Horizons et debats > archives > 2013 > N°22, 2 juillet 2013 > Le fédéralisme – garant d’une lutte sensée contre les épidémies | [Imprimer] |
Non à l’abolition du bon système fédéraliste de santé publique de la Suisse
par Marianne Wüthrich, docteur en droit
Tous sont d’accord pour dire que la Suisse possède un système de santé très bien structuré et fonctionnant au mieux. Ce n’est possible que grâce à la compétence des cantons et des communes qui prennent leur responsabilité dans une vue d’ensemble à petite échelle.
Dans le texte de loi et dans le message du Conseil fédéral, une tendance inconnue et hautement alarmante apparaît distinctement à nous, Suisses, à de nombreux endroits.
«Affermir le rôle directeur de la Confédération» – un choix de mots, qui ne correspond aucunement à la pensée suisse. Le but d’une Loi fédérale ne doit pas être de renforcer le rôle directeur de la Confédération! Le peuple est le souverain, il ne veut pas être guidé.
Le fait que les cantons s’acquittent eux-mêmes de leurs affaires dans toute la mesure de leurs possibilités, et que la Confédération agit toutefois selon les règles du principe de subsidiarité là où les cantons ne sont pas en mesure d’accomplir les tâches eux-mêmes, correspond beaucoup plus à l’esprit de la conception de l’Etat fédéraliste.
Art. 3 Cantons
Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n‘est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération.
Ce principe vaut aussi pour la santé publique. Selon l’article 118 de la CF al. 1, la Confédération est autorisée à prendre «dans les limites de ses compétences, des mesures afin de protéger la santé». Ainsi, la Confédération peut légiférer sur «la lutte contre les maladies transmissibles, les maladies très répandues et les maladies particulièrement dangereuses de l’être humain et des animaux» (CF art. 118 al. 2b). La Confédération a déjà assumé sa responsabilité avec la LEp de 1970, qui a été adaptée selon les exigences du temps au moyen de nombreuses révisions. Il n’existe aucune nécessité pour une nouvelle loi, encore moins pour une loi qui dépasse le cadre de la Constitution.
Dans de nombreuses réponses à la consultation, la dégradation des cantons à un rôle d’auxiliaires d’exécution a été rejetée: «8 cantons et 4 organisations le rejettent car il ne prévoit qu’une simple audition des cantons.» (Message, p. 313) C’est pourquoi, le Conseil fédéral a remplacé le mot «audition» par «concours» et affirme que les cantons pourront «participer activement à la définition des objectifs et stratégies étroitement associés à l’élaboration des objectifs et stratégies de lutte contre les maladies transmissibles» (p. 315).
Celui qui croit qu’on respecte ainsi suffisamment le fédéralisme se trompe grandement. Car «le concours des cantons» ne signifie plus, et depuis longtemps, que tous les 26 gouvernements cantonaux puissent s’exprimer sur un objet par écrit et que ces positions aient un effet concret correcteur. L’implication des cantons dans les affaires de la Confédération consiste davantage en la participation de quelques membres du directoire de la «conférence des directeurs» correspondante, ici celle de la CDS (Conférence des directeurs et directrices cantonaux de la santé) aux séances des offices de l’administration fédérale, ici l’OFSP.
Comme dans un atelier du futur: dans le soi-disant «procès participatif», quelques personnes ont le droit d’être présentes et d’exprimer leur opinion – mais cela n’a rien à voir avec le droit de décision des citoyens dans la démocratie directe. Les compétences fédéralistes des cantons, prévues par la Constitution, sont tout aussi peu respectées quand seuls quelques conseillers d’Etat peuvent être présents aux séances de l’OFSP.
Pour parler clairement: il ne s’agit ici en aucune manière de la lutte contre des épidémies de danger public – mais tout simplement de la reprise de la compétence des cantons prévue par la Constitution pour le système de santé.
Le «concours des cantons» doit uniquement permettre à l’OFSP d’«harmoniser et de coordonner ses activités dans un champ thématique particulier avec celles des autres acteurs étatiques et privés au niveau de la Confédération, des cantons et des communes.» (p. 341) Aucune trace de répartition fédéraliste des tâches!
Dans la consultation, on a critiqué le fait que les communes ne soient pas impliquées dans la collaboration pour la lutte contre les épidémies (p. 313). Apparemment pour apaiser les esprits, le niveau communal est soudainement mentionné dans le message (p. 341).
Le fait est: Sans l’implication entière et responsable des communes avec leur fine organisation, rien ne marche en Suisse lors d’une lutte contre un risque sanitaire ou une catastrophe naturelle. Berne devrait aussi le savoir.
Les cantons ne seraient pas seulement selon le projet de loi des organes d’exécution, mais la Confédération doit devenir en fait un contrôleur des cantons. On se demande lentement en tant que citoyen habitué au fédéralisme où – et sur l’ordre de qui – la petite pomme roule. En tout cas, la LEp révisée ne coïncide aucunement avec la structure étatique de l’Etat fédéral suisse.
Il est hautement recommandé à celui qui trouve cette critique exagérée de lire le message du Conseil fédéral. Il y est écrit par exemple à la page 319: «Elle [la Confédération] peut prescrire aux cantons des mesures garantissant une application uniforme de la loi et leur enjoindre d’ordonner des mesures particulières (interdiction de manifestations, isolement de certaines personnes etc.) en cas de risques particuliers pour la santé publique.»
Il ne manquait plus que ça: qu’à l’avenir, sous la domination de la LEp, un employé fédéral puisse par exemple ordonner au canton du Tessin de telles mesures. Il est clair pour chacun que les cantons et les communes doivent garder la compétence de leurs affaires dans le domaine de la santé publique.
