«Non, c’est le manque de compréhension de ce système complexe de l’économie mondiale qui explique même dans les milieux de gauche l’échec permanant de la politique. Nous n’avons pas de politiciens capables de faire de la politique dans l’économie mondiale et nous n’avons pas d’économistes capables de concevoir un design pour cette économie mondiale. Ainsi, l’économie mondiale avance vers l’avenir, toujours de nouveau touchée sans préavis par des crises globales et régionales comme par des gros météorites venant de l’espace. Et le simple citoyen reste sur le carreau – et finalement aussi la démocratie.»Les crises économiques et leurs conséquences politiquesLes économistes ont créé un monde qu’ils ne comprennent pasHeiner Flassbeck*Depuis que nous, êtres humains, sommes descendus des arbres, nous essayons de comprendre le monde qui nous entoure. En ce qui concerne notre interprétation de la nature, nous avons déjà bien progressé. Nous nous sommes séparés des vieux mythes et nous nous sommes appropriés une vue scientifique des choses donnant la priorité à la rationalité et à la logique avant la croyance et les émotions. Avoir recours à la logique de façon conséquenteC’est justement le recours à la logique qui s’est avéré supérieure lorsqu’il s’agit de comprendre le monde et l’adaptation optimale aux réalités qui se trouvent en transformation permanente. Seul celui qui dispose du moyen de la logique peut sélectionner parmi un nombre infini d’affirmations insignifiants ou contradictoires sur ce monde, celles qui sont significatives parce qu’elles sont sans contradiction et peuvent donc être examinées empiriquement. La logique n’a-t-elle pas de place dans l’économie?Dans la soi-disant science de l’économie, il en est autrement. Là, l’essai d’arriver à la connaissance est constamment, avec succès, recouvert par la croyance, par l’idéologie et par la pure représentation d’intérêts. Le phénomène que des groupes de pression et des entreprises intéressés par des résultats prédéterminés «entretiennent» des scientifiques qui n’ont rien d’autre à faire que de mettre en question les résultats de recherches sérieuses ou de les contrecarrer par leurs propres «recherches», cela existe aussi dans d’autres domaines plus orientés vers les sciences naturelles, comme par exemple la chimie. Ce qui, par contre, manque dans les autres domaines, c’est «l’empressement servile» que présentent même des économistes indépendants lorsqu’il s’agit de la question «Marché» envers «Etat». La plupart des économistes n’est malheureusement pas formée comme chercheurs en sciences sociales, mais comme techniciens dont le seul devoir consiste en la compréhension d’un marché apparemment parfait et en sa défense. Cela ressemble – et j’ai présenté cela déjà il y a quelques années (Flassbeck 2004) – plutôt à un jeu de perles en verre qu’à une science. Et dans ce jeu, il s’agit uniquement et exclusivement de l’amélioration du jeu lui-même et non pas d’une connaissance dans le sens d’une meilleure compréhension du monde (cf. Kay 2011 et la réplique de Davidson). Mais comme c’est uniquement la vraie connaissance qui peut être traduite en des actes de politique économique couronnés de succès, les politiciens se retrouveraient sans conseils sérieux pour presque toutes les questions même si au moins ils comprenaient combien ils en ont besoin. Le fantôme: le marché fait tout mieux …Ainsi nous avons permis qu’un monde économique se crée, construit sur quelques préjugés comme par exemple que le marché fait tout mieux. Notre monde aurait au fait besoin d’une régulation infiniment complexe pour pouvoir plus ou moins fonctionner. Des efforts pour arriver à une telle régulation de grande envergure n’existent cependant pas, parce que l’opinion dominante dans l’économie politique et dans la politique croit fermement que le marché ou les marchés arrangeront tout. Les conséquences sont dramatiques. L’économie mondiale titube de crise en crise et les conseils pour les politiciens, prodigués par les «experts», sont chaotiques, ils se contredisent dans presque chaque facette. Les marchés financiers ont pris le commando mais ne savent pas très bien comment l’utiliser, sauf bien sûr pour s’assurer leurs propres prébendes. Et ainsi, la prochaine crise est inévitable. Les politiciens, menés par des juristes, s’adonnent au dilettantismeComme les économistes forment un chœur si polyphonique, les politiciens, menés par une armée de juristes, en viennent à se