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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°26, 6 juillet 2009  >  Les civils sont les plus durement frappés par les guerres modernes [Imprimer]

Les civils sont les plus durement frappés par les guerres modernes

Interview de Pierre Krähenbühl, directeur des opérations du CICR

thk. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui commémore cette année le 150e anniversaire de la bataille de Sol­fe­rino et également la création de l’organisation humanitaire, est impensable sans l’Etat fédéral suisse fondé en 1848. L’idée d’Henry Dunant d’alléger les souffrances des soldats blessés et ainsi d’attirer l’attention sur leur situation misérable correspondait chez lui à une préoccupation profondément humaine et à une attitude éthique que l’on trouve également dans les principes de la jeune République et dans l’ancienne Confédération. La démocratie suisse, l’idée de neutralité liée à la volonté d’agir au plan humanitaire et de s’engager en faveur de la paix et contre les solutions sanglantes sur les champs de bataille font partie des aspects fondamentaux de la pensée suisse. Depuis le XVIe siècle, cette attitude fondamentale de la population suisse a protégé le pays de la guerre et des destructions et suscité un engagement, souvent dans l’ombre, en faveur de la paix.
Le CICR a toujours adapté ses activités aux circonstances et créé, avec les quatre Conventions de Genève, un instrument destiné à encadrer les conflits armés. Une étude du CICR publiée la semaine dernière, qui évoque les «Solferino d’aujourd’hui», c’est-à-dire les guerres actuelles, montre que la plupart des victimes des conflits modernes sont toujours des civils. C’est pourquoi le CICR voudrait axer encore davantage l’action humanitaire sur les souffrances des populations civiles. Les individus innocents victimes des conflits armés doivent être mieux protégés. L’interview ci-après du chef des opérations du CICR Pierre Krähenbühl éclaire la mission du CICR. La manière de mener les guerres a considérablement changé au cours des 150 dernières années et également ses effets dévastateurs sur les individus concernés.

Pouvez-vous indiquer une différence dans la manière dont les civils vivent la guerre aujourd’hui par rapport à Solferino, dans le nord de l’Italie?

Il existe des changements frappants entre la manière dont les batailles étaient livrées il y a 150 ans et celle dont elles se livrent aujourd’hui. Selon les historiens, à Solferino, quelque 40 000 soldats ont été blessés ou tués alors qu’un seul civil est mort dans les combats. De nos jours, la situation est différente. Il est clair qu’à cette époque les civils ont également été touchés. Ils ont dû fuir leurs villages, se cacher et tenter de se protéger. Ce qui est alarmant aujourd’hui, c’est l’ampleur des souffrances et le nombre de victimes et de morts parmi les civils que nous voyons autour de nous.
Dans le cadre de notre nouvelle recherche, nous avons examiné ce que les personnes en Afghanistan pouvaient nous relater de leur expérience et 60% d’entre elles ont déclaré avoir été directement touchées par les conséquences de la guerre. Imaginez donc la vie de ces personnes dans le tourbillon des hostilités depuis 30 ans, ou prenez la République démocratique du Congo, comme autre exemple. Un pourcentage élevé de personnes aurait subi au cours des douze derniers mois un grand nombre de violations (abus sexuels, déplacement, absence d’accès aux soins de santé etc.).
L’inversion de cette tendance, en termes de transformation du conflit armé et des principales victimes, est très préoccupante.

Qu’est-ce qui vous a incité à mener cette enquête?

Eh bien, nous avons considéré qu’il était temps de nous pencher sur les «Solferinos actuels», sur les conflits et les situations de violence qui surviennent de nos jours. Il importe en particulier de les analyser au travers des expériences, des peurs, des inquiétudes, des frustrations et des espoirs des personnes touchées par ces dynamiques.
Nous avons choisi d’examiner un ensemble géographique de contextes, ainsi qu’un ensemble de situations qui font souvent la une des journaux et d’autres qui défrayent rarement la chronique. Finalement, nous avons opté pour l’Afghanistan, la Colombie, la République démocratique du Congo, la Géorgie, Haïti, le Liban, le Libéria et les Philippines. Pour nous, il est essentiel de prendre le temps d’écouter attentivement les personnes et d’entendre ce qu’elles ont à nous dire sur la manière dont elles ont vécu ces événements traumatisants.

Avez-vous trouvé des conclusions particulièrement frappantes ou surprenantes?

