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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°24, 11 juin 2012  >  En politique étrangère, davantage de démocratie permet de mieux s’imposer [Imprimer]

En politique étrangère, davantage de démocratie permet de mieux s’imposer

Votation populaire du 17 juin: Accords internationaux – la parole au peuple!

Interview de l’ambassadeur Johannes Kunz*

Horizons et débats: Quelle est l’importance de la participation et de la codécision des citoyens dans notre démocratie?

Johannes Kunz: La possibilité d’exercer une influence sur tous les domaines de la vie publique, très importante en Suisse grâce à l’institution de la démocratie directe, est fondamentale pour la liberté, la sécurité et le bien-être de chaque individu. Dans mon livre, j’ai parlé d’optimisation de la souveraineté à laquelle nous parvenons grâce à la démocratie directe en combinaison avec le service militaire obligatoire et la neutralité perpétuelle. La démocratie est donc également une garantie de l’indépendance et de l’autodétermination de notre pays dans le monde. L’Europe montre aujourd’hui ce qui arrive quand les citoyens ne peuvent participer aux décisions que d’une manière limitée. Cela se passe sans doute de commentaires.

La participation en matière de politique étrangère est-elle réglementée de manière satisfaisante?

Dans toutes les démocraties, la politique étrangère est le domaine le plus isolé du processus démocratique. C’est le domaine dans lequel une élite disposant de très bons réseaux au niveau international prétend réglementer, dans un nombre incalculable de forums, les rapports entre les Etats et les peuples et faire en sorte que les éventuels conflits inévitables soient résolus à l’amiable et de manière pacifique. Cependant les peuples, c’est-à-dire les citoyens, n’ont guère leur mot à dire. Leur participation est ressentie par les élites comme gênante et elles l’empêchent sous prétexte que les négociations diplomatiques doivent être menées dans la plus grande discrétion si l’on veut qu’elles aboutissent. Il est évident que des indiscrétions nuisent au déroulement des négociations et que celles-ci ont peu de chance d’aboutir si chacun s’autorise à mettre son grain de sel. Un diplomate qui négocie selon un mandat parfaitement légitimé démocratiquement est sans aucun doute dans une position de force pour négocier. Donc également en politique étrangère, davantage de démocratie permet de mieux s’imposer. A cet égard, dans notre démocratie directe, la participation des citoyens n’est pas réglementée de manière satisfaisante.

Le sénateur américain Wayne Morse a déclaré en 1965 déjà, lors d’une interview télévisée, que la politique étrangère des Etats-Unis devait être déterminée par le peuple et que le Président devait se contenter de la mettre en œuvre. Qu’en pensez-vous?

Ce serait bien, mais Morse savait certainement à l’époque déjà qu’il n’en va absolument pas ainsi. Les Etats-Unis sont sans doute l’exemple le plus évident de la manière antidémocratique dont la politique étrangère est menée dans les démocraties. Depuis le 11 septembre 2001, il est habilité à mener des guerres presque partout dans le monde au nom de la lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, c’est aussi une conséquence de l’absence d’un service militaire obligatoire: seuls les soldats de métier se laissent embarquer dans des opérations militaires absurdes. Des soldats de milice ne se laisseraient pas longtemps engager dans des opérations dont ils ne comprennent pas le sens, comme le montre la guerre du Vietnam, perdue par les Etats-Unis, qui a été menée par des soldats recrutés dans le cadre du service militaire obligatoire.

Notre politique étrangère fonctionne-t-elle dans cet esprit?

Il est évident que le Conseil fédéral qui, contrairement au président américain, ne dispose pas d’une légitimité démocratique directe, est bien plus encore uniquement l’exécutant de la volonté populaire. Cela se manifeste dans le caractère collégial du Conseil fédéral qui en fait le directeur suprême de l’administration fédérale. Il a une marge de manœuvre politique plus étroite que le président américain parce qu’il n’est pas habilité à gouverner sans le Parlement ni à opposer son veto à des décisions du Parlement. Cependant, en politique étrangère, le Conseil fédéral s’est préservé une grande autonomie, d’une part pour les raisons que j’ai mentionnées au début de cette interview et d’autres part à cause du manque d’intérêt du Parlement et du peuple, qui ont tous deux, pendent des dizaines d’années, pour ainsi dire abandonné la politique étrangère au Conseil fédéral. Mais depuis 20 ans environ ce n’est plus le cas.

