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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°11, 22 mars 2010  >  La fonction du professeur de classe en tant que lien relationnel doit être de nouveau renforcée [Imprimer]

La fonction du professeur de classe en tant que lien relationnel doit être de nouveau renforcée

Interview de Markus Raimann, Directeur du centre scolaire secondaire Remisberg de Kreuzlingen (Thurgovie)

hd. Depuis que se révèle à travers toujours plus de procès judiciaires – et que cela doit être révélé – l’ampleur catastrophique dans laquelle notre jeunesse dérape, tous les citoyens sont appelés à réfléchir de manière responsable dans les domaines touchant la famille, l’école, les loisirs de la jeunesse et la formation des jeunes. On ne berce plus personne de vaines promesses au moyen d’arguments superficiels. Le domaine de la «réforme scolaire» et du «développement d’organisation» doit être passé plus soigneusement à la loupe et doit être soumis à un dialogue objectif. Depuis plus de 10 ans, on ordonne et impose des paquets de réformes complets à la base scolaire. On n’a jamais discuté avec les professeurs si cela avait un sens. Un grand nombre de professeurs expérimentés quittent le service scolaire, une grande partie des enseignants «surchargés» a disparu en raison d’un épuisement pofessionnel (burnout) ou d’un diagnostic psychosomatique.
Si dans les prochains temps, différents aspects vont être éclaircis, cela se fera dans le sens d’une réflexion générale placée dans un cadre général.

Dans de nombreux cantons suisses, la réforme du second cycle bat son plein. Un des arguments avancés, est qu’on désire améliorer la perméabilité entre le niveau inférieur de l’école secondaire (l’ancienne primaire supérieure, aujourd’hui secondaire de niveau G) et le niveau supérieur (autrefois école secondaire, aujourd’hui secondaire de niveau E). Vis-à-vis du contribuable, on a promis en outre de réaliser le tout avec des coûts neutres. Dans l’interview ci-dessous, le directeur s’exprime sur les expériences faites jusqu’à présent.

Horizons et débats: Monsieur Raimann, en tant que directeur d’un centre scolaire secondaire, vous avez déjà assemblé des expé­riences avec le nouveau modèle prévu pour l’enseignement secondaire dans votre canton. Quelle a été la résonance?

M. Raimann: Le travail administratif a clairement augmenté: saisie de la répartition des niveaux par ordinateur, concertation relative au contenu des matières et des changements de niveaux, de nombreux avis aux parents, possibilités de recours des parents, travaux de comparaison pour standardiser les exigences des niveaux. En outre, il faut organiser, pour les branches à niveau comme l’anglais, qui n’était pas enseigné jusqu’à présent à l’école primaire, des examens permettant la répartition (chez nous, dans la douzième semaine de la 1ère classe). Le nouveau modèle n’est pas sans augmentation des coûts, car souvent on doit former plus de contingents à niveau qu’il n’y a de classes. Ainsi, la direction et les enseignants ont du travail supplémentaire ce qui va au détriment de l’enseignement.
On a propagé le nouveau modèle en avançant l’argument que la perméabilité de bas en haut serait plus élevée.

Quelles sont vos expériences à ce sujet?

