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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2014  >  N° 6, 17 mars 2014  >  Démocratie directe et obligations envers des accords internationaux [Imprimer]

Démocratie directe et obligations envers des accords internationaux

Réflexions citoyennes à propos de la votation populaire du 9 février 2014

par Marianne Wüthrich, docteur en droit

C’est le propre de la démocratie directe qu’après une votation populaire quelques-uns ne sont pas contents du résultat. Chacun a le droit de l’exprimer. Ce qui est cependant assez inhabituel après la votation sur l’initiative contre l’immigration de masse du 9 février ce sont les déclarations ouvertement hostiles de certains milieux contre le système de démocratie directe de la Suisse. Les citoyens seraient responsables de la fin de la voie bilatérale, disent certains politiciens dans le pays. La libre circulation des personnes ne serait pas négociable, fait-on savoir de Bruxelles. Cependant la situation juridique est évidente et il n’y a aucune raison de produire de la nervosité. Ce qui est à l’ordre du jour – dans ce cas précis comme dans chaque autre – est en premier lieu la mise en œuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles par le législateur. Les travaux préparatifs sont l’affaire du Conseil fédéral, c’est là-dessus qu’il doit se concentrer. Un éventuel changement d’un accord avec l’étranger c’est un pas qui suivra plus tard et le Conseil fédéral ne peut ni ne doit se prononcer là-dessus à l’heure actuelle. Lorsque des conseillers fédéraux particuliers font des déclarations publiques à l’étranger concernant des décisions du souverain suisse, ils doivent se limiter à expliquer aux gouvernements des pays voisins et à la Commission européenne le modèle suisse en le soutenant pleinement.

Le 9 février, le peuple suisse a clairement dit oui à l’initiative contre l’immigration de masse. Lors d’une votation populaire sur le plan fédéral, cantonal ou communal une majorité simple est, en général, suffisante. Mais lorsqu’il s’agit d’une modification de la Constitution, il faut la double majorité en Suisse, soit la majorité du peuple et des cantons. La majorité des cantons a été clairement atteinte lors de la votation sur l’initiative contre l’immigration de masse: dans 14 ½ cantons la majorité s’est prononcée en faveur de l’initiative, seulement 8 ½ cantons se sont prononcés contre.

A quel sujet, le peuple et les cantons ont-ils dit oui? Un vote en faveur de l’autodétermination et la souveraineté

Le texte de l’initiative qui figurera comme nouvel article 121a dans la Constitution fédérale prescrit que la Suisse gère de nouveau de manière autonome l’immigration des étrangers en fixant des plafonds annuels et des contingents pour le permis de séjour des étrangers. Dans les plafonds, les frontaliers et les requérants d’asile sont compris. Les employeurs doivent de nouveau chercher tout d’abord les employés appropriés en Suisse («sous réserve du principe de priorité pour les Suissesses et les Suisses» – il va de soi qu’il s’agit de personnes résidant en Suisse et non pas de personnes de nationalité suisse). Des chiffres concrets ne sont exprès pas mentionnés dans le texte constitutionnel pour que le nombre de permis de séjour puisse varier selon la situation économique. Les détails seront réglés dans une loi fédérale et les accords internationaux doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans. De nouveaux accords internationaux contraires à ce texte constitutionnel ne doivent pas être conclus.
Le nouveau texte constitutionnel n’a absolument rien à voir avec de la xénophobie ou un «repli du pays». Celui qui prétend que nous «construisons un mur autour de notre pays» ment. Depuis toujours, la Suisse a été un pays hospitalier et ouvert au monde et des personnes du monde entier peuvent naturellement venir chez nous que ce soit des requérants d’asile des personnes actives, ou des étudiants et des chercheurs.
En réalité, la population suisse en a tout simplement assez de l’ingérence et d’être placée sous la tutelle de l’étranger. Elle a récupéré ce qui allait de soi avant les accords bilatéraux avec l’UE: la Suisse veut de nouveau déterminer elle-même combien de personnes et quelles personnes d’autres pays viennent chez nous, à savoir un nombre que notre territoire limité avec sa grande densité de population puisse supporter.
Une limitation de l’immigration avec autorisation obligatoire est en outre déjà maintenant en vigueur pour les immigrants de pays en dehors de l’UE, et tous les autres pays connaissent des lois semblables. En particulier les pays classiques de l’immigration tels que les USA, le Canada ou l’Australie règlent leur immigration avec des règlements stricts. Cela est aussi valable pour l’UE: elle permet la libre circulation des personnes uniquement entre les pays membres (et les Etats de l’EEE que sont la Norvège, le Lichtenstein et l’Islande, et avec l’Accord bilatéral aussi la Suisse), mais pas avec le reste du monde.