Bien que lors de la consultation, beaucoup de cantons, de villes, de partis et d’associations aient rejeté la nécessité d’un organe de coordination et/ou d’un organe d’intervention, le Conseil fédéral y passe outre (p. 313).
La raison pour laquelle la Confédération nécessite tant de nouvelles commissions pour la «coordination», respectivement pour donner des ordres vis-à-vis des cantons et de la population, reste obscure.
Il est seulement clair que, de cette façon, l’OFSP déjà surdimensionné sera encore doté de davantage de départements avec de nombreux postes, après que le Parlement ait rejeté la Loi sur la prévention et ait ainsi refusé à l’OFSP une extension espérée.
Maintenant, on met donc sur pied la prévention par la Loi sur les épidémies et on incorpore les deniers fédéraux pour un «organe de coordination», un «organe d’intervention» et beaucoup d’autres nouveaux postes de dépenses.
«Selon les prévisions découlant des éléments connus à ce jour, des moyens supplémentaires de l’ordre de 4,4 millions de francs annuels ainsi que trois nouveaux postes équivalents à plein-temps seront nécessaires à partir de 2013 (cf. tableau 4).
Ces besoins seront réévalués ultérieurement. Le Conseil fédéral décidera alors de la manière de financer ces nouvelles dépenses annuelles.
Ces surcoûts probables sont sans rapport avec des événements épidémiologiques et des menaces. En situation de crise, les mesures nécessaires à la protection de la santé publique provoquent naturellement des coûts supplémentaires.» (Message, p. 408)
Le Conseil fédéral annonce déjà d’une manière raffinée, que l’estimation des coûts pourrait être en réalité largement dépassée: si des coûts plus élevés devaient s’avérer, le Conseil fédéral peut toujours rappeler qu’il a dit que les besoins supplémentaires seraient calculés «selon les prévisions découlant des éléments connus à ce jour». En tout cas, les coûts supplémentaires de 55 000 francs et d’un poste à 10% pour l’organe de coordination et l’organe d’intervention paraissent invraisemblablement modestes (p. 408). Du reste, les 4,4 millions de francs et les 3 postes à plein temps sont déjà un poste de dépense non négligeable – et cela sans «événements épidémiologiques ni situations menaçantes.» Cela veut dire que si l’épidémie de grippe annuelle s’annonce ou qu’un oiseau mort est trouvé sur le bord d’un lac suisse, alors l’affaire reviendra substantiellement plus cher.
Donc, il faut se poser la question urgente de savoir d’où le Conseil fédéral sortira les millions de francs, dont il décidera «ultérieurement» «de la manière de les financer»?
Et qui paie l’exécution des ordres provenant de l’OFSP? Bien sûr, les cantons qui, avec la nouvelle LEp, n’auraient plus beaucoup à dire, mais d’autant plus à payer.
Le Conseil fédéral invoque certes que «vu l’hétérogénéité marquée des cantons» (autrefois on appelait cela fédéralisme), les coûts supplémentaires ne pourraient pas être exactement évalués. (Message, p. 411).
Mais on peut quand même affirmer ce qui suit:
En clair: les «objectifs et stratégies futures» du Conseil fédéral (LEpr art. 4) tout comme les «programmes nationaux» de l’OFSP (LEpr art. 5), dont le contenu et l’étendue ne sont pas dévoilés à la population et aux institutions cantonales, coûteront encore quelques millions de plus – et l’on infligera aux cantons encore davantage d’obligation d’exécution.
Les cantons en tant qu’auxiliaires d’exécution pour les vaccinations obligatoires et les programmes d’éducation sexuelle (à titre de prévention contre le VIH/SIDA!), dictés par des lobbys dépendant de l’étranger et visant des pratiques sexuelles spéciales au sein de l’OFSP?
L’OFSP «informe le public, certains groupes de personnes, ainsi que les autorités et les professionnels, des risques des maladies maladies transmissibles et des mesures possibles pour les prévenir et les combattre.» (art. 9 LEpr).
La loi révisée sur les épidémies ouvrirait toute grande à l’OFSP la porte à une extension de ses indescriptibles «campagnes d’information», qui depuis des années sont utilisées pour détruire notre système de valeurs. («En cas d’entorse au mœurs, mets au moins un préservatif!»; Ou dans la campagne actuelle: «Annonce-toi chez le médecin si ta trompe attrape le rhume.» etc.)
L’OFSP doit assumer la gestion des maladies transmissibles «en coordination avec les systèmes internationaux» (art. 11); L’OFSP nomme divers laboratoires comme «centres nationaux de référence» (art. 17); l’OFSP établit un «plan national de vaccination» (art. 19), auquel tous les médecins et le personnel des services de santé doivent se soumettre; l’OFSP est une instance de surveillance et d’évaluation (art. 24).
Pour parler clairement: avec le projet de loi sur les épidémies, on attribuerait à l’OFSP le plein pouvoir d’un monarque absolu en abolissant la séparation des pouvoirs et en dégradant les cantons à des auxiliaires d’exécution: l’OFSP déterminerait les bases de la lutte contre les épidémies (pouvoir législatif), en même temps, il ordonnerait aux cantons, à la population, au personnel du service de santé et aux laboratoires ce qu’ils auraient à faire (pouvoir exécutif) et encore mieux, il «s’attribuerait» et «évaluerait» ses propres empiétements, s’appropriant ainsi le pouvoir judiciaire! •
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