Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°4, 2 fevrier 2009  >  Oubliés par la communauté internationale [Imprimer]

Oubliés par la communauté internationale

Un conflit sanglant s’éternise au Sri Lanka

Interview du Professeur S. J. Emmanuel, Président de la Fédération internationale des Tamouls*

Horizons et débats: Professeur Emmanuel, on entend peu ou pas du tout parler du Sri Lanka dans les médias occidentaux. Vous conservez à ce jour en tant que prêtre catholique un contact étroit avec votre patrie. Quelle est la situation dans les zones ta­moules?

Professeur Emmanuel: Le chef de gouvernement actuel du Sri Lanka est le pire qu’on puisse imaginer. Il gouverne avec ses trois frères, et ce sont des extrémistes bouddhistes cinghalais. Le gouvernement ne recherche pas de solution politique, mais une solution militaire, il nie le conflit ethnique et parle de combattre le «terrorisme». Il y a à l’heure actuelle 300 000 réfugiés de l’intérieur dans la région de Vanni et chaque jour les civils sont bombardés et déplacés. Le 25 décembre les troupes gouvernementales ont même bombardé une église, tuant ou blessant plusieurs fi­dèles. La situation des réfugiés est catastrophique; ils ne reçoivent aucune aide humanitaire car le gouvernement cinghalais a expulsé les organisations humanitaires internationales. La guerre doit se dérouler sans témoins. S’y ajoute depuis plusieurs semaines une longue période de pluie à laquelle les personnes déplacées sont exposées, sans autre abri que les arbres. Les blessures des civils atteints, car la plupart des blessés sont des civils, sont épouvantables: on emploie notamment des bombes à fragmentation et des bombes thermobariques, comme lors de la guerre du Liban.

Le gouvernement a déclaré qu’il aurait réglé «le problème tamoul» avant la fin de l’année 2008. Qu’est-ce que cela signifie pour la population civile?

Parler de problème tamoul revient pour le gouvernement à l’assimiler à du «terrorisme». Le gouvernement sait que le conflit nécessite une solution politique, mais il n’a fait jusqu’ici aucune proposition sensée. Il a prétendu que dans la province de l’Est il y avait eu des élections législatives et que cette région avait un Premier ministre, mais la vérité est tout autre. C’est un des frères du Président qui est au pouvoir là-bas, et la population est le dernier de ses soucis. Chaque jour des Tamouls sont tués ou enlevés. Les gens au pouvoir veulent faire la même chose dans le Nord, dès qu’ils auront anéanti les Tigres tamouls. Leur solution au «problème tamoul» consiste à nommer deux membres du gouvernement ministres – un dans la province de l’Est, un au Nord – et à placer la totalité du peuple tamoul sous le contrôle de l’armée cinghalaise. Nous resterons donc sous la férule de l’impérialisme cinghalais, et cela après 450 ans de domination coloniale!

Qu’est-ce que cela veut dire?

Oppression arbitraire. Pour moi, un ecclésiastique qui a une grande expérience du monde et de la guerre, la situation des Tamouls est choquante. Nous avons affaire à un vieux conflit ethnique qui dure depuis 60 ans. D’emblée la réponse du gouvernement aux protestations non-violentes des Tamouls a été le terrorisme d’Etat. C’est en réaction que s’est formée l’organisation des Tigres tamouls, afin de défendre le peuple tamoul et ses terres ancestrales. Le résultat est une guerre qui dure depuis 30 ans et a fait plus de 20 000 victimes et plus d’un million de réfugiés. Mais ce conflit n’a toujours pas éveillé l’attention mondiale. Un conflit long, une guerre qui fait des victimes sur une île perdue dont le sous-sol ne recèle pas de richesses, est presque devenu une guerre oubliée. Nous autres Tamouls sommes lourdement déçus, non seulement par les derniers évènements au Sri Lanka, mais aussi de l’attitude de la communauté internationale, de sa double morale et de sa politique qui ne sert que ses propres intérêts.
Premièrement, les Anglais ont commis une énorme faute, le «British blunder», lorsqu’ils ont quitté l’île à la fin de l’ère coloniale. Les Tamouls, qui avaient autrefois un royaume indépendant, sont devenus une minorité face aux Cinghalais. Les Anglais ont en effet réuni les deux peuples en un seul Etat et donné le pouvoir à la majorité. Et maintenant les Anglais font comme s’ils n’avaient aucune responsabilité dans cette guerre et soutiennent le gouvernement de Colombo.
Deuxièmement le Sri Lanka et ses ports offrent un intérêt géopolitique pour de grandes puissances, par exemple l’Inde et les USA. Ils se placent donc du côté du gouvernement et nous traitent comme des terro­ristes.
Troisièmement, le Sri Lanka est une démocratie où la majorité est bouddhiste et cinghalaise. Cette majorité peut se permettre de discriminer et d’opprimer les Tamouls par voie parlementaire. Et en plus elle a une armée pour imposer son pouvoir. Pendant les trente premières années nous autres Tamouls avons lutté, espéré et résisté pacifiquement. On nous a répondu par le terrorisme d’Etat. Nous savons que la solution ne peut être que pacifique, mais il faut bien que nous nous défendions contre ce terrorisme d’Etat, dont la violence ne connaît pas de bornes.

