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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°40, 18 octobre 2010  >  Vingt ans après la réunification de l’Allemagne [Imprimer]

Vingt ans après la réunification de l’Allemagne

Se préparer pour les missions à venir

par Karl Müller

Dans son édition du lundi précédant le 20e anniversaire de l’adhésion de la RDA à la BRD, le magazine Der Spiegel n’a pas choisi pour sa rétrospective un titre évoquant 20 ans ­d’unité allemande. Sous le titre «Dossier secret Alle­magne», on pouvait lire: «Comment, il y a 20 ans, les politiques européens ont essayé d’empêcher la réunification», et le magazine contenait 3 articles sur le sujet: «Le prix de l’unité», «Seuls contre tous» et une interview1 de l’ancienne ministre américaine des Affaires étrangères Condoleezza Rice sur les années 1989 et 1990. L’idée que le gouvernement américain de l’époque, surtout, voulait la réunification (dans le but principal d’élargir l’OTAN à l’Est – Condoleezza Rice a écrit un livre volumineux sur ce sujet («Germany Unified and Europe Transformed: a Study in Statecraft») – et que le président français de l’époque François Mitterrand ainsi que le Premier ministre britannique Margaret Thatcher se montraient plutôt réticents, voire hostiles, n’est pas nouvelle – pas plus que la thèse selon laquelle l’Allemagne, pour «prix» de l’unité, a dû renoncer au mark. Le Spiegel ne nous apprend donc rien de nouveau.

Y a-t-il des projets pour une autre ­Allemagne et une autre Europe?

La question se pose d’autant plus de savoir pourquoi le magazine allemand le plus lu – qui, quelques semaines auparavant, avait déjà publié quelques bonnes pages du livre de Thilo Sarrazin «Deutschland schafft sich ab» («L’Alle­magne se détruit»), suscitant de multiples débats – choisit justement maintenant un tel thème et affirme qu’à un moment crucial de son histoire, l’Allemagne aurait été pour ainsi dire seule. Des partenaires étroits de l’UE lui auraient refusé leur soutien.
Une réponse possible consiste à dire que des milieux influents désirent dans bien des domaines un changement de cap en Alle­magne et en Europe. La question de savoir qui s’active dans ce but et quel est le cap, reste ouverte. Beaucoup de choses donnent également l’impression que le débat, pour autant qu’il soit public, reste superficiel. Il conviendrait que l’Europe des Lumières ­dresse un inventaire honnête de tous les problèmes sociaux et se mette ensuite à chercher des solutions. La population tout entière devrait être incluse dans ce processus, dans un processus honnête qui rende aux citoyens leur dignité.

Contexte d’une évolution politique

Les faits déterminant le contexte d’une évolution politique sont notamment les suivants:
•    La situation politique mondiale se modifie considérablement. L’hégémonie américaine semble s’affaiblir et faire place à un monde multipolaire. Je dis «semble» parce qu’il ne faut pas sous-estimer la capacité de résistance des empires.
•    En outre, on ne sait pas encore quelles conséquences cela aura si le Proche-Orient ne se calme pas et que les conflits s’ag­gravent.
•    La crise du système monétaire et économique mondial n’est pas surmontée et l’on n’observe encore nulle part un vrai change­ment dans la finance globale et sa poli­tique.
•    La construction de l’Union européenne, non seulement en matière de poli­tique mondiale mais aussi dans beaucoup d’autres domaines, s’avère être de plus en plus une impasse bureaucratique et centraliste que l’on ne peut plus légitimer et qui, notamment pour cette raison, n’a pas d’avenir.
•    Les pays de l’UE ne se rapprochent pas économiquement mais se développent de manières très diverses et la tentative de Bruxelles (avant tout de la Commission et du Parlement européens) d’y remédier par de plus en plus de redistribution (surtout en faveur du grand capital) et une centralisation accrue des décisions politiques a atteint ses limites et n’est pas viable non plus.
•    En Allemagne également, des questions essentielles comme la dette publique, la justice sociale et la politique future ne sont pas résolues et les politiciens influents ont perdu leur crédibilité.
•    Dans de nombreux pays occidentaux, le respect du droit et de la Constitution se perd de manière très dangereuse bien qu’ils le considéraient auparavant comme leur particularité.
Ces faits font l’objet de débats en maints endroits.
Si tant est que l’on prépare du nouveau en coulisses – et bien des indices (pas seulement ce qu’écrivent les magazines allemands) le montrent – les Allemands (et pas seulement eux) devront très prochainement s’adapter à une série de changements profonds.
Or l’examen de l’histoire de la politique de suprématie de l’Europe montre que jusqu’ici, à l’intérieur des différents pays, ce fut toujours un très petit nombre de personnes qui ont préparé les changements et levé des ­troupes pour les réaliser. Et cette fois non plus, on ne peut pas écarter l’idée qu’elles vont agir sans scrupules.

