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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°18, 11 mai 2009  >  Vol de terres agricoles au détriment du tiers-monde [Imprimer]

Vol de terres agricoles au détriment du tiers-monde

La situation à Madagascar

Depuis quelque temps, des grands groupes achètent et louent, également au nom de gouvernements nationaux, des terres aux superficies considérables des pays du tiers-monde pour y pratiquer une agriculture industrielle. Les récoltes sont exportées vers les pays commanditaires. Or la population des pays où ces terres sont cultivées souffrent de la faim. Maintenant on parle ouvertement de turbo-colonialisme ou de néocolonialisme. Cette pratique est en contradiction avec les résultats scientifiques de l’«Evaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement» (IAASTD) établie par le Conseil mondial de l’agriculture à la demande des Nations Unies. Seule une agriculture régionale, durable et diversifiée peut approvisionner le monde entier. Les velléités néocolonialistes qui se sont manifestées dernièrement sont à l’opposé d’une solution objective et humaine du problème alimentaire et engendreront inévitablement des conflits.

rl. Fin 2008, on apprenait par les médias qu’il y avait un «conflit» entre le président du gouvernement malgache d’alors, Marc Ravalomanana, et le maire de la capitale Antananarivo Andry Rajoelina.
Ravalomanana a été renversé avec l’aide de l’armée. Rajoelina est devenu le nouveau président de Madagascar. Les dessous de ce putsch ne sont toujours pas connus. La situation économique et politique de l’île s’est détériorée très rapidement ces derniers temps. La mise au point des grands programmes d’aide a sans doute joué un rôle important. Depuis la mi-avril, la grande organisation humanitaire Care alerte sur une grave cata­strophe humanitaire qui se préparerait à Madagascar. Outre ces troubles politiques, l’île a été frappée par deux grands ouragans tropicaux. De plus, le Sud souffre d’une grande sécheresse. Ces trois catastrophes ont augmenté le nombre des personnes souffrant de la faim. Selon les indications du gouvernement, 150 000 hommes seraient victimes de ces crises. Actuellement, 14% de la population serait sous-alimentée.

Contrats immoraux

Peu après son avènement, le nouveau président Rajoelina a promis d’examiner tous les contrats conclus par ses prédécesseurs. Est concerné en premier lieu un contrat de fermage portant sur 1,3 million d’hectares d’excellentes terres arables conclu avec la firme sud-coréenne Daewoo Logistic. Les autres contrats internationaux concernent l’extraction de nickel, de cobalt, de titane, d’or, de charbon, de platine et d’uranium par des groupes du Canada, d’Australie, d’Afrique du Sud et de Grande-Bretagne. On connaît les détails des contrats conclus avec Daewoo Logistics. 1,3 million d’hectares d’excellentes terres arables ont été loués sans intérêts pour une durée de 99 ans (en comparaison, la Suisse dispose de 4,1 millions de terres arables). En contrepartie, Daewoo a offert d’embaucher des travailleurs agricoles non qualifiés sur les champs prévus pour la culture du maïs et de l’huile de palme qui doivent être exportés vers la Corée du Sud. Ces deux produits servent de nourriture ou d’agrocarburant. Quand on songe que Madagascar possède 2,5 millions d’hectares de terres arables, on s’aperçoit que la moitié du pays est louée à une firme étrangère. Madagascar est un pays très pauvre. C’est pourquoi ce traité est considéré non seulement comme contestable mais comme immoral. La société sud-coréenne a annoncé récemment son retrait, déclarant qu’elle cherchait «un climat plus favorable aux investissements dans l’agrobusiness» (cf. www.ntv.de du 14 avril).
Tout comme la République du Congo, Madagascar possède de gigantesques gisements de matières premières ainsi qu’une flore et une faune riches. L’île a été entravée dans son développement par les intérêts coloniaux. Jusqu’en 1896, le pays était un royaume autonome qui possédait une riche culture et une longue histoire. Il a résisté longtemps aux puissances coloniales, mais à la suite du Congrès de Berlin (1896), le pays a été occupé par l’armée française et a été déclaré protectorat. Même après son indépendance, il a été exposé à l’avidité des sociétés occidentales. Jusqu’à son changement de régime, Madagascar était considéré comme un pays «modèle» du tiers-monde. Les institutions-clés de la coopération multilatérale étaient la Banque mondiale, le PNUD, l’UE et l’USAID.
Ces organisations ont élaboré le Madagascar Action Plan 2007–2012 en collaboration avec le gouvernement. On a fait la cour aux «investisseurs» étrangers. Les projets comme celui de Daewoo Logistics y étaient-ils inclus?

