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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°22, 7 juin 2010  >  L’Allemagne doit se démocratiser (3e partie) [Imprimer]

L’Allemagne doit se démocratiser (3e partie)

par Karl Müller

«Oui, c’est ça, mes sujets doivent tout simplement faire ce que je leur dis de faire, mais ils veulent toujours penser par eux-mêmes et c’est de là que proviennent toutes les difficultés.»1 Pour l’empereur Guillaume II, l’analyse politique et les conclusions à en tirer étaient une chose simple. Depuis, nous avons acquis de nombreuses expériences historiques, également en Allemagne. En tirons-nous les leçons? Pourquoi est-il aussi difficile de penser les relations entre les dirigeants politiques et les citoyens dont on débat depuis la Révolution française?
L’historien Adolf M. Birke écrit à propos du premier Chancelier allemand Konrad Adenauer: «Sa méfiance à l’égard des hommes, surtout de ses compatriotes et de leurs capacités en matière de politique pouvait se transformer en mépris. Cette attitude du patriarche, sans doute renforcée par l’âge, se nourrissait de son rôle d’administrateur d’un peuple dont il ne croyait pas qu’après l’intoxication nazie, il puisse trouver sa voie politique s’il était laissé à lui-même.» Le premier Président de la jeune République Theodor Heuss déclara, le 9 septembre 1948, dans son discours devant le Conseil parlementaire: «Je vous mets en garde: il ne faut pas alourdir la future démocratie: […] L’initiative populaire, salu­taire dans une tradition de civisme et pour des questions simples, est dans une grande démocratie, à une époque de massification et de déracinement, une prime accordée à n’importe quel démagogue.»
15 ans auparavant, Heuss avait voté la loi des pleins pouvoirs et maintenant nos deux politiciens laissaient entendre que la République de Weimar avait échoué à cause de ses éléments de démocratie directe. Il est prouvé aujourd’hui que ce ne fut pas le cas. Au contraire: pendant les années de la République, les Allemands ont utilisé les initiatives populaires avec circonspection. La chute de la République avait de tout autres causes.
C’est une erreur de croire qu’il est préférable pour les individus que l’humanité soit répartie entre un petit nombre de dirigeants et un grand nombre de sujets. Ne vaudrait-il pas la peine de se demander à quoi l’Allemagne devrait se référer pour que ses habitants participent activement à la gestion de l’Etat démocratique au lieu d’être tenus à l’écart, comme les 80 % d’opposants à la guerre en Afghanistan?
•    Aux dispositions de la Loi fondamentale sur la dignité humaine, sur les droits fondamentaux et sur l’article 20 («La République fédérale d’Allemagne est un Etat fédéral démocratique et social.» [c’est nous qui soulignons] «Tout pouvoir d’Etat émane du peuple.»;
•    Aux dispositions sur la démocratie de la Charte des Nations unies de 1945, de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966;
•    A la conception de l’homme issue de la philosophie des Lumières et du droit naturel qui placent les droits de l’homme et l’intérêt général au centre de l’action politique;
•    Aux expériences acquises dans la comparaison entre les systèmes politiques démocratiques et non démocratiques qui ­donnent nettement la préférence au modèle démocratique.
Cela dit, la comparaison révèle non seulement la supériorité des démocraties représentatives sur les systèmes ouvertement totalitaires mais également celle de la démocratie directe sur la démocratie représentative.
L’association allemande «Mehr Demokratie e.V.» a résumé les arguments en faveur de davantage de démocratie directe dans l’ouvrage de Jost Verhulst et Arjen Nijeboer, «Direkte Democratie. Fakten, Argumente, Erfahrungen» (2007, ISBN 9789078820024). La plupart de ces arguments tombent sous le sens. Des recherches scientifiques (Lars P. Feld, Gebhard Kirchgässner, Marcel R. Savioz, «Die direkte Demokratie. Modern, erfolgreich, entwicklungs- und exportfähig» (1999, ISBN 9783719018375, malheureusement épuisé pour le moment) ont confirmé et approfondi les arguments.

