetest» (La souveraineté en cause1) ne peuvent s’empêcher de penser que de nombreux orateurs du 1er-Août s’en sont inspirés, ou inversement?
Actuellement a lieu une importante campagne planifiée depuis longtemps et qui a pour objet de faire plier le peuple opposé à l’adhésion. On répète cette absurdité ad nauseam dans toute la presse ainsi qu’à la télévision. Nous n’aurons bientôt plus qu’une solution: nous désabonner et ne plus payer la redevance.
A l’automne 2011 auront lieu les élections au Conseil national et il s’agit de faire en sorte que les partis défendent une politique qui «sonde de nouvelles voies dans la mesure du possible» (Markus Spillmann). De nombreux médias et politiques chantent la même antienne.

Tout le monde le sait: le modèle suisse est une réussite et l’on s’en rend compte justement à un moment où de nombreux pays sont secoués par des crises politiques et écono­miques. La stratège d’Avenir Suisse Katja Gentinetta ne l’ignore pas lorsqu’elle constate que «jusqu’à présent, la Suisse a su imposer une stratégie de souveraineté particulièrement réussie: la politique étrangère, principalement la poli­tique européenne, signifiait en fait d’abord la politique économique extérieure: ceci lui a facilité la route en vue d’une forte intégration dans le marché unique tout en maintenant une grande indépendance politique et institutionnelle.» (Résumé, p. 6). Que vouloir de plus, madame Gentinetta? Or les choses ne ­peuvent pas en rester là: «Dans les circonstances actuelles, exprimer l’idée d’un rapprochement de l’UE, même comme une sorte de worst case scenario, signifie emprunter un chemin très long et conflictuel.» (p. 26). Faut-il se rapprocher d’une UE au bord de la faillite? (cf. Bruno Bandulet, «Die letzten Jahre des Euro»).

«Je suis horrifié», nous fait savoir officieusement un membre de la Banque nationale suisse. Il se réfère à une étude de la Stiftung Marktwirt­schaft allemande et de l’expert en finances publiques de Fribourg-en-Brisgau Raffelhüschen, qui aboutit à la conclusion effrayante suivante: «La dette publique grecque est 8 fois (!) plus importante que celle qui a été déclarée (!).» Selon son étude, une dette cachée gigantesque s’ajoute à la dette officielle.
Source: Vertraulicher Schweizer Brief no 1258 du 3/8/10

Ceux qui se souviennent de la votation de décembre 1992 sur l’adhésion à l’EEE qui a été refusée par le peuple et les cantons connaissent bien ces prévisions alarmistes; ils se souviennent avec quelle insistance, à l’époque, le Conseil fédéral et de nombreux politiques nous mettaient en garde contre la catastrophe économique et sociale qui menaçait la Suisse si elle n’adhérait pas. Or il n’en a rien été. Au contraire, la voie adoptée par la Suisse, petit pays souverain avec ses capacités économiques et son modèle de démocratie directe et de fédéralisme a continué à faire ses preuves. Or cela n’intéresse pas les stratèges d’Avenir Suisse, car ils visent d’autres objectifs.

Le modèle suisse contrarie «Avenir Suisse»

