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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°46, 21 novembre 2011  >  Comment trancher le nœud gordien de la crise grecque [Imprimer]

Comment trancher le nœud gordien de la crise grecque

 par Hans-Olaf Henkel

Dans la Grèce antique, on appelait les problèmes apparemment insolubles des «nœuds gordiens». Aujourd’hui, nous nous trouvons dans ce genre de situation fatale avec la monnaie unique européenne. Face à la catastrophe menaçante de la dette, nous avons beau retourner le problème dans tous les sens, nous ne nous en sortirons pas tant que nous resterons attachés aux règles actuelles. Et le pire est que plus nous faisons d’efforts, plus nos dettes augmentent et plus le nœud se resserre: scénario catastrophe devant lequel nos politiques ferment les yeux. Mais maintenant la plupart des citoyens ont pris conscience du caractère dramatique de la situation.

L’antique légende du nœud gordien représente une solution simple mais efficace: le roi grec Alexandre le Grand a montré au monde ce que l’on fait dans les situations apparemment sans issue: au lieu d’essayer craintivement de défaire le nœud, il l’a tranché d’un coup d’épée, ce qui a marqué le début de sa victoire.
Mon livre «Rettet unser Geld», paru à l’automne 2010, constitue une première tentative de trancher le nœud gordien de la monnaie unique européenne qui menace d’étouffer l’Allemagne, et cela au moyen de mesures simples qui, à vrai dire, comme dans le cas d’Alexandre le Grand, présupposent l’abandon de quelques règles jugées intouchables: L’euro tel que nous le connaissons doit disparaître. Sous sa forme actuelle, il est le garant du déclin de notre prospérité et également de la communauté qu’il est censé protéger. Ma proposition est la suivante: Comme Alexandre le Grand, nous devons trancher le nœud gordien, c’est-à-dire diviser l’euro en deux: un «euro du Nord» et un «euro du Sud». Tandis que dans les pays du Nord, la catastrophe n’est pas encore très marquée, elle est tangible dans les pays du Sud comme la Grèce, qui ressemble à un tonneau sans fond. Bruxelles lui accorde un plan de sauve­tage après l’autre et à Athènes, les plans de rigueur se succèdent et étranglent l’économie. Les contribuables allemands commencent à être fâchés et les Grecs le sont depuis longtemps. Bien que nous payions de plus en plus, les étudiants athéniens, les chômeurs de Lisbonne et les manifestants madrilènes récriminent contre l’Allemagne. Il n’est donc pas étonnant que nos politiques se voient contraints de faire constamment la leçon aux pays débiteurs du Sud, comme s’ils n’étaient pas eux-mêmes responsables de la catastrophe. Ce n’est pas le destin qui a serré ce nœud gordien mais les politiques européens.
Il est temps qu’ils s’intéressent aux causes réelles de la catastrophe, c’est-à-dire à l’attachement obstiné de cultures économiques différentes à la monnaie unique. Il empêche les pays du Sud de dévaluer leur monnaie et de rester concurrentiels. En même temps, les pays du Nord sont forcés d’envoyer sans cesse de nouvelles aides financières. Ce ne sera certainement pas facile de ­briser la monnaie unique mais il est irresponsable de prétendre qu’il n’existe pas, dans l’intérêt de l’Europe, d’autre solution que son maintien. «La faillite de l’euro signifierait la faillite de l’Europe», a déclaré la Chancelière allemande. Indépendamment du fait que 10 pays de l’UE n’ont pas adopté la monnaie unique, je dis: «L’Europe échoue à cause de l’euro».
Certes, on parle beaucoup de la crise mais on ne réfléchit guère à ses causes. La raison en est qu’on pourrait inopinément dé­couvrir que l’euro lui-même est à l’origine de la crise, or la remise en question de l’euro est devenue un tabou allemand. Il est grand temps de trouver une solution. Chacun sait maintenant qu’en plus de la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie ne viennent pas à bout de leurs problèmes. La France, leader d’opinion en matière d’euro, craint pour sa note de solvabilité, ce qui ne l’empêche pas de caresser l’idée d’euro-obligations qui dégraderaient au niveau CCC non seulement la note de la France et du reste de la zone euro mais aussi celle de l’Allemagne généreuse (autrefois, on aurait dit naïve). On ne trouvera une solution à la politique actuelle de l’euro que si l’on a le courage de rechercher les causes de la crise de l’euro. Si on le fait, on se rendra compte que la crise a été déclenchée par trois facteurs.
Premièrement, conséquence à long terme de la crise financière, de nombreuses banques battent de l’aile. Certains plans de sauvetage de l’euro s’avèrent être des aides cachées aux banques en difficulté.
Deuxièmement, certains pays de la zone euro ont un grave problème de dette et éprouvent de sérieuses difficultés à se procurer de l’argent sur les marchés financiers, notamment pour faire face à leurs dépenses sociales élevées.
Troisièmement, l’euro lui-même porte une part importante de responsabilité dans la catastrophe actuelle. Si les taux de l’euro n’avaient pas été aussi bas, la Grèce n’aurait pas pu s’endetter pareillement et il n’y aurait pas eu en Espagne une bulle immobilière qui ne diffère que de manière quantitative de la bulle américaine qui a ébranlé toute l’économie mondiale. De plus, l’euro a empêché les pays du Sud de rester compétitifs en dévaluant leur monnaie. Par conséquent, la crise qui nous étouffe est aussi une crise de l’euro.