Il faut faire la différence entre le changement de classe et le changement de niveau.
En ce qui concerne la répartition des classes qui est beaucoup plus importante, le nombre des changements a nettement diminué. Aujourd’hui, il est probablement plus difficile de passer de la classe G à la classe E, ce qui est ambitionné par les parents et les adolescents. Probablement, les enseignants du primaire recommandent plutôt généreusement et disent en cas de doute: Si cela ne marche pas en E, alors à l’école secondaire, on reclassera l’élève au niveau inférieur, l’école secondaire étant de toute façon perméable.
De bonnes mathématiciennes ou de bons mathématiciens sont défavorisés, car les performances en mathématiques n’ont pas d’influence lors d’un changement de classe. Celui qui est plutôt doué au niveau des langues a un avantage, car souvent l’allemand et le français sont des matières de sélection. Celui qui est courageux peut grâce à un apprentissage intensif obtenir de bonnes notes dans la matière «l’homme et son environnement» qui est déterminante pour un changement de classe. Le système favorise plutôt les filles et pénalise les garçons, qui en outre sont mûrs plus tard.
Autrefois, à Kreuzlingen 20% des élèves de collège passaient après la 1ère année du collège à Kreuzlingen en 1ère classe de l’école secondaire. Ces adolescents ont donc redoublé un an, souvent parce qu’ils avaient besoin de cette année pour mûrir ou combler des déficits au niveau de la langue, étant donné qu’ils étaient de langue maternelle étrangère (grande proportion d’étrangers à Kreuzlingen).
De nombreuses communes scolaires en Thurgovie n’autorisent ce redoublement qu’en cas exceptionnel, ce qui ne fait aucun sens car le changement de la 1ère classe G en 2e classe E est incroyablement difficile.
Dans les matières à niveau (mathématiques et anglais à Kreuzlingen), il existe beaucoup de changements aussi bien vers le bas que vers le haut. Au fur et à mesure, environ à partir du troisième semestre, les élévations de niveau sont cependant beaucoup plus difficiles, et alors les passages au niveau inférieur sont plus nombreux que les élévations.

A votre avis, quelles sont les véritables possibilités pour favoriser la perméabilité? Comment pourrait-on organiser l’exigence de la perméabilité de manière sensée?

Le redoublement devrait être autorisé de manière impérative, dans la mesure où l’on peut attendre des performances suffisantes. La perméabilité devrait être limitée aux trois premiers semestres, parce que plus tard des notes élevées justifient une élévation de niveau, mais on n’arrive plus à rattraper le retard sur la matière. Des cours de remise à niveau sont alors nécessaires, et cela coûte de l’argent. Actuellement, quelques élèves qui font preuve de bonnes performances, ont des notes plutôt basses parce que les enseignants ne peuvent pas les faire passer au niveau supérieur, car ils ne pourraient plus rattraper leur retard au niveau de la matière.
Dans l’ancien système, la perméabilité était suffisante, nous avons toujours pu faire passer des adolescents de 2e classe en 3e classe. L’expérience avec le nouveau système montre que la pression sur les élèves a augmenté: les voies sont tracées relativement vite à l’école primaire. Si un élève ne réussit pas à obtenir le niveau maximum partout, il n’est pas question de le recommander à l’école secondaire.

Les tenants du professorat spécialisé avancent l’argument selon lequel la répartition entre de nombreux enseignants permet une plus grande variété pour les élèves et, en cas de mauvaise relation, celle-ci n’a pas d’effets sur toutes les branches à la fois.

Normalement, cela ne correspond pas à la réalité. Avant tout les élèves les plus faibles (secondaire de niveau G) ont besoin d’un encadrement plus étroit, ce qui est plus fa­cile quand il y a moins d’enseignants. Remo Largo, le pédiatre célèbre déclare: sans bonne relation, pas de bonne éducation. Si un enseignant n’a pas la possibilité de construire une relation étroite, il peut alors plus difficilement influencer le succès.
Chez nous, on voit que principalement les professeurs qui enseignent les branches scientifiques ne donnent que quelques heures de cours par semaine à leur classe entière. Le choix professionnel en souffre beaucoup et de manière générale, la relation avec les adolescents aussi.
Lors d’activités comme les camps de classe et les voyages scolaires, ce sera très compliqué dans le nouveau système, si par exemple les professeurs enseignant encore dans d’autres classes sont absents, si beaucoup trop de professeurs spécialisés sont impliqués, ou si, dans les branches à niveau, les élèves ne sont pas tous présents. Des projets internes de classes sur plusieurs heures de cours sont presque impossibles. Des séquences d’enseignement plus longues en toute quiétude sont l’exception, après 45 minutes, il y a souvent un changement.

Que pensez-vous de l’argument, les professeurs spécialisés sont mieux formés que les «généralistes»? Comment voyez-vous l’importance du professeur de classe – justement à notre époque?