Mise en œuvre et concrétisation du nouveau texte constitutionnel dans une loi fédérale

Quelles seront les prochaines étapes?
Dans les textes constitutionnels on ne trouve souvent pas de détails, mais ils contiennent les grandes lignes d’une réglementation. Ainsi le nouvel article 121a de la Constitution fédérale qui devra rapidement être concrétisé dans une loi fédérale.
Cette loi fédérale devra être établie dans une procédure législative ordinaire, c’est-à-dire le Conseil fédéral est tenu d’établir – avec la participation des cantons, des partis et de groupements économiques – un projet de loi, d’ouvrir une procédure de consultation et d’effectuer les modifications tout en s’en tenant naturellement au texte et au sens du nouvel article constitutionnel. Ensuite le Conseil fédéral transmet l’article sous forme de message au Conseil national et au Conseil des Etats. Dans les deux chambres le projet de loi sera débattu et on effectuera d’éventuelles modifications pour finalement se mettre d’accord sur une version. Cette loi peut être sujet d’un référendum facultatif exigeant la récolte de 50 000 signatures en 100 jours suivant sa publication. Si le référendum aboutit, le peuple suisse vote aussi la loi d’exécution, cette fois-ci par simple majorité populaire sans majorité des cantons.
C’est seulement après avoir parcouru cette procédure politique interne selon la volonté du souverain et avec sa nouvelle approbation (soit lors d’un référendum, soit tacitement en renonçant au référendum) que la question se posera de savoir quels accords internationaux seront à modifier et comment.
Lorsque nos conseillers fédéraux s’excusent quasiment à l’étranger pour ce peuple suisse récalcitrant, ils ont une attitude tout à fait déplacée. D’abord ils doivent concrétiser la volonté du peuple dans une loi et après ils sont tenus de représenter la réglementation suisse à l’étranger, et cela non pas en quémandant mais sur un pied d’égalité. «Si nous attendons anxieusement à genou le diktat de l’UE, nous l’aurons!» (Carlo Jagmetti, ancien ambassadeur suisse, in: Weltwoche du 20/2/14).

Des traités internationaux entre Etats souverains peuvent être résiliés et/ou renégociés

Il est évident que les droits de décision politiques de la population suisse au plan fédéral, cantonal et communal se réduiraient à des résidus inefficaces si la Suisse adhérait à l’UE. Déjà aujourd’hui des institutions de l’UE essaient, et malheureusement aussi maintes politiciens suisses, de nous faire croire qu’avec les accords bilatéraux conclus avec l’UE, la Suisse ne serait plus libre de prendre des décisions populaires qui contrediraient ces accords.
Cette subordination globale de la législation nationale y compris la Constitution fédérale à la soi-disant «loi internationale» – mis à part l’importance de ses contenus – doit être corrigée. C’est le contraire: la Suisse est un Etat souverain qui n’est pas membre de l’UE. Lorsque le souverain décide de vouloir régler à nouveau lui-même l’immigration massive, les traités internationaux qui sont en contradiction avec le nouveau règlement constitutionnel doivent être résiliés et/ou renégociés. L’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE contient effectivement une clause d’après laquelle les autres six accords des Bilatérales I seraient, six mois après la résiliation de l’accord sur la libre circulation, abrogés. (La soit-disant clause guillotine).1
Mais dans les relations entre Etats rien ne se passe tout seul, on annonce d’abord des deux côtés son point de vue et puis on négocie et chaque partie doit essayer de trouver la meilleure solution pour son pays. C’est là que notre exécutif fait défaut: le soupçon s’impose que ces forces qui sur le parquet international devraient représenter les intérêts de la Suisse rêvent secrètement d’une adhésion de la Suisse à l’UE ou au moins qu’ils veulent plutôt plaire aux grandes puissances qu’à leurs propres compatriotes. Sinon ils se comporteraient autrement après la votation du 9 février. Et les conseillers fédéraux et les diplomates qui, dans les années 1990, ont négocié et signé les Bilatérales I n’auraient pas accepté une clause de résiliation aussi défavorable.
Au lieu de voyager à travers l’Europe dans une agitation trop zélée et d’affirmer à Berlin, Paris et Bruxelles que pratiquement rien ne changera, nos autorités pourraient rester un peu plus imperturbables car nos voisins ont grand intérêt à ce que leur citoyens puissent continuer à exercer une profession en Suisse, à utiliser la route du Gothard pour les transports de marchandises etc. En plus, le commerce réciproque est aussi intéressant pour les Etats membres de l’UE que pour notre pays, car la Suisse avec son pouvoir d’achat importe davantage de l’UE qu’elle n’y exporte.