tricoter leur propre monde économique. Dans ce monde-là, la procédure domine les faits et la pensée sous l’angle de la microéconomie, donc la pensée comme dans un ménage privé, triomphe sur la prise en considération des relations macroéconomiques. La crise de l’euro a ainsi été réinterprétée en une crise dans laquelle quelques «Etats pécheur» auraient quelque chose à se reprocher (gloutonnerie et une vie de débauche), et pour cette raison, ils doivent être condamné par les Etats-juges sages et travailleurs. De cette manière les débiteurs sont désignés d’emblée comme les coupables, et on croyait qu’il ne serait même pas nécessaire de parler des réelles raisons. Le débiteur est condamné à priori parce qu’il est le plus faibleLa condamnation à priori des débiteurs a des répercussions fatales pour la cohabitation des nations. D’un côté, à l’avenir, les débiteurs se montreront sceptiques ou même négatifs concernant toute forme de collaboration internationale parce qu’ils ont l’impression, à juste titre, qu’on leur impose de l’extérieur un diktat tout à fait injustifié qui nuit à leur souveraineté et les force dans un programme néolibéral (cela arrive pour la plupart des fois par la fameuse «conditionality» du FMI, qui consiste en général en la «flexibilisation» et l’ouverture de tous les marchés). Ainsi les systèmes politiques des Etats débiteurs sont poussés à bout à long terme de façon insupportable et intolérable. La diminution des déficits de l’Etat, qui est exigé dans tous les cas, a des répercussions sur les parties de la population le moins capables de surmonter de telles pertes. Les salaires des employés de l’Etat baissent car ce n’est que là qu’on a accès. Des secteurs même pas exposés à la concurrence internationale sont libéralisés (l’électricité et l’énergie en Argentine par exemple), des branches appartenant encore à l’Etat sont privatisées. Cependant, tout cela n’a aucun rapport avec les causes de la crise et est ressenti comme purement arbitraire par les personnes concernées, ce qui est compréhensible. De cette façon, au cours des années 1980 et 1990, presque toutes les populations d’Amérique latine sont devenues des adversaires catégoriques du Fonds monétaire international (FMI). Les gens ont élus systématiquement des gouvernements de gauche pour se soustraire à ce diktat. Les gens désespèrent de la mondialisation, et la démocratie est sérieusement en dangerVu cet échec de la collaboration entre Etats, on peut constater clairement que ce n’est pas seulement la pression directe des lobbyistes qui ramène systématiquement et de façon répétée la politique dans la mauvaise voie. Dans ces relations interétatiques, il n’y a guère d’avantages commerciaux directs qui seraient encouragés par l’agenda néolibéral des créanciers. La privatisation est certainement un des champs d’action où les entreprises multinationales ont des intérêts massifs. Les réductions de prestations de l’Etat pour les plus pauvres par contre, et cela jusqu’au point où l’économie du pays débiteur s’effondre, ne présentent pas non plus d’avantage pour les entreprises. Et lorsque finalement – comme en Amérique latine – des gouvernements de gauche sont élus à la suite de l’agenda néolibéral surmené, les lobbyistes auraient atteint tout le contraire de ce qu’ils voulaient. Pour les uns des richesses incroyables et les autres un revenu misérable: c’est ce qui met en danger la démocratieLorsque l’économie mondialisée n’est plus comprise que comme un système qui apporte aux uns des richesses incroyables et au grand reste au meilleur cas la stagnation ou un revenu misérable, la démocratie est en danger. Démocratie veut dire aux yeux de la plupart des êtres humains non pas seulement qu’ils peuvent élire tous les quatre ans et supporter entre temps ce que l’agenda néolibéral leur demande. Au plus tard depuis la crise financière de 2008, beaucoup de gens ont compris que c’était une grande illusion d’espérer la fin de l’euphorie sur les marchés financiers et que la richesse de quelques uns leur servirait finalement aussi. La deuxième crise, qui vient juste de commencer, leur prendra aussi l’espoir qu’au moins l’Etat démocratique serait en mesure de diriger les choses dans la bonne direction. Mais quoi alors? Rendre la mondialisation plus maniable à travers l’Etat-nationAlors la porte sera grande ouverte pour toutes sortes d’enjôleurs. Ceux qui essayent de profiter de l’échec de la mondialisation auront du succès. Car qu’est-ce qui