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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°31, 9 août 2010  >  Thomas Brändle: Le secret de Montreux [Imprimer]

Thomas Brändle: Le secret de Montreux

par Peter Küpfer

Un roman exceptionnel, de la plume d’un écrivain habitant la Suisse centrale, ­Thomas ­Brändle: un labyrinthe où le lecteur se retrouve dès le début dans la peau du commis­saire qui enquête sur deux crimes particulièrement brutaux, à connotation économique. L’auteur rassemble les morceaux d’un ­puzzle de plus en plus inquiétant pour composer un tableau qui, lentement, privera le lecteur de sommeil.

Dès le début, deux coups résonnent, secouant à la fois le public, la classe politique, les médias et chaque contemporain. Peu de jours avant la Fête nationale suisse, deux meurtres abjects ont été commis, presque simultanément, dont les victimes sont deux représentants de la Suisse moderne: Christoph Landolt, conseiller fédéral et depuis peu élu président de la Confédération, et Jean-Claude Lehmann, président de la Banque nationale suisse.
Après être tombée par hasard dans les méandres du labyrinthe au centre duquel il y a deux assassinats commandités, Franziska Fischer, journaliste photographe et ancienne championne d’athlétisme, se met de sa propre initiative à la recherche des deux assassins.
En reconstituant le puzzle, elle peut compter sur l’aide de son ancien compagnon Marco Keller, descendant de Gottfried Keller, membre du Parti radical-démocratique (PRD), actuellement conseiller national et pour beaucoup de ses connaissances un candidat valable au Conseil fédéral. Lui non plus n’agit par intérêt criminologique, mais plutôt parce qu’il tombe pas à pas sur des rapports inquiétants qui l’intriguent vivement.

Un roman-«clé» politique, mais pas seulement

Prenons d’abord Christoph Landolt lui-même, la première victime. Il jouissait pleinement de la vie, c’était un homme politique avec des prises de positions claires qui lui garantissaient le soutien de son parti, l’UDC, et de larges couches de la population. A l’époque, il avait fait campagne, avec beaucoup d’énergie, contre l’intégration de la Suisse à l’EEE, il combattait les courbettes suisses à l’UE et luttait contre le bradage de la patrie. Il porte par conséquent certains traits de l’ancien conseiller fédéral suisse Christoph Blocher.
La deuxième victime, Jean-Claude Lehmann était peu connue. Il menait l’existence discrète d’un président de banque qui restait à l’arrière-plan et dont les traits de ­caractère n’étaient connus que par les initiés. Qui pouvait avoir un intérêt à le faire disparaître? Des questions similaires se posaient quant à Landolt.
En ce qui concerne Marco Keller, il est tout sauf un salonnard et un play-boy. Il appartient au groupe parlementaire traditionnel du PRD, aux vrais radicaux qui, en 1848, avaient fondé la Suisse moderne et étaient restés durant des décennies le parti le plus puissant de la jeune démocratie: ancrage stable dans le libéralisme politique, défendant les intérêts des couches moyennes et des petites et moyennes entre­prises, le tout avec une saine modération, y compris la gestion économe. Au cours des années précédentes, Marco a fait l’expérience que ces vieilles valeurs libérales n’étaient plus appréciées de tous les militants de son parti. Ils jugeaient démodées une grande partie des convictions essentielles pour lui et prétendaient qu’elles empêchaient l’expansion des affaires face à la compétition mondialisée.
L’auteur utilise en partie le style du roman-clé politique. Mais en même temps, il dépasse les règles du genre pour éviter que le lecteur ne se borne à «reconnaître» tel ou tel acteur de la vie réelle. Ce qui l’intéresse est quelque chose de beaucoup plus important: que les gens reconnaissent, dans son tableau de notre époque, ce qui se passe vraiment, qu’ils sont escroqués par ceux qui leur font miroiter leur propre effondrement comme avenir souhaitable.
Voilà l’essence du livre, voilà le «secret de Montreux» soigneusement dissimulé par ceux qui veulent brader la Suisse.