Des citoyens qui veulent avoir leur mot à dire

Certes, un chapitre de l’histoire vraiment nouveau s’ouvrirait si les citoyens des différents pays intervenaient en anticipant les événements et faisaient tout ce qui est en leur pouvoir pour que l’on respecte le droit et que la raison et l’humanité l’emportent.
De quoi l’Allemagne a-t-elle besoin pour cela? 20 ans après l’adhésion de la RDA à la République fédérale, il convient de voir la réalité en face. L’Allemagne est intérieurement divisée, pas seulement entre l’Est et l’Ouest, mais entre les partis, les idéologies, les classes sociales, les groupements d’intérêts, etc., pas seulement à cause des diffé­rences mais à cause de la manière d’y réagir. Il n’y a plus beaucoup de choses qui rap­prochent les individus. A de nombreux endroits, on observe des changements, mais presque personne ne sépare le bon grain de l’ivraie. Toutefois, il existe, dans les communes et les villes, de nombreux exemples de changements dans les rapports humains qui portent leurs fruits au plan social et même politique.

La solidarité et la coopération sont plus importantes que les projets d’avenir peaufinés

Les psychosociologues ont constaté qu’en matière d’organisation de la vie sociale, ce sont moins les projets d’avenir peaufinés que la coopération sur un pied d’égalité qui sont porteurs d’avenir et qui font que les indi­vidus réagissent de manière intelligente et réfléchie à des situations nouvelles, souvent tout à fait ouvertes, et ne se contentent pas de réagir mais participent activement à l’organisation de l’avenir.
Cependant la solidarité et la coopération ne sont ni automatiques et perpétuelles. Nous devons agir. Elles sont le contraire de la mise au pas. Quand elles réussissent, la diversité humaine et les potentiels individuels sont mis en valeur et s’épanouissent. Elles ne sont pas seulement une question de sentiments, mais un important défi lancé à notre raison. En effet, l’action commune doit être mûrement réfléchie. Et pour nous autres Allemands, développer la solidarité et la collaboration, dans la vie publique aussi bien que dans la vie privée, représente un grand défi, mais cette tâche va être nécessaire. Et il sera également nécessaire d’exiger des contributions constructives de tous ceux qui, jusqu’ici, avaient d’autres préoccupations et de faire appel à leur sens du devoir et des responsabilités.
Voilà, ce qui précède n’était qu’une es­quisse, une invitation à réfléchir et à commencer à imaginer des solutions.

Il y a 20 ans, des déclarations importantes ont été faites

Il y a 20 ans, le 3 octobre 1990, les Allemands et le monde entier ont entendu des paroles d’espoir. «Dans quelques heures, un rêve va devenir réalité. Au bout de plus de 40 années d’une division pénible, notre pays va être réunifié. C’est un des moments les plus heureux de ma vie», a déclaré ce jour-là le chancelier Helmut Kohl. «Le 3 octobre est un jour de joie, de reconnaissance et d’espoir. Les ­jeunes de l’actuelle génération allemande, plus que la plupart des autres, ont toutes les chances de vivre une vie entière dans la paix et la liberté.»
La veille, le dernier Premier ministre de la RDA, Lothar de Maizière, avait déclaré: «L’unité allemande ne s’est pas achevée avec la réunification. Elle reste une tâche commune de tous les Allemands. Ce n’est pas seule­ment une question matérielle; il s’agit de manifester son sens civique. Il ne faut pas seulement payer pour l’unité, il faut la dé­sirer avec le cœur.»
Et le 3 octobre, le Président de la RFA ­Richard von Weizsäcker ajoutait: «Ce ne sont ni un traité intergouvernemental ni une Constitution ni des décisions du législateur qui nous feront parvenir à l’unité. Elle dépendra du comportement de chacun d’entre nous, de notre ouverture aux autres. C’est le ‹plébiscite de chaque jour› qui donnera son caractère à notre société.»

Il s’agit maintenant de nous rapprocher humainement les uns des autres

Au cours des 20 dernières années, beaucoup de choses ont été faites pour empêcher que l’on prenne ces paroles au sérieux. Mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvions ni ne devions pas les prendre au sérieux. C’est une décision populaire différente des autres mais une base essentielle pour toutes les décisions à venir. Nous devons nous rapprocher hu­mainement les uns des autres et tout faire pour que cela réussisse.    •

1 Dans cette interview du 27 septembre dernier, Condoleezza Rice a évoqué à deux reprises l’importance que les Etats-Unis attachent à l’OTAN: «Dans la phase finale de la guerre froide, nous ne pouvions pas nous permettre de faux pas. Retirer l’Allemagne de l’OTAN aurait été une faute grave qui aurait signifié la fin de l’Alliance, principal instrument de l’influence américaine en Europe.» Et à la question de savoir ce que, dans la perspective actuelle, elle aurait fait différemment, Rice a répondu ceci: «Il aurait certainement fallu prendre un certain nombre d’autres décisions tactiques, mais cela aurait-il amélioré globalement les choses? Une Allemagne réunifiée dans des structures démocratiques insérée dans l’Europe et l’OTAN? L’influence de l’Amérique en Europe était assurée. (C’est l’auteur qui souligne.)