Avant d’étudier les thèses principales de «Souveränität im Härtetest», évoquons brièvement les objectifs et la manière de travailler d’Avenir Suisse.
Ce think tank a été fondé en 1999 par des grands groupes opérant au niveau mondial2 dans le but d’influencer en coulisse le développement social et économique de la Suisse: «A la différence d’associations comme économiesuisse, Avenir Suisse ne veut pas pour autant jouer un rôle actif dans les procédures de consultation politique ou les campagnes de votation, contrairement à des associations telles qu’economiesuisse. Elle consacre bien plutôt ses énergies à la sensibilisation des différents milieux aux problèmes qu’elle juge opportun d’aborder et à leur inclusion rapide dans l’ordre du jour des processus décisionnels.»3 Il est évident que les multinationales représentées par Avenir Suisse ont tout intérêt à avoir des structures politiques qui leur permettent d’étendre si possible sans limites leur puissance financière et d’augmenter leurs bénéfices qui se chiffrent en milliards. L’indépendance de la Suisse, la démocratie directe, le fédéralisme sont souvent un obstacle à l’épanouissement des multinationales et Avenir Suisse voudrait changer cela. «Pour le think tank, les forces du marché doivent en règle générale bénéficier de la plus grande marge de manœuvre possible. Dans cette optique, l’Etat n’intervient pas en première instance dans la résolution des problèmes existants.»3
Aux niveaux communal, cantonal et fédéral, les citoyens ne cessent de s’opposer à ces objectifs. En Suisse, l’Etat, c’est le ­peuple et celui-ci se permet de limiter la «marge de manœuvre» des «forces du marché» en s’opposant par exemple à la privatisation de la poste, des chemins de fer, de l’eau et de l’électricité. Il arrive que dans les com­munes et les cantons, les demandes de permis de construire d’usines chimiques sur d’excel­lentes terres agricoles ou de supermarchés discounts étrangers soient rejetées par le ­peuple. Et avant chaque votation fédérale sur un accord bilatéral avec l’UE, les milieux économiques qui préféreraient maximiser sans restrictions leurs profits au sein du marché intérieur européen et les politiques qui louchent vers un emploi à Bruxelles qui leur apporterait influence et revenus élevés doivent faire des pieds et des mains pour inciter les citoyens à accepter des progrès dans la libéralisation ou, plus encore, les empêcher de recourir au référendum facultatif.
Si la Suisse était membre de l’UE, les choses seraient naturellement beaucoup plus simples pour les multinationales. C’est pourquoi elles ont fondé Avenir Suisse il y a 11 ans afin de communiquer au peuple leur message afin de contribuer à une «meilleure compréhension, par le grand public, des incertitudes et des défis qui attendent les principaux acteurs d’une Suisse en mouvement» afin d’intervenir à temps dans la «sensibilisation des différents milieux aux problèmes» et à «leur inclusion rapide dans l’ordre du jour des processus décisionnels.»

Trois conseillers fédéraux marchent de conserve avec «Avenir Suisse»

Les trois conseillers fédéraux qui aimeraient depuis longtemps apparaître sur la photo de groupe des chefs d’Etat de l’UE ne se gênent pas de dire ce qu’ils pensent dans leurs discours du 1er-Août. Ainsi Moritz Leuenberger, tout comme le think tank du grand capital, a affirmé que la voie bilatérale «touchait à sa fin» et que la Suisse devait «prévoir un nouveau rapprochement avec l’UE» (NZZ du 2 août). Selon ce journal, Leuenberger est allé jusqu’à affirmer que nous devions à l’UE «une paix durable avec nos voisins», comme si n’importe quel écolier ne savait pas que notre pays vit en paix avec ses voisins depuis 200 ans. Pour que la Suisse s’approche de l’objectif de l’adhésion à l’UE en regroupant en régions ses petites structures, Leuenberger souhaite un renforcement des villes et des agglomérations et s’est moqué, à l’instar des universitaires prétentieux de la ville de Zurich, des «symboles et mythes campagnards» qui caractérisent trop fortement notre pays. Il s’est surtout attaqué au «mythe du monde intact des montagnes» car celui-ci a permis d’aboutir à l’Initiative pour la protection des régions alpines contre le trafic de transit alors qu’il jugeait absurde de limiter aux Alpes la réduction du trafic. Déclaration remar­quable du chef du Département des transports qui, depuis des années, ne tient sciemment pas compte de l’article sur la protection des Alpes pourtant inscrit dans la Constitution afin de céder à ces messieurs de ­Bruxelles. Mais ceux qui connaissent l’agenda européen et le nouveau projet de pro­gramme du PS ne s’étonnent plus de rien.
Egalement sur la même longueur d’onde qu’Avenir Suisse, la présidente de la Confédération et cheffe du Département de l’économie Doris Leuthard a appelé à un «débat constructif» sur la question de savoir «ce que devraient être nos rapports avec nos voisins dans un monde en mutation». Ce n’est pas étonnant car depuis longtemps, Doris Leuthard se fait la propagandiste infati­gable d’un développement sans limites de l’économie globale, de l’extension du régime de l’OMC et de son libre-échange agri­cole (Cycle de Doha) au détriment des pays ­pauvres et de l’agriculture des petites exploitations, ce en quoi elle s’oppose fondamentalement aux conclusions du Rapport sur l’agriculture mondiale. Elle défend également un accord de libre-échange agricole avec l’UE qui, selon ses propres dires, entraînerait la disparition d’au moins la moitié des exploitations suisses.
La troisième à être d’accord avec Avenir Suisse, Micheline Calmy-Rey, a déclaré qu’elle «ne voudrait pas que notre pays soit un membre de facto de l’UE sans droit de vote»4. On sait que la conseillère fédérale socialiste voudrait depuis longtemps que la Suisse adhère à l’UE. Le point culminant de ses activités dans ce sens fut sa tentative de faire participer l’armée suisse à l’opération Atalante de l’UE, laquelle tentative a heureusement échoué en septembre 2009 grâce à l’opposition du Conseil national, avant tout grâce à un nombre important de «non» d’authentiques socialistes qui n’ont pas encore oublié que la politique de gauche doit absolument être une politique de paix.

