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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 1, 12 janvier 2015  >  Examinez d’abord votre contractant à la loupe! [Imprimer]

Examinez d’abord votre contractant à la loupe!

ou: quels liens y a-t-il entre l’initiative sur l’immigration de masse et le programme «Erasmus»?

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

Dans notre pays, il y a toujours eu des échanges estudiantins, car la Suisse était, et est toujours, un pays ouvert au monde. Au cours des siècles précédents, de nombreux Suisses ont même fait toutes leurs études dans un pays limitrophe et y ont obtenu leur diplôme universitaire. En Suisse, il est assez fréquent que des étudiants de Suisse romande ou du Tessin fassent un ou deux semestres de leurs études dans une université suisse alémanique ou inversement. Cela n’a pas changé jusqu’à aujourd’hui: l’échange des étudiants a lieu comme toujours. La seule différence est qu’entre temps la bureaucratie de l’UE s’est saisie de l’affaire en créant une organisation géante; avec des milliards d’euros passant d’un pays à l’autre après avoir laissé un montant assez important dans la tirelire de la centrale bruxelloise. Sous le nom ambitieux d’«Erasmus» navigue un programme qui n’implique rien d’autre que de favoriser l’échange d’étudiants entre les divers pays afin de, selon le traité de Lisbonne, «promouvoir la participation des jeunes à la vie démocratique en Europe».1 En clair, cela revient à déraciner les jeunes de leur pays d’origine pour les préparer à fonctionner comme composants d’un Etat unitaire centralisé. «Erasmus» est l’abréviation de «European Community Action Scheme for the Mobility of University Students», donc un programme de promotion de la mobilité des étudiants. La référence au grand humaniste Erasme de Rotterdam est certainement voulu, bien qu’assez présomptueuse.

Vous vous demandez peut-être ce qu’«Erasmus» a à faire avec la Suisse, étant donné que celle-ci n’est pas membre de l’UE. Vous avez bien raison – mais, vous ne connaissez pas notre administration fédérale! Il va de soi que la Suisse se devait absolument de participer au programme «Erasmus». Concrètement, cela signifie que jusqu’à présent la Suisse a investi plusieurs millions pour que nos étudiants puissent étudier avec une bourse d’études pendant un semestre dans une université étrangère, et qu’en même temps (beaucoup plus) d’étudiants des pays membres de l’UE puissent venir étudier en Suisse – jusqu’au moment de la fin abrupte.

Les contractants sont-ils sur un pied d’égalité?

Le 26 février 2014, le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) a annoncé que la Commission européenne a exclu la Suisse du programme Erasmus+. En 2014 (donc la même année), la Suisse ne pourrait plus participer en tant que «pays participant au programme», mais seulement sous le statut de «pays tiers».2 Une réaction assez choquante envers un Etat qui a toujours payé ces factures à temps. Pour quiconque a quelques connaissances en droit, cela revient à une «résiliation sans préavis» ce qui n’est autorisé que dans les cas de fautes graves par le contractant. De quelle violation juridique grave la Suisse s’est-elle rendue coupable en tant que contractant au programme «Erasmus»? Selon SEFRI, la Commission européenne le justifie comme suit: «Les négociations avec l’UE concernant l’association de la Suisse à ce programme sont actuellement suspendues suite à l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse. L’UE insiste sur le principe de la libre circulation des personnes comme élément fondamental des accords bilatéraux.» Ce qui signifie que la Commission européenne réagit très rapidement à la votation populaire fédérale du 9 février 2014 et annonce à la Suisse, deux semaines plus tard, ses nouvelles règles du jeu librement inventées. La libre circulation des personnes est définie comme condition préalable absolue pour la participation de la Suisse au programme «Erasmus» à l’avenir. Concrètement, on attend du Conseil fédéral qu’il signe d’abord l’accord sur la libre circulation des personnes avec la Croatie, qui n’a rien à voir avec «Erasmus». Un comportement étrange d’un contractant envers l’Etat souverain suisse, ne trouvez-vous pas? Quant à la déclaration du vieux trotskyste Cohn-Bendit de la fin février – «Les Suisses reviendront vers nous à genoux et verront bien qu’ils ont besoin de l’Europe» – elle est tellement stupide qu’il n’est pas nécessaire d’en tenir compte. Juste une remarque en marge à ce sujet: si c’est cela que les dirigeants de l’UE entendent par un contractant souverain, il vaut vraiment mieux s’abstenir.
En vertu d’un accord bilatéral entre partenaires égaux, nous nous imaginons que les termes du contrat doivent être négociés par les deux parties sur un pied d’égalité, et naturellement avant l’entrée en vigueur de l’accord. A cela s’ajoute que le 9 février 2014 la Suisse n’a en rien violé le contrat bilatéral sur la libre circulation des personnes. Le peuple suisse a uniquement décidé de vouloir à l’avenir renégocier cette question. Comme chacun le sait, la Suisse est un contractant sérieux et fiable qui se tient évidemment aux clauses de résiliation contractuelles, si elle désire résilier un accord.