Développement au détriment des petits paysans

D’autres gouvernements ont conclu des contrats similaires à celui signé entre l’ancien gouvernement de Madagascar et Daewoo Logistics. Selon une étude de l’ONG Grain (www.grain.org/landgrab), de plus en plus d’Etats essaient d’assurer leur approvisionnement en denrées alimentaires et en carburant et de trouver de nouveaux projets grâce à l’achat ou au fermage de terres agricoles. Ce qui a déclenché ce processus, c’est l’explosion des prix de l’alimentation et des carburants en 2008.
Ce développement est contraire à une politique agricole raisonnable au plan mondial, comme le souligne l’IAASTD. Au lieu d’encourager les petits paysans, on les expulse de leurs terres ancestrales pour promouvoir l’agriculture industrielle aux mains des grands groupes. On détruit tout: les connaissances régionales sur les plantes indigènes et les méthodes de culture, la culture paysanne. Au Pakistan, par exemple, on a fait état de 2,7 millions d’hectares propres à l’agriculture industrielle. Si les projets du gouvernement se réalisent, il faudra s’attendre à l’expulsion de 25 000 paysans (cf. Klaus Pedersen, Junge Welt du 28 avril).

Des vols de terres dans le monde entier

Le Middle East Foodstuff Consortium, qui regroupe 15 investisseurs d’Arabie saoudite sous la direction du Bin Ladin Group, a été chargé par le gouvernement saoudite de résoudre à long terme les problèmes d’approvisionnement par l’exploitation de terres étrangères. Morgan Stanley a récemment acheté 40 000 hectares en Ukraine. Hyundai Heavy Industries a loué 50 000 hectares dans l’Est de la Russie. D’énormes superficies ont notamment été vendues ou louées en Indonésie, au Soudan, au Myanmar, au Laos, au Zimbabwe et au Pakistan. La plupart du temps, on négocie des contrats bilatéraux avec les gouvernements, on supprime d’éventuelles restrictions à l’exportation des produits alimentaires, on se met d’accord sur la reprise future de l’affaire par des sociétés privées et on garantit la longue durée des contrats. Le fait que l’on négocie avec des régimes corrompus est plutôt la règle que l’exception.
Un exemple nous servira à montrer l’absurdité de cette évolution. En 2007, le Soudan a reçu des Etats-Unis 283 000 tonnes de millet à titre d’aide au Darfour. En même temps, le pays a exporté la même quantité de blé. En 2008, il en a même exporté le double. Ces exportations provenaient essentiellement des terres louées à l’Arabie saoudite (plus de 10 000 hectares) et aux Emirats arabes unis (378 000 hectares) (cf. Süddeutsche Zeitung du 1er avril).

Mise en œuvre du Rapport de l’IAASTD

Aujourd’hui déjà, les pays en développement seraient en mesure d’assurer leur subsistance et ils pourraient sans difficultés fournir des produits alimentaires aux pays industrialisés. A lui seul, le Congo pourrait fournir toute l’Europe. Grâce aux revenus du commerce des produits alimentaires et des matières premières, ces pays pourraient se développer et contribuer à l’essor du commerce mondial.
Le Rapport du Conseil mondial de l’agri­culture (IAASTD), projet mondial élaboré à la demande des Nations Unies par 400 spécialistes de l’agriculture, parvient à la conclusion sans ambiguïté qu’une solution durable du problème de la faim dans le monde qui tient compte aussi bien des problèmes climatiques que de la destruction de l’environnement ne peut être résolu que grâce à une agriculture multifonctionnelle, régionale et portant sur des petites surfaces (cf. Horizons et débats no  44 du 3/11/08 et no  17 du 4/5/09).
Un développement intelligent ne peut s’effectuer que si les pays riches collaborent avec les pays pauvres. Tous les hommes ont le droit de jouir de la prospérité dans l’égalité.    •