La souveraineté en cause

Commençons par préciser ceci: Pour les éditeurs de l’ouvrage, Katja Gentinetta, stratège d’Avenir Suisse et Georg Kohler, professeur de philosophie zurichois, il ne s’agit pas le moins du monde de la sauvegarde de la souveraineté de la Suisse, c’est-à-dire du peuple suisse souverain. Ils sont gênés, de même que la plupart des autres auteurs, par le fait qu’une forte majorité de Suisses tiennent à l’indépendance de leur pays et à ce que le peuple, grâce à ses droits politiques étendus, ait tant de possibilités de participer aux décisions. Lorsque les éditeurs prétendent que le débat sur les rapports entre la Suisse et l’UE est soumis à des «tabous», ils font allusion au fait, agaçant pour eux, que le think tank n’ait pas réussi jusqu’ici à remplir une de ses missions: amener les Suisses à vouloir adhérer à l’UE. Et c’est dans ce but qu’Avenir Suisse part en campagne, une année avant les élections fédérales, en vue d’affaiblir, voire de détruire notre identité et notre profonde identification au modèle suisse.

Constatation étonnante: l’adhésion à l’UE n’est pas économiquement nécessaire

Contre toute attente, les économistes qui s’expriment dans la IIe partie de l’ouvrage arrivent à la conclusion qu’une adhésion à l’UE ne s’impose nullement pour des raisons économiques: «En tant que petit pays, la Suisse est plus libre de ces politiques [commerce extérieur, monnaie, fiscalité, ressources, précision de l’auteure] justement parce qu’elle peut agir de manière indépendante au niveau global. […] En matière de commerce extérieur, de nombreux arguments, et en politique monétaire tous les arguments, parlent en faveur de l’indépendance.» (!) C’est ce qu’affirme Heinz Hauser5 sous le titre «Aussenhandel: Souveränität als Marktvorteil» et Ernst Baltensperger6 sous le titre «Geldpolitik: Autonomie als Stabilitätsanker».

Une adhésion prétendument nécessaire «pour des raisons institutionnelles»

Rendez-vous compte: Malgré cette prise de position très claire des économistes, Avenir Suisse insiste sur l’adhésion. Bien que les auteurs ne cessent de répéter qu’il ne s’agit que d’une «stratégie de souveraineté» suisse, d’un débat de politique européenne «sans tabous», tous les constitutionnalistes et les politologues de la 1re partie du livre se prononcent nettement en faveur de l’adhésion. Tout en reconnaissant que la voie bilatérale a été jusqu’ici un succès, ils la qualifient d’«impasse» (p. ex. Dieter Freiburghaus,7 p. 120 et Franz von Däniken,8 pp. 51 sqq.). Selon eux, l’adhésion à part entière apporterait à la ­Suisse un «gain de souveraineté» au plan politique parce qu’elle ne devrait plus appliquer le droit communautaire sans pouvoir «prendre part aux décisions» de Bruxelles (cf. pp. 115 et 288 notamment).