D’après l’accord sur le libre échange des personnes, la Suisse a le droit de demander une modification de l’accord

Comme annoncé par le Conseil fédéral dans son communiqué de presse du 12 février 2014, les conseillers fédéraux Sommaruga, Schneider-Ammann et Burkhalter élaboreront un concept jusqu’à la fin juin 2014 et présenteront un projet de loi au Parlement, à la fin de l’année 2014. En parallèle, les départements des UE-turbo Sommaruga (DFJP) et Burkhalter (DFAE) veulent déjà organiser une réunion avec le «Comité mixte sur la libre circulation des personnes, Suisse-UE». Johann Schneider-Ammann du département fédéral de l’économie (DFE), qui d’après son affirmation au préalable de son élection au Conseil fédéral ne serait pas pour une adhésion de la Suisse à l’UE, est omis. Pour la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, il est cependant déterminant de savoir avec quelle attitude et quels objectifs le Conseil fédéral s’investit dans ce comité mixte. D’après l’accord sur la libre circulation des personnes de 1999, la Suisse a le droit de communiquer une modification dans sa législation intérieure et d’apporter une proposition pour la révision de cet accord:

Art. 17 Développement du droit
(1) Dès qu’une partie contractante a entamé le processus d’adoption d’un projet de modification de sa législation interne […], la partie contractante concernée en informe l’autre partie par le biais du Comité mixte.
(2) Le Comité mixte procède à un échange de vues sur les implications qu’une telle modification entraînerait pour le bon fonctionnement de l’accord.
Art. 18 Révision
Si une partie contractante désire une révision du présent accord, elle soumet une proposition à cet effet au comité mixte. La modification du présent accord entrera en vigueur après l’accomplissement des procédures internes respectives […]. 2

Pourquoi donc ces prises de position intransigeantes de Bruxelles et les réactions excitées de quelques conseillers fédéraux suite à la votation populaire du 9 février? D’après les articles 17 et 18, la libre circulation des personnes peut bel et bien être négociée. Ou bien se pourrait-il qu’on n’entende, par «partie contractante» qui modifie sa législation interne et souhaite réviser l’accord, pas les deux côtés mais uniquement l’UE? Apparemment nous les Suisses comprenons autre chose en matière d’accord «bilatéral» que les seigneurs de Bruxelles – à savoir un accord entre deux Etats souverains ayant les mêmes droits et non pas un diktat unilatéral.
Qu’importe comment les représentants de l’UE l’ont interprété en 1999: dans ces articles il est écrit noir sur blanc que la Suisse a le droit de proposer des modifications
de l’accord. Encore une fois: le Conseil fédéral doit représenter et faire valoir les intérêts de la Suisse, à savoir les décisions du souverain suisse. Au lieu de cela le Conseil fédéral a chargé le conseiller fédéral du DFAE, donc l’UE-turbo Burkhalter d’«accorder autant que possible le processus politique intérieur et extérieur de la mise en œuvre quant au fond et au temps» (communiqué de presse du 12/2/14). En clair: il s’agit tout d’abord de demander à l’UE ce qu’elle désire et de persuader ensuite les Suisses que l’initiative populaire peut être réalisée uniquement dans un cadre bien limité imposé par l’UE.

La démocratie directe comme obstacle efficace contre l’adhésion de la Suisse à l’UE

Dans un «Appel européen» le Nomes (Nouveau mouvement européen Suisse) s’est soucié prétendûment de la «défense des droits de l’homme» des 1,8 millions d’étrangers en Suisse. En réalité, les personnes résidant actuellement en Suisse ne sont pas du tout le sujet de l’initiative populaire. Celui qui vit déjà ici n’immigrera pas à l’avenir, les restrictions futures ne les concernent donc pas. En outre, les contingents pour l’immigration sont déjà en vigueur actuellement pour les personnes en provenance d’Etats ne faisant pas partie de l’UE et pour les Etats de l’AELE, ce qui ne dérange apparemment pas le Nomes.
Agaçant pour le Nomes et autres UE-turbos est plutôt qu’avec le résultat de la votation du 9 février l’adhésion de la Suisse à l’UE s’éloigne plus que jamais, surtout à cause de la nette majorité des cantons.
Car l’objectif et le but du Nomes n’est pas la «défense des droits de l’homme» de n’importe qui mais uniquement l’adhésion de la Suisse à l’UE: «Nous travaillons pour que la Suisse devienne un membre actif de l’Union européenne et pour que les Suissesses et les Suisses obtiennent le droit de vote européen.» (Christa Markwalder, présidente du Nomes sur le site internet du Nomes)
Pour cette raison la Suisse, d’après «l’Appel européen», devrait «revenir sur la votation du 9 février 2014 et choisir l’Union européenne dont elle partage les valeurs».
A ce sujet il faut retenir ceci: primo, la Suisse ne doit pas du tout «revenir» sur la décision du souverain, mais la mettre en œuvre d’après la volonté du peuple. Secondo, les valeurs fondamentales généralement reconnues que nous ne partageons d’ailleurs pas seulement avec l’UE, mais avec toute la communauté des peuples, ont été inscrite dans la Constitution suisse déjà bien avant l’existence de l’UE. Tertio: il est bien évident que les droits de démocratie directe du peuple suisse représentent un obstacle sérieux pour l’adhésion à l’UE – il va de soi que la démocratie directe est incompatible avec une adhésion à l’UE. Et finalement: combien de Suisses se contenteraient du «droit de vote européen», bien maigre, en lieu et place de nos droits politiques actuels très étendus.