Si les politiques en restent à leur plan A – quoi qu’il en coûte (aux Allemands) – comme l’a déclaré Barroso, chaque pays sera finalement responsable des dettes de chaque pays. On appelle cela euphémiquement «union de transferts». La péréquation financière entre Länder nous a appris douloureusement où mène ce système: à l’irresponsabilité orga­nisée. La compétitivité et la prospérité de toute la zone euro en pâtiraient. Comme les Verts, la Gauche et les socialistes seraient contents! Nous aurions alors dans toute la zone euro l’économie planifiée qui, comme chacun sait, fait en sorte que les choses aillent mal pour tout le monde.
Le plan B, une remise partielle de la dette grecque avec participation ou non du privé, la réduirait certes, mais elle ne changerait rien à son manque de compétitivité. Malgré cela, la Grèce devrait demander une nouvelle remise. La variante consistant à faire sortir le pays de l’euro pourrait conduire à une ruée sur les banques d’Athènes suivie d’un effet domino dans d’autres pays. On comprend que les politiques, les banques et les représentants de l’économie réelle ne veuillent pas prendre ce risque.
Il est donc grand temps d’examiner le plan C qui consiste à trancher le nœud gordien de la crise financière, de la crise de l’euro et de la dette et à rendre à ces trois domaines la liberté d’action dont ils ont un besoin urgent.
Crise financière: Tout d’abord les plans de sauvetage doivent être renationalisés. Jusqu’ici, chaque «sauvetage de l’euro» dissimulait le sauvetage de banques nationales. A l’avenir, les établissements financiers français devraient être sauvés uniquement avec l’argent des contribuables français. En tant que partisan convaincu de l’économie de marché, j’ai du mal à franchir un autre pas drastique, mais en France comme ailleurs, le secteur bancaire doit être nationalisé temporairement. Les Etats-Unis et la Suède l’ont fait avec succès. Pour l’Allemagne, ce ne serait guère indiqué puisque presque deux tiers des banques et une proportion encore plus importante d’emprunts grecs sont déjà aux mains de l’Etat.
Crise de l’euro: Au lieu de laisser agir Sarkozy et les «romantiques» de Bruxelles, Merkel devrait prendre les choses en mains et, avec les pays du Nord qui possèdent une même culture financière et économique, fonder une nouvelle monnaie, l’«euro du Nord». A l’Allemagne viendraient s’ajouter l’Autriche, les Pays-Bas, la Finlande, de même que les pays qui ne se sont toujours pas dé­cidés pour l’euro, comme la Suède, le Danemark et la République tchèque. L’adhésion d’autres pays de la zone euro, comme l’Irlande, devrait être possible quand ils auraient assaini leurs finances. En plus de la Banque centrale européenne (BCE), qui resterait responsable de l’euro, la Bundesbank, par exemple avec un président finlandais, pourrait introduire l’euro du Nord relativement vite. Le reste du «mécanisme» serait le même que lors de l’introduction de l’euro. Comme il a été possible de réduire à une seule monnaie les monnaies de 17 pays, il devrait être également possible de faire deux monnaies à partir d’une seule.
Les avantages sont évidents: contrairement au plan A, il n’y aurait pas d’union de transferts financée par l’Allemagne; contrairement au plan B, il n’y aurait pas à craindre une ruée sur les banques. En outre, un euro dévalué permettrait aux économies de pays comme la Grèce et la France de rétablir leur économie et il nous protégerait mieux de l’inflation.
Crise de la dette: Avec deux monnaies correspondant mieux aux différentes cultures économiques et financières et un désendettement partiel des pays du Sud par le Nord, chaque pays pourrait dorénavant résoudre lui-même sa crise de la dette. Les Allemands resteraient dans une union monétaire et ne retomberaient pas dans une union de transferts. Les politiques allemands n’auraient plus besoin de plonger leur nez dans les affaires déplaisantes d’autres pays, ne seraient plus en butte aux critiques et pourraient enfin se concentrer sur leur pays.
Certes, un euro du Nord réévalué nuirait aux exportations, mais étant donné que nous sommes devenus le deuxième champion du monde des importations et que maintenant déjà 45% de nos exportations ont déjà été importées, ce serait un risque calculé. Avec un euro du Nord, le risque d’inflation serait considérablement réduit. Les deux banques centrales pourraient mieux réagir avec une politique des taux adaptée à des cultures et à des conjonctures différentes que dans le système actuel de la monnaie unique.
Comment réaliser le changement? Comme nos partis ne veulent pas revenir à la raison, un nouveau parti devrait les secouer. Depuis que j’ai fait officiellement ma proposition, il semble que de plus en plus de membres du Parti libéral (FDP) semblent se détourner de leur ligne romantique pro-euro qui dépend manifestement encore de
l’influence de l’ancienne diplomatie de chéquier de Hans-Dietrich Genscher. De plus en plus d’Allemands comprennent où mène la ligne politique actuelle: à un endettement qui augmente sans frein et aboutira à la mainmise de l’Etat sur les fortunes privées des Allemands ou à l’inflation ou aux deux à la fois.
Nous ne devrions pas permettre cela. Il est encore temps de percer à jour la situation dans laquelle nos politiques se sont empêtrés à la légère et de trancher enfin le nœud gordien de la monnaie unique qui nous a été imposée.
Qu’attendons-nous encore?    •

