Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°42, 23 octobre 2011  >  La démocratie a besoin de fortes personnalités [Imprimer]

La démocratie a besoin de fortes personnalités

Les prochains choix politiques de l’Allemagne

par Karl Müller

Ils étaient 15, les députés du Bundestag allemand, 11 CDU/CSU et 4 FDP, le 29 septembre dernier, à voter autrement que les chefs de leur groupe parlementaire et la majorité de leurs collègues. C’est l’occasion pour nous de réfléchir, une fois de plus, à l’importance du rôle joué par les individus dans l’histoire. Ces 15 députés ont prouvé que l’individu est capable d’agir différemment de ce que «le système», «les médias», «le Parti» leur demandent. Les hommes, y compris les politiques, ne sont pas des machines sans volonté et susceptibles d’être programmées. Ils peuvent et doivent prendre des décisions dans un esprit de liberté et de responsabilité.

Supposons que la majorité absolue du Bundestag, soit 311 députés, se soit prononcée comme ces 15 députés, l’Allemagne se serait opposée à l’extension du FESF, donnant ainsi une autre direction à l’avenir européen. D’autres pays se seraient-ils opposés à l’Allemagne? L’Europe, voire le monde entier, auraient-ils péri? Certainement pas. La règle en vigueur chez les peuples civilisés se serait imposée: on aurait cherché en commun une meilleure solution.
Il se trouve cependant que ceux qui, aujourd’hui, remettent en question la tendance majoritaire de l’UE s’exposent à une opposition violente. Les députés mentionnés ci-dessus ont déjà vécu cela, comme récemment les courageux Slovaques autour de Richard Sulìk. Il n’en reste pas moins vrai que s’accommoder de la pensée unique et réprimer son propre avis sonnent le glas de toute démocratie. Si l’individu commence à douter d’être capable de faire bouger les choses, s’il croit qu’il est impuissant et que les choix politiques officiels sont «sans alternative» – ce qui n’est rien d’autre qu’une atteinte à la conscience d’être libre et responsable – la démocratie meurt. Et c’est valable pour n’importe quel pays, donc également pour l’Allemagne.
Mais l’Allemagne, spécifiquement, court d’autres dangers:
•    La politique menée jusqu’ici, qui consiste à «renforcer l’intégration européenne», menace les fondements de la Constitution allemande. C’est ce qu’ont notamment mis en évidence les trois récents arrêts de la Cour constitutionnelle sur le Traité de Maastricht, le Traité de Lisbonne, l’aide à la Grèce et le plan de sauvetage de l’euro, décisions qui ont été vivement critiquées par ceux qui veulent davantage de pouvoirs pour les autorités de Bruxelles et de Strasbourg et un Etat européen centralisé.
L’Union européenne est précisément sur cette voie. Le professeur Karl Schachtschneider et ses collègues l’ont démontré à nouveau dans deux livres récemment parus (W. Hankel, W. Nölling, K. A. Schachtschneider, S. Spethmann, J. Starbatty: Das Euro-Abenteuer geht zu Ende. Wie die Währungsunion unsere Lebensgrundlagen zerstört [L’aventure de l’euro touche à sa fin. Comment l’union monétaire détruit nos conditions de vie], 2011, ISBN 978-3-86445-001-3; ainsi que K. A. Schachtschneider: Die Rechtswidrigkeit der Euro-Rettungspolitik. Ein Staatsstreich der politischen Klasse [L’illégalité de la politique de sauvetage de l’euro: un coup d’Etat de la classe politique], 2011, ISBN 978-3-86445-002-0). Le titre du premier ouvrage indique clairement que pour ces auteurs cette voie touche à sa fin.
Le président de la République fédérale Christian Wulff, lors des cérémonies de commémoration des 60 ans de la Cour constitutionnelle a posé la question de savoir si «la condition fondamentale de notre système constitutionnel – le respect du droit par les citoyens – ne souffrait pas lorsque la loi est contournée par les élites économiques qui ne respectent pas les traités et par les politiques qui violent les règles […]». Et d’ajouter, à propos d’une série de décisions fondamentales prises ces trois dernières années: « La Loi fondamentale nous contraint, lors de décisions concernant les conditions de vie des citoyens, à la transparence, au soin et à la réflexion. Les processus démocratiques nécessitent un grand effort, de larges débats afin de convaincre et d’aboutir à un consensus. Ils ont besoin de temps. C’est notamment le cas quand les choix définissent les grandes orientations d’avenir.» On voit bien ici que la politique allemande se trouve actuellement à une croisée de chemins décisive.
•    La chancelière Angela Merkel a montré qu’elle était prête à céder devant la pression exercée par le FMI et la Banque mondiale et par le gouvernement américain en mettant à la disposition des banques qui se sont livrées à des spéculations risquées en matière d’emprunts d’Etats des milliards d’euros pour les «recapitaliser», cet argent provenant, une fois de plus, des contribuables allemands. Il est évident que la «recapitalisation» des banques doit remplacer celui du «refinancement» des Etats, ce qui jette une lumière crue sur le nouveau concept de FESF décidé récemment par le parlement allemand puisqu’il s’est vu attribuer cette compétence.
•    Il serait pourtant réducteur de se borner aux menaces (mentionnées ci-dessus) pesant sur la démocratie allemande, attitude qui serait conforme aux intérêts des partis d’opposition. Les dirigeants du SPD (parti social-démocrate) et des Verts se sont donné pour objectif l’intensification du processus d’intégration européenne – cela même avec davantage de vigueur que d’autres – et ils se sont exprimés aussi d’une manière beaucoup plus claire en faveur de nouvelles interventions militaires allemandes, ce qui veut dire qu’un changement en vue d’un gouvernement constitué par ces deux partis ferait, dans le meilleur des cas, tomber le pays de Charybde en Scylla.
