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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°9, 7 mars 2011  >  Le terrain est préparé pour une nouvelle guerre au Proche-Orient [Imprimer]

Le terrain est préparé pour une nouvelle guerre au Proche-Orient

Les nouvelles en provenance des pays voisins donnent à réfléchir

Lorsque l’Economist de Londres a annoncé, dans son édition du 29/12/10, la pire guerre de tous les temps au Proche-Orient, la nouvelle n’a guère rencontré d’écho. Préoccupé qu’on était par l’avenir de la monnaie et des fi­nances de la plupart des pays occidentaux, on n’a guère pris conscience de l’évolution inquiétante de la situation dans le monde arabe et au Proche-Orient. Mais maintenant, on ne peut plus détourner le regard: la mèche est allumée. On peut parfaitement débattre des causes. Il s’agit sans doute d’un mélange d’insatisfaction des jeunes de la population arabe et de manœuvres plus ou moins ciblées, par exemple de la part de la CIA. Ce qui attend l’Europe est déjà certain et l’on peut s’en ­rendre compte chaque jour sur l’île italienne de Lampedusa: un nouvel afflux de réfugiés va déferler sur l’Europe. C’est d’ailleurs ce à quoi s’attend le secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen, qu’on ne peut absolument pas soupçonner d’extrémisme poli­tique.
On ne peut pas faire grand-chose ­contre cet afflux de réfugiés. En Egypte, par ­exemple, étant donné la structure extrêmement jeune de la population, chaque mois 75 000 ­jeunes de plus arrivent sur le marché du travail. Même si on licenciait d’un coup tous les salariés «âgés» (ce qui n’est évidemment pas ­possible), on ne pourrait pas offrir un salaire à tous ces jeunes. Maintenant déjà, il y a ­quatre candidats jeunes pour un emploi, et la situation empire de jour en jour.
Mais ceux qui se décident à fuir – et qui atterriront le cas échéant dans un pays d’Europe occidentale – vont y trouver de nombreux «concurrents». A partir de ce printemps, des millions de personnes en provenance des pays européens périphériques vont arriver dans le «cœur» de l’Europe. Ils profiteront d’une nouvelle liberté européenne et répondront notamment à l’appel du gouvernement allemand qui les a invités à quitter leur pays parce que l’Allemagne a, semble-t-il, absolument besoin de nouveaux travailleurs. La plupart ne seront pas qualifiés (on préfère ne pas le dire), ce qui réduit leurs chances sur le marché allemand du travail. A part l’aide qu’ils recevront de notre système de protection sociale, les réfugiés arabes trouveront ici une situation qui diffère peu de celle de leur pays d’origine: ils ne trouveront pas de travail et seront condamnés à l’oisiveté.
Cela peut paraître cynique, mais il faut être réaliste: dans l’ensemble du monde arabe, il y a des millions de jeunes gens qui n’ont pas de travail, dont – pour employer des termes blessants – personne n’a besoin. Autrefois, les potentats résolvaient ce «problème» d’une manière très «simple»: ils les envoyaient se faire tuer à la guerre. Et maintenant?
Selon une de nos sources, le 13 janvier dernier, c’est-à-dire avant que les manifestations de masse dans certains pays arabes ne se transforment en révolutions, un entretien eut lieu entre des représentants du gouvernement américain et des généraux israéliens sur une éventuelle guerre au Proche-Orient. Il y fut question avant tout de la question de savoir comment Israël devait réagir au stationnement accru de missiles dans la bande de Gaza et au Liban. La veille, une radio israélienne avait déjà retransmis l’allocution d’un général mettant en garde contre une nouvelle guerre au Proche-Orient qui ferait un nombre effroyable de victimes civiles. Selon notre source, les Américains, lors de cet entretien secret, ont incité les Israéliens à la retenue. Mais combien de temps vont-ils tenir?
Quelle que soit l’attitude qu’on a à l’égard du conflit au Proche-Orient qui couve depuis des décennies, une chose est évidente: le Hezbollah au Liban et les Palestiniens se préparent depuis assez longtemps à un nouveau conflit et Israël va réagir un jour ou l’autre. Cependant, une nouvelle guerre du Liban (et là-dessus, les observateurs sont d’accord) transformera cette fois la totalité du Proche-Orient en un énorme baril de poudre et le fera probablement sauter. Pratiquement tous les pays arabes en crise aujourd’hui risquent d’y être entraînés. Des centaines de milliers, voire des millions de personnes y laisseront la vie si elles n’ont pas essayé de fuir avant. Elles compteront toutes parmi les perdants de cette nouvelle guerre.
Mais il y aura également des «gagnants», et pas seulement au point de vue militaire. La plupart des observateurs placent en tête le gouvernement américain et quelques Etats européens qui pourront encore un certain temps détourner l’attention de la faillite qui les menace. Et certains pays arabes en profiteront aussi: ils perdront à la guerre une partie de leurs jeunes insatisfaits de leur sort, ce qui pourrait avoir pour effet de stabiliser, du moins provisoirement, la situation politique intérieure. Et Israël aurait une raison d’agir massivement contre les missiles dirigé ­contre lui.
Naturellement, le prix du pétrole s’envolerait, du moins passagèrement, à la suite d’une guerre, ce qui ne serait pas contraire uniquement aux intérêts des Etats-Unis. Cependant, de l’avis de certains spécialistes, cela ne mettrait pas sérieusement en péril la sécurité de l’approvisionnement général parce que l’armée américaine est déjà présente avec ses bases presque à tous les points stratégiques importants. Et pour «sécuriser» le canal de Suez, plusieurs nouveaux navires de guerre américains sont déjà en route. Le terrain est donc préparé pour une nouvelle guerre au Proche-Orient.    •