Rétrospective de l’année 2014: la Suisse est mieux servie sans programme «Erasmus»

Depuis la votation populaire sur l’initiative contre l’immigration de masse et l’expulsion de la Suisse du programme «Erasmus», dix mois se sont écoulés. Depuis, quelques faits intéressants sont apparus.
D’abord, le Conseil fédéral a découvert que l’argent qu’il versait jusqu’à présent dans la caisse d’Erasmus à Bruxelles pouvait tout aussi bien être versé directement aux étudiants suisses. Pour ceux qui veulent faire un échange il n’en résulte aucun inconvénient;4 pour la caisse fédérale c’est même un avantage, car en toute logique les bourses ne passant pas par Bruxelles sont moins onéreuses.
Les étudiants étrangers souhaitant passer un semestre dans une université suisse ne restent pas les mains vides, car eux aussi reçoivent des bourses de la Confédération – malgré le renvoi de la Suisse du programme «Erasmus». Comme toujours, la Suisse se montre ici aussi généreuse: alors qu’au cours de l’année 2012/2013, 2970 étudiants suisses ont participé au programme Erasmus, 3897 étudiants étrangers ont bénéficié d’une place en Suisse, donc près de 1000 de plus.5
Déjà début mars 2014, il s’est avéré que le Conseil fédéral ne semblait pas être malheureux suite à l’échec de la participation de la Suisse à la nouvelle étape d’«Erasmus» de 2014?–?2020. Car, après que le Conseil national et le Conseil des Etats ont approuvé l’accord de 185 millions de francs suisses, l’UE a soudainement exigé plus que le double.6 Le conseiller fédéral Schneider-Ammann sera donc très heureux de pouvoir allouer ces fonds fédéraux à une autre cause.

Etablir des contactes personnels au lieu de logiciels informatiques fixes

A la fin d’une année sans Erasmus nous constatons que nous n’avons réellement pas besoin d’un accord-monstre bruxellois pour que nos étudiants puissent passer un semestre à l’étranger et vice versa. Selon la presse quotidienne de la fin d’année, certaines universités suisses ont négocié des accords bilatéraux avec certaines universités étrangères durant l’année passée. Sous l’intitulé pas très suisse du programme «Swiss-European Mobility», on a conclu plus de 200 accords individuels avec d’autres universités, ce qui a exigé un énorme «effort de communication».7
En ces temps de communication illimitée dans un réseau virtuel, il se peut que cela ne fasse pas de mal à l’humanité de revenir de temps en temps aux relations directes par téléphone, c’est-à-dire que les fonctionnaires étatiques et les étudiants concernés aient aussi une fois à faire avec Monsieur A. ou Madame B. au lieu de simplement cliquer sur un numéro de leur grille informatique ou d’être eux-mêmes un numéro.
Et en ce qui concerne les efforts de Bruxelles, d’augmenter la «mobility» des étudiants européens, c’est un secret de polichinelle: ni le programme «Erasmus» ni le système de «Bologne» n’améliorent réellement la mobilité, bien qu’ils aient été inventés à cet effet. Car la reconnaissance des cours à l’université d’accueil est très souvent nullement garantie.8 Mais répétons: l’objectif principal de cet exercice est tout autre chose: de préparer un grand nombre d’universitaires qui seront un jour aptes à diriger les Etats-Unis d’Europe.     •

1    Europäische Kommission, Erasmus+Programm­leitfaden, en vigueur depuis le 1er janvier 2014, p. 9
2    SEFRI, L’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse et les conséquences sur la participation de la Suisse à Erasmus+, information du 19/9/14
3    www.swissinfo.ch  du 27/2/14
4    www.swissinfo.ch  du 27/2/14
5    www.moneycab.com/mcc/2014/03/07
6    «Was über Erasmus verschwiegen wird», Basler Zeitung du 6/3/14
7    «Austausch auch ohne Erasmus», Neue Zürcher Zeitung du 29/12/14
8    «Partysemester für Elitekinder», Weltwoche 10/14 du 5/3/14