Quel est actuellement le quotidien des Tamouls?

La plus grande partie du Nord et de l’Est du Sri Lanka – les terres ancestrales des Tamouls – est sous le contrôle strict de l’armée cinghalaise, ce qui signifie des interdictions quotidiennes de circuler, des centaines de check points, chaque jour des déportations, des assassinats etc. Au Nord-Est, dans la région dite de Kilinochchi se déroule une guerre particulièrement brutale; les civils et les bâtiments publics, écoles et hôpitaux par exemple, subissent des bombardements. Les gens vivent dans une terreur permanente, ils n’ont ni travail ni nourriture. 40 000 enfants ne peuvent être scolarisés. Toutes les ONG internationales ont quitté le district. Il n’y a pas de médecins, les études sont interdites aux Tamouls. Il y a bien des hôpitaux, mais qui ne disposent ni de médicaments, ni de pansements.
Il y a plus de deux ans que le gouvernement de Colombo soumet les zones tamoules à un embargo économique total, et c’est un miracle que les gens puissent survivre. Même cette année, 60 ans après la condamnation du génocide par les Nations Unies, le Sri Lanka figure sur la liste des huit pays qui en sont menacés. Quand on parle de génocide, on pense immédiatement au «Troisième Reich», mais là aussi on est en train d’exterminer un peuple, avec sa langue, sa culture et ses traditions, sous couvert de démocratie.

Quelle solution proposent les Tamouls?

Les Tamouls ont toujours voulu une solution politique, et depuis 60 ans ils ont déposé plusieurs propositions. Au début on avait pensé à un Etat fédéral pour l’ensemble du Sri Lanka.
Mais le gouvernement a rejeté catégoriquement cette éventualité. C’est contre le terrorisme d’Etat que les Tamouls ont pris les armes. Ils ne croyaient pas que le terrorisme pouvait être la solution.
La Communauté internationale, elle aussi, parle sans cesse de «terrorisme tamoul» et de «solution politique», mais elle continue à fournir Colombo en armement et à soutenir son offensive militaire. Il y a peu de temps encore on a envoyé des représentants militaires de certains pays (dont les USA, le Pakistan, la Chine, le Bangladesh et l’Inde) dans le Nord-Est du pays, où ils ont bien vu les succès militaires, mais pas les 300 000 réfugiés.

Début décembre s’est tenu en Hollande un séminaire où Europol a débattu des Tigres. Quels Tamouls avaient été invités à cette conférence?

Aucun représentant du peuple tamoul n’avait été invité, en revanche le gouvernement de Colombo était là, qui a fait pression pour interdire les associations tamoules en Europe et restreindre leurs activités.

Quelle est votre réaction?

Il est absurde d’inviter à une conférence des terroristes d’Etat responsables de l’exil vers l’Europe de 500 000 réfugiés tamouls pour discuter avec eux de la manière dont l’Europe doit se comporter envers ces réfugiés.
Rien de tel pour que ceux que l’on pourchasse continuent à l’être. Beaucoup d’entre eux ont pris, comme moi, la nationalité de leur pays d’accueil et se sont intégrés. Qu’attendre d’une pareille démarche? L’objectivité exige que l’on invite les Tamouls et qu’on leur demande quelle est la situation dans leur pays.

Que peuvent faire les citoyens européens pour aider à désamorcer la situation?

Les Tamouls sont reconnaissants d’avoir été accueillis en Europe et d’y vivre en sécurité. Le Sri Lanka exerce une influence sur les gouvernements européens, mais personne ne consulte les Tamouls, bien que nous soyons citoyens de nos pays d’accueil; projettent-ils quelque chose contre nous?
Les citoyens européens doivent exiger de leurs gouvernements qu’ils s’engagent en faveur d’une paix juste et n’appuient pas l’option militaire.

Monsieur le Professeur, nous vous remercions de nous avoir accordé cette interview et souhaitons beaucoup de succès à vos efforts en faveur d’une solution pacifique.    •

*    S. J. Emmanuel naquit en 1934 à Jaffna. Après des études scientifiques à l’université de Colombo, il obtint en 1963 une licence en philosophie. Ensuite, il étudia la théologie à l’université pontificale de Rome. Après son ordination, il exerça son sacerdoce pendant cinq ans à Jaffna avant de pour­suivre ses études à Rome et d’obtenir son doctorat en 1976. Au séminaire de Kandy, il enseigna la théologie systématique puis il fut nommé supérieur du grand séminaire St-Francois-Xavier à Jaffna. De 1992 à 1997, il fut vicaire général du diocèse de Jaffna. Ensuite, il dut quitter son pays et il vit actuellement en Allemagne. Il travaille dans une paroisse et s’investit avec un grand dévouement en faveur de ses compatriotes qui vivent une situation effroyable.