Dans l’esprit de Gottfried Keller

Il n’y a qu’un cercle, une sorte de think-tank qui s’intéresse à Marco et ses positions authentiquement libérales, notamment en matière financière. C’est la «Société Gottfried Keller» qui se tient discrètement à l’arrière-plan des événements tout en agissant pour élargir et consolider continuellement son réseau. Depuis des générations, elle défend les idéaux traditionnels des radicaux-libéraux en se défendant contre l’arrogance d’un Etat devenu obèse et en voulant rendre au citoyen ses droits, tout en insistant sur ses devoirs. Et ceci tout spécialement dans le domaine de l’économie. Car, depuis quelques temps, celle-ci a échappé à tout contrôle démocratique. La «Société Gottfried Keller» s’est intéressée à ce conseiller national devenu embarrassant, lorsque celui-ci avait déposé une motion qui avait scandalisé le «Tout Berne» et la classe politique suisse. Dans son texte, Keller pose – après avoir consacré plusieurs années à étudier les problèmes économiques et financiers face à une économie mondiale de plus en plus titubante – une série de questions inquisitrices auxquelles le Conseil fédéral ne peut et ne veut pas répondre. Mais pour Keller, conscient de l’attitude critique de son ancêtre Gottfried Keller face aux profiteurs du capitalisme qui était alors à ses débuts, il s’agit avant tout de poser ces questions en public.
La question centrale de cette motion est celle de la stabilité du franc suisse. Marco Keller demande au Conseil fédéral comment il prévoit de garantir la valeur du franc dans l’avenir. Etant donné que chaque producteur ou prestataire de services est obligé, selon les lois suisses, d’échanger ses produits ou ses services contre de l’argent, il en résulte directement qu’il a un intérêt et un droit à la stabilité de la valeur de cet argent. Comment le Conseil fédéral, demande-t-il dans sa motion, juge-t-il donc sa propre politique financière quant à la stabilité du franc suisse, puisqu’il a doublé en dix ans l’endettement de l’Etat – qui atteint actuellement 253 milliards de francs – qu’il a abandonné les réserves d’or et permis la vente aux enchères de terrains (abolition de la Lex Koller), tout cela prenant des dimensions de plus en plus inquiétantes? Comment le Conseil fédéral pense-t-il maintenir la garantie de stabilité dans une situation où des capitaux étrangers rachètent de plus en plus de parts dans les banques cantonales? Le dollar, est-il devenu également pour la Suisse la monnaie de réserve de fait et si oui, que prévoit le gouvernement au cas où le ­dollar se trouverait en chute libre? Le Conseil fédéral encourage-t-il la diffusion des données économiques fondamentales dans les écoles, comme par exemple qu’actuellement de tous les flux monétaires qui sont transférés ­chaque jour à travers le monde, 97,5% ne sont plus générés par l’économie réelle? «N’est-ce pas tout simplement une question de temps jusqu’à ce que le système monétaire mondial qui est basé à environ 70% sur le dollar américain s’effondre (inflation)? Quelles seraient les conséquences d’un tel effondrement monétaire pour les gens habitant l’espace économique international suisse qui perdent leur autarcie (souveraineté alimentaire!), conséquence de la division de plus en plus internationale du travail, et d’un éventuel défaut d’approvisionnement de denrées alimentaires quotidiennes?»