Dans quelle mesure le peuple a-t-il son mot à dire en politique étrangère?

Depuis 90 ans, grâce au référendum facultatif, le peuple suisse a la possibilité, unique au monde, de faire connaître son opinion en matière de traités internationaux. Il y a 20 ans, il a recouru au référendum contre le Traité sur l’EEE et en le refusant, il a fait un premier pas contre l’adhésion voulue par la majorité du Conseil fédéral et de l’administration. On pourrait en conclure que l’instrument de la participation est suffisamment fort pour empêcher ce genre d’évolution catastrophique. Cependant, étant donné l’entrelacement de plus en plus serré des traités internationaux et du nombre croissant des participations à des organismes internationaux qui imposent à leurs Etats membres de plus en plus d’obligations, les normes intérieures entrent de plus en plus en conflit avec les obligations du droit international car en Suisse, on part de l’idée que le droit international prime sur le droit national. Toutefois, le droit international n’a pas la même légitimité démocratique que le droit national. Il est issu aujourd’hui de négociations entre des experts de différents pays qui sont tous mandatés par leur gouvernement (pas toujours) élu démocratiquement. Le résultat de ces négociations sont des traités qui entraînent souvent des modifications législatives chez les partenaires de négociations. En Suisse, ces amendements sont soumis au référendum facultatif et peuvent être repoussés par le peuple, ce qui, au point de vue international, est considéré comme une rupture du traité, car celui-ci ne peut plus être appliqué sous sa forme convenue. En exigeant un amendement législatif, le traité international a le même effet qu’une norme constitutionnelle qui doit nécessairement répondre à la norme législative. Cependant une norme constitutionnelle ne peut être créée ou modifiée qu’avec l’approbation du souverain, c’est-à-dire, en Suisse, le peuple et les cantons. Par conséquent on ne comprend pas pourquoi, dans le cas d’un traité international, qui a force de norme constitutionnelle, on n’appliquerait pas les mêmes principes démocratiques fondamentaux: le référendum obligatoire et la majorité du peuple et des cantons. L’asymétrie actuelle entre la norme constitutionnelle et le traité international incite le gouvernement à introduire dans la législation suisse des projets difficiles à imposer politiquement par le biais de traités internationaux, pratique tout à fait courante au sein de l’UE. Pour empêcher à l’avenir une évolution qui devient de plus en plus vraisemblable en Suisse, le peuple ferait bien de conserver sa participation aux décisions de politique étrangère en prenant les mesures constitutionnelles appropriées. Il empêchera ainsi qu’à l’avenir, des juges décident si un amendement de la Constitution impliquant des obligations – réelles ou supposées – qui relèvent du droit international est possible ou non.

Quelles décisions de politique étrangère de ces dernières années ont eu une grande portée?

C’est une question difficile. Toutes les décisions populaires n’ont pas forcément une grande portée, et souvent des évolutions sont déclenchées par des événements banals. Le «non» au Traité sur l’EEE me semble montrer la voie. Avec un «oui», nous serions de toute façon devenus membre de l’UE car la dynamique n’aurait pas pu être stoppée. Les rares personnes qui, à l’époque, ont mené l’opposition ont eu un mérite historique: elles ont œuvré en faveur de la liberté, de l’indépendance et de la prospérité de la Suisse. La décision sur l’EEE est également une preuve de ce que le peuple, quand il s’agit de questions existentielles, prend finalement toujours les bonnes décisions. L’Accord Schengen a aussi été important.
En l’approuvant, la Suisse a abandonné le droit de l’Etat souverain de décider qui peut s’établir sur son territoire. Cette décision a montré que le peuple peut également se tromper.
La démocratie directe, quand on l’exerce, ne protège pas contre l’abus de pouvoir, contre l’erreur.    •

*Johannes Kunz s’exprime ici uniquement en tant qu’auteur et ne représente pas l’opinion du Département des Affaires étrangères.