Même si cela n’est pas totalement surprenant, il est frappant de voir à quel point les personnes pensent, avant tout et surtout, à la sécurité et au bien-être des membres de leur famille proche et s’en soucient. Elles sont préoccupées par la perte d’un être cher et par la séparation. Chacune à sa manière, les personnes interrogées ont dit que c’était là une de leurs plus grandes peurs.
Dans le même temps, on a pu aussi consta­ter, concernant la famille et la proximité, que bon nombre de personnes ont déclaré que ce sont leurs communautés, leurs voisins ou leurs familles qui répondent le plus efficacement à leurs besoins immédiats.

Comment savoir ce qui a un impact sur l’action du CICR ?

La proximité avec les communautés touchées est un constat que nous avons pu observer ces dernières années dans notre propre expérience opérationnelle. S’il existe des héros dans le domaine humanitaire, ce sont bien les chirurgiens et le personnel infirmier qui travaillent dans des pays déchirés par la guerre comme l’Afghanistan, l’Irak ou la Somalie. En effet, tous les matins, ils prennent le risque d’aller à l’hôpital dans l’espoir de contribuer à améliorer la situation de leurs concitoyens.
Notre privilège, et ce sur quoi nous nous sommes efforcés de mettre l’accent ces dernières années, consiste à les accompagner dans ce processus … à permettre au personnel médical local et aux intervenants humanitaires, dont nos collègues des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, de répondre sur le terrain parce que nous avons constaté qu’ils pouvaient avoir un impact positif sur les populations touchées. Nous mettrons davantage l’accent sur ce fait à l’avenir.

Selon l’enquête, un très grand nombre de personnes ont été contraintes de fuir de chez elles. Quelle est votre réponse?

Les conclusions sur le déplacement et le nombre de personnes ayant déclaré avoir été contraintes de partir de chez elles ou d’abandonner leurs biens, puis de les perdre et de ne plus jamais pouvoir les recouvrer, sont préoccupantes. Au Congo, ce n’est pas un déplacement que les personnes ont subi ces derniers 12 ou 18 mois. Certaines ont été déplacées quatre, cinq ou six fois, et ont souvent perdu des proches lors de ces déplacements.
Il apparaît donc clairement, du point de vue des personnes interrogées, que cette épreuve est la plus angoissante et la plus effroyable qu’elles vivent lors d’un conflit et il faut donc que le CICR s’engage avec plus de vigilance sur cette question.

La corruption a été assez souvent citée comme un des motifs empêchant les personnes à demander de l’aide. Est-ce que cela a un impact sur l’action du CICR dans ces pays?

Il est vrai que bon nombre des personnes interrogées ont indiqué que la corruption était un obstacle potentiel à un accès sûr et prévisible à l’aide humanitaire mais la recherche ne révèle pas qui, selon ces personnes, est corrompu et n’attribue à personne une telle responsabilité. Toutefois, cette conclusion est frappante et nous rappelle avec force toutes les précautions à mettre en place lors de la mise en œuvre des programmes, à la fois durant la phase d’évaluation et la phase d’exécution afin de s’assurer que les populations ne sont pas confrontées à la discrimination ou à d’autres formes d’obstacles. Il faut, à mon avis, que nous accordions une attention plus soutenue à ces phénomènes.

Quel sera, d’une manière générale, l’apport de cette recherche?

Cette recherche apportera deux grands changements dans notre manière de travailler. Tout d’abord, elle nous rappellera qu’il importe de placer l’être humain au centre de notre analyse et de notre action. Ce n’est qu’en accordant tout le sérieux requis à la manière dont les personnes perçoivent leur propre situation que notre réponse pourra être à la hauteur de leurs besoins et de leurs attentes.
Les organisations humanitaires s’adressent aux personnes et évaluent leurs besoins mais elles tendent à agir en fonction de leur propre expertise. Retournons la situation et envisageons la personne comme point de départ, l’approche deviendra alors plus authentique, plus profonde. Cette conclusion est, à mes yeux, importante. Il nous faut adapter notre programme à cette réalité.
Par ailleurs, la communication relative à l’impact de la guerre sur les personnes touchées incombe au premier chef à une organisation comme le CICR. Agir en se fondant sur la manière dont les personnes voient leurs besoins et non en fonction de nos propres vues et nos propres évaluations ajoute une dimension qualitative à notre volonté de porter les voix des victimes de la guerre et de la violence armée à des publics plus vastes.
Une telle approche nous permettra de dire que nous nous sentons responsables des personnes auxquelles nous avons à venir en aide.     •

Source: www.icrc.org du 23/6/09

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