viendra après l’ère de la mondialisation? La réponse naturelle, pour ainsi dire, serait le retour à l’Etat-nation. Cela ne serait pas mauvais, si des voies simples et tolérantes existaient pour renationaliser un peu le monde globalisé et le rendre de cette façon plus maniable politiquement. Mais il ne peut y avoir de telles voies simples et tolérantes dans un monde dans lequel tant d’êtres humains ont quitté leur patrie et ont ainsi misé leur destin sur l’économie mondialisée. Ils ont émigrés de leurs pays dans l’espoir qu’à la fin, à cause du succès économique de toutes les parties de la population, on ne leur refuserait pas la reconnaissance comme citoyens égaux et c’est eux qui risquent de devenir les vraies victimes de l’échec de la coordination internationale. La démocratie doit avoir la force de diriger le processus dans le sens du bien communDans cent ans, on cherchera des explications pour l’échec politique et économique du début du XXIe siècle. On dira que le manque de volonté politique de diriger tous ensemble une économie mondiale aura été la cause la plus importante. Que cela aurait pu être notre manque de capacité de comprendre des rapports économiques complexes, et notre manque de bonne volonté de les transformer en une politique sans idéologie, une fois de plus – comme déjà concernant la situation au début du dernier siècle – personne ne le croira. Les historiens chercheront des faits et non pas des idées qui manquent. Il nous reste l’espoir d’une nouvelle génération critique qui ne se contente pas de formules toutes faites, mais qui veut aller au fond des choses sans compromis et avec la capacité, propre aux êtres humains, à la pensée logique. Peut-être, nous en avons vu des débuts sur la place Tahrir au Caire, dans le parc Zuccotti à New York et sur la Plaza Italia à Santiago du Chili. Source: Epilogue de: Heiner Flassbeck. Zehn Mythen der Krise. Editions Suhrkamp, Berlin 2012 ISBN 978-3-518-06220-3 (Traduction Horizons et débats) *Heiner Flassbeck est économiste. Depuis janvier 2003, il est économiste en chef (Chief of Macroeconomics and Development) auprès de l’Organisation des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) à Genève. Document final de la Conférence sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développementRésolution A/RES/63/303 adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies* (Extraits)
L’Assemblée générale,Notant la Conférence sur la crise financière et économique mondiale et son incidence sur le développement, qui s’est tenue à New York du 24 au 30 juin 2009, et l’adoption, par la Conférence, du document final, Annexe2. Nous réaffirmons les buts des Nations Unies tels qu’ils sont énoncés dans la Charte, notamment ceux qui consistent à «réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire» et à «être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes». […] Une action rapide et décisive est nécessaire11. Nous nous engageons à travailler solidairement à une réponse mondiale coordonnée et détaillée à la crise et à prendre notamment à cet effet les mesures visant à: Endiguer les effets de la crise et améliorer la capacité de récupération mondiale future21. La crise n’affecte pas seulement les secteurs économiques et financiers. Nous en constatons les effets humains et sociaux et nous observons les problèmes qui se posent quand on cherche à y remédier. Des mesures à court terme doivent tenir compte des objectifs à long terme, en particulier ceux qui concernent l’élimination de la pauvreté, le développement durable, la protection de l’environnement et l’obtention de ressources énergétiques propres et renouvelables, la sécurité alimentaire, l’égalité entre les sexes, la santé publique, l’éducation et la croissance économique soutenue, notamment le plein emploi productif et le travail décent pour tous. Le renforcement des filets de sécurité sociale qui existent déjà, la création de nouvelles formes de protection là où elles sont nécessaires, et la préservation des dépenses sociales sont des conditions importantes d’un développement centré sur l’homme et de la solution des problèmes humains et sociaux déclenchés par la crise. Nous réaffirmons notre volonté de réaliser à temps les objectifs de développement dont nous sommes convenus au plan international et notamment les objectifs du Millénaire pour le développement. […] *adoptée à la 95e séance plénière, le 9 juillet 2009 [sans renvoi à une grande commission (A/63/L.75)] |