Source: Vertrauliche Mitteilungen aus Politik, Wirt­schaft und Geldanlage, D-Büsingen, no 3915, du 11/02/11

(Traduction Horizons et débats)

***

Le communiqué ci-dessus fait sérieusement réfléchir. Et il soulève un certain nombre de questions.
Ainsi, les statistiques nous apprennent que dans les pays arabes, la part de la population qui a moins de 25 ans est comprise entre 42,2% en Tunisie et 65,4% au Yémen. Mais ces ­jeunes ne sont pas nés hier. Etait-il judicieux de nous accommoder, depuis le début des années 1990, d’une globalisation financière lucrative, de guerres effroyables menées par l’OTAN «out of area» qui ont ruiné les finances des pays les plus puissants et ont abouti à des dé­bâcles dévastatrices avec des privatisations à la pelle. Etait-il judicieux d’accepter que l’on tracasse la population, que les médias ­l’abreuvent de sottises et de propagande en faveur du néolibéralisme et de la mondialisation. Pendant ce temps, on aurait pu en collaboration étroite avec ces pays, développer, avec le continent africain et le tiers monde en général, des projets de développement durable fondés sur les besoins des habitants de ces pays. L’Occident ne serait pas aujourd’hui dans une position impérialiste et néocolonialiste. Et notre jeunesse aurait retrouvé un sens à la vie qui la remplirait de joie.
Quant à la nouvelle guerre au Proche-Orient qui se prépare, est-elle un événement naturel, une chose inévitable? Dans l’Antiquité, on racontait aux peuples con­cernés que leurs dieux en avaient décidé ainsi, qu’ils étaient victimes d’une fatalité mauvaise, car il fallait briser leur volonté de résistance. Aujourd’hui, plus aucun ­bambin de jardin d’enfants y croit, même si cela provient d’une émission pour enfants à la sauce Bertelsmann. Mais quand il est question du ­Proche-Orient, on accorde au pays qui devrait détruire son Mur de séparation sur ordre de la Cour internationale de justice un rôle d’instrument du destin. Comme s’il n’était pas lui aussi membre des Nations Unies et que diverses Résolutions attendent toujours qu’il les respecte.
Dans le «GlobalEurope Anticipation Bulletin no 52» du 15 février, la situation se présente un peu différemment.