La «Société du Mont Pèlerin» et son secret

La «Société Gottfried Keller» attire l’attention de Marco sur une «société clandestine» d’un genre tout différent, la «Société du Mont-Pèlerin». Ce cercle d’experts en économie du monde entier fut convoquée pour la première fois en 1947, précisément au Mont Pèlerin près de Montreux, par Milton Friedman et Friedrich August von Hayek, professeur autrichien en sciences économiques [à ne pas confondre avec l’entrepreneur suisse récemment décédé, Nicolas G. Hayek]. Ces deux économistes appartenaient, à l’époque déjà, aux fondateurs de la pensée néo-libérale qui dicte, aujourd’hui, l’agenda des marchés mondialisés. L’auteur fait participer ses lecteurs à un entretien stratégique des deux en présence du troisième fondateur, Frank Knight, dans le hall de leur hôtel situé au Mont Pèlerin. Il s’agit de la Suisse, qui pour ces maîtres penseurs du néo-libéralisme prônant la privatisation de tous les domaines, est un obstacle à leurs plans de privatisation et de dé-nationalisation. Face à l’opposition attendue des ­Suisses de se faire intégrer comme un autre «global player» même en politique financière et de devoir abandonner leur autonomie monétaire, ils développent un plan aussi génial que diabolique. «Il faut noyauter les partis politiques suisses avec nos élèves. Il faut faire en sorte que la Suisse elle-même devienne un centre de la pensée néo-­libérale ou, mieux, qu’elle évolue en gestionnaire principal des fonds du monde entier. Ainsi, elle ne pourra faire autrement que de garder une foi inébranlable dans l’argent, elle ne pourra que consolider celle-ci et la répandre – ou elle devra périr!»
C’est ça, le «secret de Montreux»; les deux victimes dans le roman policier économique de Brändle deviennent inéluctablement les victimes de cette stratégie.
Ce serait stupide et cela enlèverait aux lecteurs l’envie de s’aventurer eux-mêmes à la poursuite des combines des requins si on commençait à arranger les pièces du puzzle jusqu’à l’image complète. Bornons-nous à avouer ceci: Il semble que Landolt lui-même, avant d’être assassiné, parvienne, indépendamment de Marco Keller, assez près de la situation réelle. Il en informe Lehmann qui est d’accord et l’assure de son soutien. Car ils se sont rendu compte – compréhension tardive dans le cas de Landolt qui, auparavant, avait été le chef de file des défenseurs de divers projets néo-libéraux – que la Suisse ne peut conserver sa souveraineté monétaire que si la banque nationale et d’émission sont entièrement sous contrôle étatique et si la politique monétaire est sous contrôle démocratique, ce qui veut dire: de tous, et non pas d’un club clandestin fonctionnant selon les lois insensées du capitalisme prédateur. En faisant cette analyse, les deux ont signé leur condamnation à mort.

La «tâche bonapartiste»

Avec son roman économique sur la Suisse actuelle, l’auteur écrit beaucoup plus qu’un simple polar. La trame, dramatique et à haute tension, contient un message courageux, clair et bouleversant: Nos économies, au niveau mondial, sont en pleine dérive. C’est une folie. Et pour les fous, la démocratie constitue un danger majeur, puisqu’elle est basée sur la raison. Ainsi le livre est en même temps un appel à tous les lecteurs de copier le modèle de Marco: Poser et reposer avec acharnement les questions qui visent ce qui est dissimulé, ne pas se laisser démobiliser et, une fois la réalité brutale établie, la combattre résolument. L’adversaire est fort, ce qu’illustrent les deux assassinats brutaux et cyniques décrits dans ce livre. Et quand finalement on découvre le monstre hideux qui se cache là-derrière, il faut rechercher le soutien de gens du même avis. Ensemble, il est possible de faire beaucoup.
Marco se décide. Oui, il va le faire. Il répandra ce qu’il a appris au niveau criminel aussi bien que politique à l’occasion d’un discours du 1er-août au Grütli, un discours qui aura sans doute des répercussions dans les médias et dans le public. Ceci atteindra ses ennemis droit au cœur. Car ils sont en train, depuis longtemps, de tirer les ficelles pour que la «tâche bonapartiste», comme ils appellent leur conspiration à dimension globale, aboutisse.
Or, les requins, après avoir profité des conditions paradisiaques que leur offrait l’époque de l’absolutisme, se trouvèrent confrontés aux acquis des démocraties naissantes. Le peuple, tout à coup, voulait savoir ce qui se passait avec son argent, sous forme d’impôts, par exemple. C’est alors que les requins recoururent à la «combine Napoléon». Celui-ci fut présenté comme «l’héritier de la Révolution française». Connaissant ses ambitions, l’évolution de la Révolution française vers la dictature était programmée, dictature qui offrait aux milieux de l’oligarchie bancaire de nouveau les conditions favorables d’agir selon leur agenda sur l’échiquier international, voire mondial à l’époque déjà! Car il était évident que l’ambition de Bonaparte l’inciterait bientôt à se lancer dans de nouvelles guerres, ce qui rendait nécessaire des financements d’envergure. Greenfield, facile à identifier comme baron de Rothschild, finança aussi bien l’armée française que l’anglaise. Cela lui était complètement égal s’il avait affaire à Napoléon ou à Wellington. Mais avec Bonaparte, on pouvait tromper le petit ­peuple. Le peuple l’acclamait, le prenant pour l’héritier de la Révolution et croyant qu’il était à ses côtés. En fait, il préparait son coup d’Etat.
Or, pour les profiteurs du système, l’enjeu est toujours le même: il s’agit de faire croire au peuple que les intérêts des requins sont les siens. Il faut qu’il accepte l’adhésion à l’UE et qu’il sacrifie en même temps son autonomie monétaire et, par conséquent, sa sécurité économique. La tâche de l’élite consiste à lui faire croire qu’il garantit ainsi sa prospérité: davantage de marché, davantage de revenu, davantage de profit. Voilà la tâche bonapartiste. Et c’est cela que Landolt comprend, peu de temps avant sa mort: Que lui-même avait fonctionné pour la Suisse, à plusieurs niveaux, selon la logique de la tâche de Bonaparte.