•    Il existe en Allemagne des voix qui, comme à la fin de la République de Weimar, ne critiquent pas seulement le règne des partis mais veulent le remplacer par la domination d’une minorité (experts, élites, etc.). On assiste, ces derniers temps, à la parution de livres publiés par des maisons d’édition renommées et portant des titres tels que Weniger Demokratie wagen [Osons réduire la démocratie]. On peut s’attendre à des conceptions assez autoritaires, à des idéologies salvatrices. Mentionnons également des leaders des Verts comme Jürgen Trittin, un des deux présidents de groupe parlementaire écologiste au Bundestag. Il y a 10 ans déjà, lors d’une longue conférence prononcée à Hambourg (il était alors ministre de l’Environnement), il avait expliqué pourquoi il était contre davantage de démocratie directe, contre les référendums parce que les majorités existantes dans la population se souciaient trop peu du sort des générations futures. C’est pourquoi le pays avait besoin des Verts, parti actuellement encore minoritaire, mais jouant le rôle de défenseur des générations à venir. Il est utile que vienne de paraître une brochure intitulée Die Grünen. Rote Wölfe im grünen Schafspelz. [Les Verts, des loups rouges déguisés en agneaux verts] dont l’auteur est l’excellent conseiller politique Peter Helmers, brochure qui révèle au grand jour la politique des élites vertes.
•    Dans une interview accordée au magazine politique «Compact» (8/2011), Karl Albrecht Schachtschneider a donné une réponse très intéressante à la question de savoir si l’UE était en train de devenir une dictature ou de sombrer dans le chaos: «L’un et l’autre, l’un n’étant que le levier de l’autre». Il ne faut pas s’attendre à davantage de démocratie de la part de ceux qui caressent l’idée de soulèvements, voire d’utilisation de la force. L’histoire nous apprend qu’agissant dans les coulisses, les très riches et les puissants ont toujours su tirer profit du potentiel revendicateur des citoyens pour les amener à défendre leurs intérêts très particuliers. Qu’on lise à ce sujet les livres d’Antony C. Sutton «Wall Street and the Bolshevik Revolution» (1974) et «Wall Street and the Rise of Hitler» (1976). Et même si cela ne «profite» à personne: il n’y a pas de violence «humanitaire». Il suffit de considérer les guerres de l’OTAN pour se rendre compte combien ces théories sont hypocrites et fausses.
•    Connaissant l’histoire de leur pays, et notamment celle des 20 dernières années, les citoyens et les politiques allemands doivent tout faire pour empêcher que l’Allemagne ne participe à d’autres guerres d’agression. Malheureusement, le gouvernement américain est en train de préparer d’autres guerres et tente d’y entraîner les pays européens.
Dans l’Etat démocratique, la Constitution est la forme concrète donnée au contrat social. Les lois règlent la vie et le travail communs. Elles ne suffisent pas, certes, mais elles sont indispensables. Ce sont les Lumières européennes qui ont fondé juridiquement l’idée que la législation relevait des citoyens. L’Etat constitutionnel démocratique actuel connaît la forme directe de législation par les citoyens (comme en Suisse) et la forme indirecte par le biais d’un parlement élu par les citoyens (comme en Allemagne). L’article 38 de la Constitution allemande stipule que les députés du Bundestag sont «les représentants de l’ensemble du peuple» et qu’ils «ne sont liés ni par des mandats ni par des instructions et ne sont soumis qu’à leur conscience».
Actuellement, le Parlement compte 620 députés qui sont tous, pour reprendre les termes de l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme, «doués de raison et de conscience».
Par conséquent la question centrale qui se pose à l’Etat constitutionnel allemand est la suivante: Quelles conditions doivent être remplies pour que ces 620 individualités différentes se prononcent de manière à ce que les lois qu’elles adoptent créent véritablement le droit et favorisent le bien commun?
•    En premier lieu, il faut que les députés aient une nouvelle idée d’eux-mêmes. Chaque député est libre et responsable de ses décisions. Il faut abolir la discipline de vote au sein des groupes parlementaires.
•    Ensuite, il faut que les citoyens se fassent une autre idée de leur rôle, qu’ils se disent: Je n’élis que des députés dont je suis certain qu’ils agiront dans le respect de l’article 38 de la Loi fondamentale. Il serait bon de réviser la loi électorale afin qu’elle permette à tous les citoyens d’élire directement non seulement les députés de leur circonscription mais aussi les candidats figurant sur les listes régionales des partis, conformément au principe selon lequel on élit des personnes et non pas des partis.
•    Finalement, les citoyens doivent avoir le droit d’amender la législation parlementaire par un référendum. L’exemple de la Suisse nous apprend que l’éventualité d’une correction par le peuple augmente considérablement la qualité de la législation au Parlement.
A cela s’ajoutent d’autres aspects. Mais tout dépend de l’idée fondamentale selon laquelle l’homme a une dignité et est libre et responsable. Dans son interaction avec autrui, il organise la vie et l’action communes, également au sein de l’Etat en tant que citoyen. La tâche actuelle la plus importante de l’Allemagne est de prendre conscience de cela et de le réaliser. Il faut que de fortes personnalités montrent la voie, des gens qui, dans le passé déjà, ont fourni la preuve de l’importance qu’ils accordaient à l’ensemble de ces questions et ont donné une nouvelle orientation à l’histoire.    •