La voie bilatérale n’a pas atteint ses limites
«La voie bilatérale est une success story impressionnante. En fait, la Suisse a aujourd’hui une meilleure situation économique que la plupart des pays de l’UE. […]
Les accords bilatéraux permettent une politique d’ouverture et de collaboration. Les principes essentiels de la souveraineté de la Suisse (démocratie directe, fédéralisme, autonomie monétaire, financière et fiscale) ne sont en principe pas affectés. Rien n’indique que la voie bilatérale ait atteint ses limites.»
Source: Finanz und Wirtschaft du 4/8/10

Ici deux questions se posent: Qui, en cas d’adhésion, participerait aux décisions à Bruxelles? Et: Pourquoi le think tank des multinationales défend-il si fortement l’adhésion alors que l’économie marche apparemment bien sous le régime actuel des accords bilatéraux?

Qui peut participer aux décisions de l’UE?

Qu’en est-il du prétendu «gain de souveraineté» que nous vaudrait une adhésion? Qui pourrait exercer une influence sur ­Bruxelles et participer aux décisions? Pour Freiburghaus, les choses sont claires (p. 115 sqq.): «Les gagnants sont le gouvernement et l’administration, c’est-à-dire l’exécutif car ils siègent autour des tables où se prennent les décisions. Les parlements n’ont que peu de moyens d’influencer leur gouvernement.»
Les citoyens des pays voisins de la ­Suisse peuvent confirmer cette affirmation. A Bruxelles siégeraient quelques conseillers fédéraux ainsi qu’une multitude de fonc­tionnaires fédéraux, des représentants des partis poli­tiques, des associations et des syndicats. Les multinationales dont le siège est en Suisse, représentées par Avenir Suisse, pourraient faire valoir leurs intérêts directement aux postes de commande de l’UE. En outre, le transfert de souveraineté de la capitale vers Bruxelles a des conséquences beaucoup plus négatives pour un Etat fédéral que pour un Etat centraliste comme la France. «Dans les fédérations, la compétence législative des Etats fédérés est également affectée.» Ici, Freiburg­haus minimise le risque car on sait bien que les parlements des Länder allemands et autrichiens n’ont conservé qu’une petite partie de leurs anciennes compétences.
Si la Suisse adhérait, non seulement les Chambres fédérales, mais également les parlements et gouvernements cantonaux perdraient beaucoup de leurs compétences. Mais ce qui serait le plus grave pour les Suisses est que le véritable perdant serait le peuple. Tous les auteurs de «Souveränität im Härtetest» savent bien que la structure politique particulière de la Suisse avec sa démocratie directe très prononcée aux niveaux fédéral, cantonal et communal est la vraie raison de la nette opposition des citoyens à l’adhésion. Comme le remarque Freiburghaus à juste titre, il s’agit du «droit presque illimité du peuple à s’opposer à ce que fait le personnel politique qu’il a mandaté» (p. 116). La perte de souveraineté du peuple serait énorme.
Mais il s’agit de plus encore, d’une chose fondamentale: l’identité des Suisses, tout ce qui constitue le modèle suisse avec son caractère d’encouragement pour d’autres ­peuples, serait irrémédiablement détruit. En plus de la démocratie directe, le type particulier de fédéralisme avec les quatre langues de cul­ture serait affecté de même que la forme particulière de neutralité armée qui ne consiste pas en un isolement par rapport à l’étranger mais dans la mission humanitaire d’une grande portée que la Suisse s’est imposée à l’égard de tous les peuples du monde en tant que siège du CICR et d’Etat dépositaire des Conventions de Genève. A cela s’ajoute l’autonomie communale avec l’institution de l’assemblée communale dans laquelle les citoyens peuvent gérer leurs affaires et assumer une responsabilité dans la commune (principe de milice). Cela ne fonctionne que tant que le peuple «aura son mot à dire», car on sait que la folie réglementariste de la bureaucratie européenne étouffe la participation des individus et la réduit essentiellement à la re­cherche de moyens d’obtenir des aides financières de Bruxelles.