Conclusion

Nous citoyens avons tout lieu de rester vigilants: avec la votation du 9 février nous avons une fois de plus confirmé notre volonté de rester un Etat souverain et indépendant. Nous ne permettrons pas que des membres de l’exécutif et leurs complices dans l’administration fédérale et des organisations telles que le Nomes – dont notamment les Conseillers fédéraux Berset et Burkhalter ont été membres avant leur élection – ne respectent pas la volonté du peuple. Le Conseil fédéral en tant que serviteur du peuple doit s’engager avec toute sa force et toute sa conviction pour le maintien de la démocratie directe et pour la mise en œuvre des décisions populaires sans réserve. S’il ne donne pas satisfaction dans cette tâche, il nous reste toujours le référendum facultatif contre la loi fédérale respective.    •

1     Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d’une part et la Communauté européenne et ses Etats membres d’autre part sur la libre circulation des personnes, article 25, alinéa 3 et 4
2     Accord entre la Confédération suisse d’une part et la Communauté européenne et ses Etats membres d’autre part sur la libre circulation des personnes. Entré en vigueur le 1er juin 2002

Vàclav Klaus: «Il y va de la liberté»

«Pour moi, le résultat du vote ne signifie pas ‹Non à l’immigration›, mais: ‹Ralentissez l’immigration dans mon pays, s.v.p.› Ce message ne doit pas être mal compris. J’ai la ferme conviction que chaque pays a le droit de dire de telles choses. Les ‹multiculturalistes› irresponsables, les mondialistes et les ‹européistes› voient cela, bien sûr, différemment. Eh bien, ils se trompent. Nous ne devons pas soutenir les nouveaux ‹-istes› intolérants et collectivistes, qui visent à supprimer notre liberté. […]
Tout le débat porte essentiellement sur la liberté.»

Vàclav Klaus, ancien président de la République tchèque, in: «Weltwoche» du 20/2/14

 

Peter Gauweiler: «La Suisse ne s’abolit pas»

«Au cours de cette année 2014, très jeune encore, cette année toute fraîchement débutée, il y a eu deux événements qui ont échauffé à l’extrême les classes politiques de la République fédérale d’Allemagne, et que celle-ci, jusqu’à ce jour, n’arrive pas à s’expliquer. L’un des événements a été le référendum du 9 février 2014 en Suisse. L’autre a été la décision, au nom du Peuple, du Tribunal constitutionnel fédéral du 14 janvier 2014.
Mesdames et Messieurs, sur ce vote populaire, j’ai lu une prise de position très intéressante, venant de Suisse, un pays neutre, fortement touché par ce sujet hautement émotionnel qu’est l’immigration. Elle disait: ce vote populaire en Suisse, vous devez y voir beaucoup plus qu’une simple question d’immigration. La majorité de la population a pris une décision qui est opposée à tous les partis politiques, à toutes les associations faîtières, à tous les ‹conseillers› professionnels et autres personnes qui veulent toujours avoir raison. Ce vote populaire n’a obéi qu’à une seule devise: la Suisse ne s’abolit pas. Voilà le seul et unique message sorti des urnes. Et la décision du Tribunal constitutionnel fédéral, statuant que M. Draghi et son Conseil central de la Banque centrale européenne n’ont pas le droit de vouloir remplacer le Bundestag et la représentation du peuple, exprime la même devise: l’Allemagne ne s’abolit pas non plus.»

Extrait du discours de Peter Gauweiler lors du «Aschermittwoch» politique de la CSU à Passau le 5 mars 2014.  www.peter-gauweiler.de