Un puzzle pas simple, mais qui en vaut la peine

Ainsi, le livre de Brändle est bien plus qu’un polar. C’est une analyse passionnante de notre époque et en même temps un roman palpitant. Là-derrière, il y a un esprit qui sait aller à l’essentiel et qui poursuit ainsi la tradition authentique des Confédérés de Suisse centrale: veiller soi-même à ce que tout se passe bien, y compris dans l’économie. A maintes reprises, la trame de l’action est enrichie par des aperçus historiques, philosophiques et économiques. Ils montrent, entre autres, à quel point les hommes politiques de notre époque qui se sont engagés à nationaliser les banques d’émission et à exiger un contrôle démocratique de la masse monétaire menaient une vie dangereuse. Dans ce contexte, l’assassinat de John F. Kennedy qui se prononça précisément en faveur de ces deux mesures peu de temps avant son assassinat, apparaît sous un autre jour; tout aussi bien que la mort subite du pape Jean Paul Ier, peu de jours après son intronisation, lui qui s’était fixé comme un des piliers de son action l’engagement de l’Eglise catholique en faveur d’une économie à la mesure de l’homme et du contrôle du comportement des banques d’émission. A côté de sa qualité divertissante et palpitante, ces digressions donnent au livre une valeur documentaire, renforcée par les annotations bibliographiques en annexe, encouragent le lecteur à continuer ses propres recherches.
Le livre de Thomas Brändle, unique dans son genre, mérite de trouver un grand nombre de lecteurs intéressés.    •

Thomas Brändle

Né, le 15 novembre 1969 à Liestal. Scolarité à Unterägeri. Apprentissages de confiseur et de boulanger. Différents diplômes et formations professionnels supplémentaires. Voyages, stages et collaboration dans des projets de développement, notamment en Australie, en Bolivie (La Paz) et en Argentine. Dès 2003, député au Grand conseil du canton de Zoug. La motion qu’il a déposée au sujet de la garantie étatique de la stabilité du franc suisse y a fait de grandes vagues. C’est suite au travail de préparation pour cette motion que l’idée de rédiger le roman «Das Geheimnis von Montreux» est née.
Thomas Brändle, Das Geheimnis von Montreux. ISBN 978-3-952 3334-1-9, 2008, Wolfbach Verlag Zürich
Du même auteur:
•    «Einen Augenblick bitte?…!»
Humoristische Kurzgeschichten aus Zug, der Schweiz und der übrigen Welt.
(ISBN 3-85761-289-4)
•    «Noch ein Stück, bitte …!», suite de «Humoristische Kurzgeschichten»
(ISBN 3-85761-292-4)
•    «Armaturen aus Plastic», Satiren (ISBN 978-3-952 3334-9-5)
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