Qu’est-ce qui dérange «Avenir Suisse» dans le modèle suisse?

La réponse à cette question est simple: ce qui dérange le think tank global, c’est le fait qu’en Suisse, le peuple ait tant de moyens d’exprimer son opinion, que la Suisse soit une nation née de la volonté populaire qui ne souhaite pas de «transfert de souveraineté» vers la structure centraliste et antidémocratique de l’UE, ce sont les nombreuses petites struc­tures transparentes des communes et des cantons – plus ou moins importants – que la population peut aisément contrôler.
Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, il est beaucoup plus facile pour les grandes sociétés d’établir leurs lobbyistes à Bruxelles et d’exercer une influence directe sur l’économie européenne. C’est pourquoi les auteurs de la Ire partie du livre sont très contrariés par les liens profonds, caractéristiques de la Suisse et de ses habitants, entre l’identité collective, l’identité individuelle et la démocratie directe» (Kohler, p. 36), par le fait que leur conception de la souveraineté soit «incompatible avec la supranationalité» (Jürg Martin Gabriel,9 p. 100). Selon Thomas Maissen,10 une majorité de représentants de la politique (économique) étran­gère seraient sans doute prêts à un abandon de souveraineté «qui rend possible le commerce global (!). Cependant le peuple souverain n’en veut pas parce qu’il est imprégné d’expériences et de conceptions sur l’Etat nation datant des XIX et XXe siècles selon lesquelles la souveraineté par rapport à l’étranger et la neutralité sont la condition la plus importante d’un développement pacifique.» (pp. 79 sqq.) Eh oui, c’est bien cela, monsieur Maissen! Selon Freiburghaus, «le peuple et les cantons devraient approuver une adhésion qui réduirait leurs droits» et il poursuit, déçu, en écrivant que ce qui rend presque impossible une adhésion, c’est «le rôle de souverain du peuple». Le rôle, monsieur Freiburghaus?

Faire voler en éclats la Suisse en la transformant radicalement

On comprend maintenant pourquoi le think tank cherche depuis de nombreuses années à remodeler la Suisse. «Si donc le coût du cavalier seul et du maintien de la souveraineté devenait trop élevé [le coût pour qui? rem. de l’auteure], nous devrions quand même songer à modifier nos institutions politiques de manière à ce qu’une participation ne soit plus un obstacle mais une chose salutaire». (Freiburg­haus, p. 129). Selon Freiburghaus, le Conseil fédéral aurait besoin d’une «plus ­grande marge de manœuvre», ce qui réduirait «un peu» (!) les compétences du Parlement et des cantons et restreindrait les droits populaires.
Pour avoir le peuple à l’usure, les auteurs ne cessent de dénigrer le modèle suisse et les citoyens récalcitrants. Les médias nous ont habitués à voir les Suisses considérés comme des gens qui s’isolent, se réservent la meilleure part du gâteau et persistent dans une conception dépassée de la démocratie. Selon les auteurs, notre système politique a besoin d’une «rénovation profonde» car aussi bien le Conseil fédéral que le «prétendu Parlement de milice» sont de moins en moins en mesure de faire leur travail (sic!). Le fédéralisme «n’est plus que l’ombre de lui-même» (pp. 129 sqq.) car les cantons sont trop petits pour accomplir leurs missions.