C’est certainement exact, seulement ce n’est pas décisif pour le succès des enfants. Pour les généralistes l’enseignement multidisciplinaire est plus facile, ce qui est très important. Les professeurs spécialisés ont souvent une position moins bonne auprès des adolescents, moins de relations étroites et ainsi moins de possibilités dans la conduite de la classe. Aujourd’hui, l’éducation passe souvent avant la transmission du savoir, car les enfants sont moins éduqués à la maison et l’école doit prendre de plus en plus de responsabilités.
La fonction du professeur de classe doit être renforcée. Comme le travail avec les entretiens de parents d’élèves etc. augmente constamment, les enseignants devraient être plus nettement soulagés. Ils devraient pouvoir enseigner le plus possible dans leur propre classe. L’enseignement des branches que les enseignants n’ont pas étudiées devrait être possible en effectuant une simple qualification supplémentaire, en particulier pour la langue allemande.

Quel est pour vous le point central en pédagogie scolaire – par exemple en ce qui concerne la prévention contre la violence juvénile?

L’école devrait de nouveau retrouver plus de calme pour s’occuper de sa mission éduca­tive dans le sens d’un complément d’éducation familiale. Ici, la transmission des valeurs de notre société en fait partie – les normes chrétiennes et les valeurs générales comme le respect et un comportement plein d’égards envers l’autre – ou bien aussi l’amélioration de l’attitude par rapport à l’apprentissage ou aux techniques d’apprentissage, qui est impor­tante. En outre, les contributions à la prévention (alcool, tabac, violence etc.) sont une décision sensée. Toutefois, le principe suivant devrait toujours prévaloir: les adolescents devraient, à la fin de l’école obligatoire, être capables de prendre en main une formation professionnelle, ce qui n’est possible que quand il reste suffisamment de temps pour at­teindre également les objectifs au niveau de la matière.
En principe, on peut dire que les fondements pédagogiques à l’école ne changent pas en permanence, contrairement aux changements relatifs à la gestion d’entreprises dans l’économie. Nous devrions nous raviser au lieu de tout chambouler. Sauf si des recherches montrent qu’un nouveau système livre de manière significative de meilleurs résultats, ce qui en Thurgovie n’a pas été le cas.
Merci beaucoup pour cet entretien.    •

Nous aimerions inviter nos lec­trices et lecteurs d’autres cantons à nous faire part de leurs expériences concernant les changements dans le domaine de l’école secondaire. C’est avec plaisir que nous publierons dans notre journal ces contributions au débat.
Rédaction d’Horizons et débats

L’importance de la communauté de classe

ab. La plupart des spécialistes voient dans l’individualisation croissante des enfants, et du manque d’encadrement et d’instruction dans les familles, une source importante de désorientation et de ten­dance à la violence parmi les adolescents. Si maintenant à l’école des tendances de ce genre se manifestent, cela est très inquiétant. Ainsi, des formes d’enseignement individualisé comme le plan de la semaine, le journal de voyage entre autre, laissent souvent les enfants à leur propre sort. Ils sont beaucoup moins encadrés dans une communauté de classe qu’auparavant où c’était le cas avec l’enseignement de classe. Le ramollissement du principe du professeur de classe et du système de professeurs spécialisés, qui va de pair avec l’introduction de formes scolaires «perméables», est un autre problème pour le nombre croissant d’enfants qui ont besoin d’urgence d’une relation constante. Dans une classe vivante et fonctionnant bien, il existe un potentiel insoupçonné pour aider des enfants ayant, de par leur éducation, un déficit de comportement social. Sous l’instruction d’une enseignante ou d’un enseignant ils peuvent apprendre, avec d’autres enfants ayant selon les circonstances un tout autre arrière-plan familial, à adopter un comportement plus pacifique et à maîtriser des conflits au sein de la classe. Dans chaque classe, il y a des enfants qui ont du fait de leur éducation familiale un comportement constructif d’égal à égal. L’enseignant peut compter sur ceux-ci quand il s’agit de mettre toute la classe sur le bon chemin. Outre l’apprentissage de techniques cultu­relles et de capacités sociales, il s’agit avant tout du fondement et de l’exercice de valeurs sur lesquelles la vie communautaire de notre société reposent: l’aide et la compréhension mutuelles, la tolérance et la prise de responsabilité correspondant à l’âge, et l’engagement actif pour la communauté. Ainsi, l’apprentissage commun au sein de la classe forme un modèle pour la vie future en tant que citoyennes et citoyens dans une démocratie directe.