Le présent texte correspond à la préface de l’ouvrage de Hans-Olaf Henkel «Rettet unser Geld! Deutschland wird ausverkauft – Wie der Euro-Betrug unseren Wohlstand gefährdet» (2e édition, octobre 2011, ISBN 978-3-453-18284-4)
(Traduction Horizons et débats)

ef. Hans-Olaf Henkel, ancien partisan de l’euro qui croyait aux promesses de stabilité, est devenu un adversaire déterminé de la monnaie unique. Comme beaucoup d’autres, il croyait à la fiabilité des critères de stabilité fixés pour la monnaie unique dans le Traité de Maastricht. En outre, la Cour constitutionnelle fédérale avait, en 1993, posé comme condition d’adoption éventuelle de la monnaie unique par l’Allemagne la clause de «non-renflouement» (no-bail-out) et même considéré impérative, en cas contraire, une solution de sortie. Dans son livre, Henkel écrit avec honnêteté comment il en est arrivé à penser que sa préconisation de l’euro a été la plus grande erreur d’appréciation professionnelle de sa vie.
Dans son ouvrage «Rettet unser Geld», il évoque l’histoire de la création de cette monnaie artificielle qu’est l’euro et ses tenants et aboutissants politiques. Il révèle que la véritable naissance de l’euro, que l’on a toujours cru être due à un processus d’unification politique d’ensemble, est le résultat d’un chantage du président français François Mitterrand: Citant des documents secrets du ministère des Affaires étrangères qui ont été déclassifiés, Henkel montre que Mitterrand a demandé à l’Allemagne l’abandon du deutschemark en échange de son accord sur la réunification. Sinon l’Allemagne aurait été, selon lui, aussi isolée en Europe qu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Il montre que dès le début de l’union monétaire les politiques n’ont cessé de faire des concessions aux autres pays de l’UE et ont bradé l’Allemagne. Il montre également que lors de la première grande crise (Grèce), tous les mécanismes qui garantissaient la stabilité de l’euro ont été jetés par-dessus bord et comment on a brutalement abandonné la clause de non-renflouement quand on a décidé du «plan de sauvetage».
Aujourd’hui, nous avons une cassure Nord-Sud entre des pays pauvres et des pays riches. A cela s’ajoute un clivage Est-Ouest où les anciens satellites du centralisme de Moscou craignent un nouveau centralisme: celui de Bruxelles. A ce sujet, Henkel écrit: «Jusqu’ici, presque personne n’a voulu voir les différences bien qu’elles soient devenues évidentes. Deux clivages sont apparus en Europe: Le premier se manifeste dans la division économique entre le Nord et le Sud. […] L’autre consiste dans une division affective entre une union politiquement intégrée qui préfère l’Ouest et une union économico-militaire qui préfère l’Est parce que là, l’indépendance des pays membres est sauvegardée. Quant à moi, je plaide en faveur de cette dernière: A une patrie unique appelée Europe je préfère une Europe des patries.»
Henkel nous adresse une mise en garde: En poursuivant la voie adoptée jusqu’ici, l’union monétaire se transforme inévitablement en une union de transferts.
Pour sortir de la crise actuelle, Henkel plaide en faveur de la création d’une nouvelle monnaie qui tienne compte des différences nationales, c’est-à-dire un euro du Nord et un euro du Sud.
Son idée de diviser la zone euro en fonction de la situation économique réelle est une proposition sérieuse à intégrer dans le débat.