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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°19, 16 mai 2011  >  Ambiguïtés diplomatiques [Imprimer]

Ambiguïtés diplomatiques

 par Jean-François Cavin, ancien directeur du Centre Patronal, Pully

En Libye et en Côte d’Ivoire, des forces armées étrangères sont intervenues sur mandat de l’ONU pour protéger les populations civiles. Tel est du moins, formellement, l’objectif affiché par l’organisation internationale pour légitimer l’engagement militaire. Mais les gouvernements occidentaux qui prennent part aux opérations n’ont pas caché, simultanément, que Kadhafi dans un cas, Gbagbo dans l’autre devaient quitter le pouvoir. Et les actions de leurs troupes vont à l’occasion manifestement au-delà de la protection directe des civils. En Libye, leurs avions ont bombardé des blindés en déplacement vers les positions des insurgés, ainsi que des installations de logistique militaire; une frappe au moins a visé la «caserne» où le Guide suprême est censé demeurer. A Abidjan, on ne sait pas qui a arrêté Gbagbo, mais il est certain que des soldats français se trouvaient sur le théâtre de l’opération.
Autrefois, lorsqu’un potentat local se montrait dérangeant, la Puissance coloniale qui prétendait dominer la région, sans demander d’autorisation à personne, dépêchait une canonnière à proximité de la ville, bombardait le port, le fort ou le palais et délogeait l’indésirable. Pour brutale qu’elle fût, la politique de la canonnière avait le mérite de la franchise et de l’efficacité. Pour habile qu’elle puisse paraître au premier abord, la politique à connotation humanitaire de l’ONU ne fait qu’accroître le trouble.
On le voit dans l’affaire libyenne. Les Puissances qui dirigent l’ONU ont, l’espace d’une séance, consenti à une intervention conditionnelle. Le lendemain déjà, la Russie se distanciait, suivie d’autres pays. Puis l’accord d’importants Etats arabes – diplomatiquement indispensable à l’origine – faisait l’objet de réserves des intéressés: car les frappes aériennes des USA, du Royaume-Uni et de la France sont vite apparues comme relevant d’une interprétation extensive du mandat de l’ONU. On peut prétendre, bien sûr, que la meilleure manière de protéger les populations civiles consiste à anéantir un des belligérants. Mais le Conseil de sécurité ne peut pas valider expressément une telle position; par conséquent, il laisse faire. Où est le droit?
L’idée qu’il faut laisser les civils hors du conflit militaire, retenue par les Conventions de Genève, est certes judicieuse. Elle relève de la conception traditionnelle d’un droit de la guerre qui ne nie pas la cruelle réalité du combat, mais cherche à la contenir en la confinant au champ de bataille. Or, sur le terrain, elle est malaisée à appliquer, surtout en cas de guerre civile et de guérilla urbaine, avec l’usage délibéré de «boucliers humains». Lors de l’attaque israélienne sur la bande de Gaza, on n’a jamais su – hormis pour quelques actes – si les victimes palestiniennes avaient été pilonnées volontairement par Tsahal pour briser le moral de la population ou si l’armée israélienne, visant des dispositifs armés de l’ennemi, n’avait pas pu éviter les «dommages collatéraux». L’imbrication des soldats et des civils se renouvelle dans mainte ville de Libye. Et saura-t-on jamais si certaines tueries commises en Côte d’Ivoire résultaient du combat pour la présidence ou relevaient d’autres règlements de compte?
On mesure, une fois de plus, toute l’ambiguïté des décisions de l’ONU, qui est censée préserver le droit international, mais qui, en réalité, prend parti au gré des circonstances et des rapports de force. C’est probablement inévitable, parce que cela découle de l’inexistence de la prétendue «communauté internationale» et de la permanence du dé­sordre mondial. Mais il faut en tirer les conséquences en relativisant la valeur des décisions du Conseil de sécurité. La Suisse, pour appliquer une politique de neutralité conséquente, ne saurait se référer automatiquement aux résolutions de l’ONU pour définir la légitimité d’une intervention militaire. Elle doit s’en tenir à ses propres critères, qui seront des plus restrictifs. Elle ne saurait notamment tolérer le passage de ­troupes étrangères sur son territoire ou dans son espace aérien, même quand il s’agit de donner une leçon au tyran de Tripoli, ennemi public numéro un de notre pays depuis qu’il a ridiculisé le président de la Confédération. Elle doit aussi s’abstenir de viser une place au Conseil de sécurité.    •

Source: La Nation n° 1913 du 22/4/11