Selon le Service de renseignement de la Confédération (SRC), le Département des Affaires étrangères (DFAE) a été la cible d’une attaque informatique en octobre 2009. Des pirates dont on ignore l’identité ont utilisé un logiciel spécial pour pénétrer le système informatique du Département et récupérer des informations. Le DFAE a isolé son réseau informatique du réseau Internet afin de stopper la transmission de données vers l’extérieur et d’éviter toute manipulation du système par des tiers. Le ministère de la Confédération a ouvert une enquête.
Source: Vertraulicher Schweizer Brief du 3/8/10

On connaît les efforts d’Avenir Suisse et de ses affidés – volontaires ou non – du monde politique et administratif ainsi que de leurs «experts» extérieurs en vue de remodeler la Suisse pour la rendre euro-compa­tible: il s’agit de créer des grandes régions et des grandes communes, des niveaux de pouvoir antidémocratiques au-dessus des agglomérations, de dépeupler les campagnes et les régions de montagne (cf. Leuenberger), d’introduire des acteurs supplémentaires à un métaniveau illégitime et non démocratique comme les conférences métropolitaines et les ateliers du futur, de privatiser les services publics, de pratiquer la manipulation neurolinguistique de la population, tout cela ad nauseam.
Parallèlement, les auteurs tentent de présenter les citoyens comme des incapables lorsqu’ils ne votent pas comme le voudrait l’«élite»: «Peu à peu, on se rend compte que la démocratie directe n’est un bienfait que lorsque les élites font bloc et présentent au peuple de bonnes solutions» (p. 130). Les Suisses ont-ils besoin de professeurs d’université qui manifestent tant d’arrogance et coûtent cher aux contribuables? L’historien Maissen révèle définitivement le vrai ­visage du think tank qui prétend vouloir sauvegarder la souveraineté de la Suisse: «Si les ­élites suisses désirent étendre la marge de ma­nœuvre au plan international, elles doivent cesser de lutter pour l’indépendance des marchés étrangers mais contre les droits de veto de la démocratie directe, notamment la minorité de blocage due à la majorité des cantons qui, dans le pire des cas (11½ des plus petits cantons), ne représentent guère que le quart de la population. Plutôt que de se confronter au peuple souverain doté du droit de référendum et à ses représentants souverainistes, il serait plus simple de négocier dans l’égalité des droits et dans le cadre d’un ordre juridique commun avec les représentants d’autres Etats. Mais quel détenteur d’un droit de veto renonce de plein gré à ce droit?» (p. 80)
Donc on s’attaque au peuple suisse et à ses droits politiques gênants en brandissant la menace du Roi des aulnes (Goethe): «Si tu ne veux pas, j’utiliserai la force»? Cela suffit maintenant. Nous, le peuple, restons souverains et résoudrons les problèmes auxquels la Suisse est confrontée beaucoup mieux, à coup sûr, au sein de notre modèle éprouvé de démocratie qu’en tant que laquais de l’économie globale. La domination d’une élite est étrangère au modèle suisse; nous n’en avons pas besoin.    •


1     «Souveränität im Härtetest. Selbstbestimmung unter neuen Vorzeichen» von Katja Gentinetta und Georg Kohler (Hrsg.), Avenir Suisse und Verlag Neue Zürcher Zeitung, 2010. Résumé en français du dernier chapitre: www.avenir-suisse.ch/content/themen/effizienz-der-institutionen/souveraenitaet/mainColumnParagraphs/0/document1/souv_resume_fin.p
2     ABB, Crédit suisse, Groupement des banquiers privés genevois, Jacobs Holding, Kuoni Holding, McKinsey Switzerland, Nestlé, Novartis, Roche, Sulzer, Swiss Re, UBS et Zurich Financial Services
3     www.avenir-suisse.ch/fr/ueber-uns/leitbild.html
4     Toutes les citations sont tirées de la NZZ du 2 août.
5     Professeur émérite de politique économique étrangère à l’Université de Saint-Gall et auteur du rapport d’expertise sur les conséquences économiques de l’adhésion à l’EEE (1992)
6     Professeur émérite d’économie aux Universités de Berne, de Saint-Gall, de Heidelberg et de l’Ohio ainsi que conseiller de la Banque nationale suisse.
7     Professeur émérite de sciences politiques et administratives à Lausanne et fondateur des séminaires soleurois sur l’Europe destinés à la formation continue des fonctionnaires fédéraux
8     ex-Secrétaire d’Etat et directeur politique de l’Administration fédérale
9     Professeur émérite de relations internationales à l’EPFZ
10     Professeur d’histoire des temps modernes à l’Université de Heidelberg