***

Pourtant, en ce début de 2011, plus grand monde ne doute que nous soyons bien engagés dans un processus d’ampleur historique qui voit le monde d’après 1945 s’effondrer sous nos yeux, Etats-Unis en tête, tandis que la communauté internationale se disloque chaque jour un peu plus, tout comme le tissu social et économique de la plupart des pays de la planète. Mais cette évidence actuelle n’a bien entendu pas empêché «décideurs et experts», en 2006, d’être certains qu’il n’y avait aucun risque de crise importante à l’horizon et, en 2009, qu’il était absurde d’imaginer le ­moindre risque de dislocation de l’ordre mondial en place et encore moins de l’ordre social. Hélas, aujourd’hui, la capacité intellectuelle de ces élites à faire face aux changements en cours ne semble pas s’être améliorée puisque les mêmes «décideurs et experts» n’imaginaient pas possible il y a seulement deux mois que la Tunisie, puis l’Egypte puissent voir leurs régimes renversés prochainement. Gouvernements et institutions internationales aveugles, experts et médias dépassés, les élites occidentales et leurs clones des différentes régions du monde continuent à s’enfoncer sur les «Holzwege» de l’Histoire, ces chemins forestiers qui ne mènent nulle part, ou plus exactement, comme le soulignait Heidegger, qui ne mènent quelque part que si on a l’humilité d’être constamment à l’écoute de la forêt et de ses signaux.
Néanmoins, alors que les signaux devi­ennent de vraies sirènes d’alerte, nos élites ­semblent décidées à tout faire pour les ignorer. Prenons un exemple très récent: la comparaison des événements affectant le monde arabe avec la chute du Mur de Berlin. Notre équipe a été très intéressée de constater que cette image que nous utilisons depuis 2006 pour aider à comprendre le processus en cours de désintégration de la puissance des Etats-Unis est désormais reprise allègrement par des dirigeants politiques (Angela Merkel en tête) et des experts en tout genre. Pourtant, à ce jour, ceux-là même qui font cette comparaison semblent s’interdire de poursuivre leur cheminement intellectuel jusqu’au bout, jusqu’au moment où il débouche sur une compréhension de la dynamique des événements. Ils se contentent de décrire, sans analyser.
Or ce «mur» qui s’effondre a bien été construit par quelqu’un et dans un but précis. Le Mur de Berlin avait été construit par le régime est-allemand, dans le contexte plus général du «Rideau de fer» voulu par l’URSS pour séparer le plus hermétiquement pos­sible le bloc communiste de l’Occident. Et cela visait essentiellement à éviter toute remise en cause du pouvoir détenu par le parti unique dans chaque pays communiste afin de perpétuer le contrôle par Moscou des pays européens de l’Est. En échange, Moscou assurait un soutien sans faille et des prébendes aux dirigeants des pays d’Europe de l’Est. L’effondrement du Mur de Berlin, remettant en cause ces monopoles de pouvoir et donc les objectifs qu’ils servaient, a ainsi provoqué en quelques mois la chute successive de tous les régimes communistes d’Europe de l’Est pour se terminer deux ans plus tard par la dissolution de l’URSS.
Alors, si c’est aussi un «mur» qui est en train de tomber sous nos yeux dans le monde arabe, pour espérer anticiper la suite des événements, il est essentiel de pouvoir répondre à ces questions: Qui l’a construit? Dans quel but? Et les réponses ne sont pas si difficiles à trouver pour ceux qui ne regardent pas l’actualité avec des œillères idéologiques:
–    ce «mur» a été construit par chacun des dictateurs (ou régimes) arabes de la région afin de s’assurer du maintien de leur monopole sur le pouvoir et les richesses du pays, en évitant tout risque de remise en cause de leur parti unique ou de leur légitimité dynastique (pour les royaumes). En ce sens, il y a très peu de différences entre les cliques au pouvoir dans les pays arabes et celles qui dirigeaient les pays commu­ nistes.
–    ce «mur» s’intégrait dans le dispositif plus général mis en place par Washington pour préserver son accès préférentiel (et en dollars) aux ressources pétrolières de la région et préserver les intérêts d’Israël. L’intégration poussée de l’appareil militaire et sécuritaire de ces pays (sauf la Syrie et la Libye) dans le dispositif de défense des Etats-Unis assurait (et assure toujours) un soutien américain sans faille et permettait (et permet toujours) aux dirigeants arabes concernés de bénéficier de prébendes sans risque de remise en cause par des forces intérieures ou extérieures.
Ainsi, en réfléchissant un peu plus à sa comparaison avec la chute du Mur de Berlin lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, la chancelière allemande aurait pu profiter de la présence de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton pour lui demander: «Ne pensez-vous pas que les événements actuels en Tunisie et en Egypte sont les premiers signes de la chute de tous les régimes qui dépendent de Washington pour leur survie? Et qu’ils peuvent en particulier conduire à un effondrement rapide du système d’approvisionnement en pétrole des Etats-Unis tel qu’il a été mis en place à grand frais il y a des décennies, et donc du rôle du dollar dans le paiement du pétrole et du rôle central du dollar en tant que monnaie de réserve?» Pendant que les participants à la Conférence sur la sécurité de Munich se serait soudain rendu compte qu’ils débattaient enfin de quelque chose de sérieux, Angela Merkel aurait pu ajouter: «Et concernant Israël, ne pensez-vous pas que cette chute de ‹mur› va impliquer très vite la nécessité de reconsidérer toute la politique américano-israélienne dans la région?» Et là miracle, la Conférence sur la sécurité de Munich aurait repris pied dans le ­XXIe siècle et le débat euro-américain aurait pu revenir aux questions du monde réel au lieu de rester obstinément dans la virtualité transatlantique qui se focalise sur la lutte contre le terrorisme.
Hélas, comme nous le savons tous, cet échange n’a pas eu lieu. Et les divagations de nos dirigeants risquent donc de continuer avec comme conséquence d’accentuer impitoyablement les chocs de l’année 2011.     •

Source: GlobalEurope Anticipation Bulletin no 52 du 15/2/11

 

Nous réduirons le poids de la dette par la guerre

Conseiller du gouvernement américain:

Extrait d’une longue interview parue dans le «SonntagsZeitung» du 27/2/11:

SonntagsZeitung: Les Etats-Unis vont-ils pouvoir résoudre le problème de la dette?

Parag Khanna: Non.

La réponse est brève.

Il n’y aura pas de faillite de l’Etat, mais le poids de la dette devra être allégé, soit par une guerre commerciale soit par une vraie guerre. Nos dettes ne sont plus remboursables.

Parag Khanna est un spécialiste de politique étrangère et conseiller de l’équipe de Barack Obama. Directeur du laboratoire d’idées New America Foundation, il est depuis 2007 conseiller des Forces armées américaines et a fait partie, depuis 2008, de l’équipe de campagne électorale de Barack Obama.

***
me. Quand on analyse les nouvelles en provenance de Libye et qu’on ne croit pas aux soulèvements spontanés des ­peuples, on peut penser que tout cela est trop bien «huilé» et que les événements sont le prélude à une «guerre pour se débarrasser de ses dettes». Et cela parce que le dollar doit descendre de son piédestal. Il ne va pas être aboli, il doit simplement abandonner sa position dominante. Son maintien vaut-il la peine de sacrifier de nombreuses vies humaines?