Pourquoi, après 1945, la démocratie n’a-t-elle pas vraiment pu se développer?

Qu’est-ce qui s’est donc passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qui explique qu’en Allemagne non plus la démocratie n’a pas vraiment pu se développer?
Les historiens allemands de l’après-guerre voient de manières différentes les continuités et les ruptures dans l’attitude des élites allemandes du Congrès de Vienne (1815) à aujourd’hui. Ils sont assez d’accord pour dire qu’il existe une continuité jusqu’au nazisme, mais ici déjà apparaissent des controverses persistantes. Si en février 1998, à l’occasion du 150e anniversaire de la Révolution allemande de 1848, le magazine allemand Der Spiegel faisait sa une sur la continuité entre la Révolution ratée et Hitler, en passant par Bismarck et Guillaume II et titrait «Il y a 150 ans: 1848, la demi-révolution, début du désastre allemand?», tout le monde n’est pas d’accord, aujourd’hui encore. Cela apparaît par exemple dans la controverse persistante à propos des positions de Fritz Fischer (de «Griff nach der Weltmacht. Die Kriegszielpolitik des kaiserlichen Deutschland 1914/1918», 1961, à «Hitler war kein Betriebsunfall», 1992) ou de celles de Hans-Ulrich Wehler («Das deutsche Kaiserreich», 1973).
Il vaut cependant la peine d’examiner les points de départ des différentes positions car on se rend compte alors qu’elles aussi sont très diverses et qu’elles sont étroitement liées aux différentes conceptions de la philosophie de l’histoire. Ainsi Thomas Nipperdey, qui critique Wehler, part, dans le troisième vo­lume de sa «Deutsche Geschichte 1866–1918. Machtstaat vor der Demokratie», d’une description dialectique de l’Empire où il constate des forces réactionnaires et des forces de progrès, des éléments anciens et des éléments modernes, un Etat autoritaire et un parlementarisme démocratique: réunion de contraires qui ne doit pas être jugée selon nos critères actuels. Ce faisant, Nipperdey s’appuie sur Hegel, le philosophe qui idéalisa l’Etat prussien.
Pour les historiens et les politologues renommés, il est presque tabou de prétendre que les élites allemandes n’ont pas rompu, après la Seconde Guerre mondiale, avec les traditions des années de guerre et des décennies précédentes mais qu’elles ont été placées tout à fait consciemment dans leurs nou­velles fonctions politiques par les Alliés, avant tout par le gouvernement américain, malgré leur manque d’esprit démocratique. La thèse de la continuité a été presque entièrement le fait des écrivains allemands de l’après-guerre – Wolfgang Borchert, Wolfgang Koeppen, Heinrich Böll, etc. – et de quelques rares journalistes comme Rolf Winter («Nein, so hat diese Republik nicht werden sollen. Die politische Kultur der Bundesrepublik, 1994, ouvrage malheureusement épuisé). Ainsi, on s’est soustrait au devoir d’examiner les choses de plus près.
En outre, le débat sur la recherche de la vérité a été empêché par les luttes politiciennes. De nombreux débats de l’après-guerre ont été marqués par la guerre froide et de nom­breuses critiques de la politique de l’Allemagne de l’Ouest ont été repoussées comme étant «communistes», inspirées par l’Est, donc hostiles.
Finalement, les responsables de l’Allemagne de l’après-guerre se trouvaient face à d’énormes tâches, et même plus de 60 ans après, il n’est pas facile d’être objectif en ce qui concerne ces années de choix importants. Rien n’est blanc ou noir. Les jugements doivent être nuancés.

Rien n’est blanc ou noir

L’historien Golo Mann a tenté de le montrer, en conclusion de son ouvrage «Deut­sche Ge­schichte des 19. und 20. Jahrhunderts» paru en 1958. D’une part, il écrit: «Malgré la splendeur des rues commerçantes et des parkings, la structure sociale de l’Allemagne est essentiellement restée la même. Les administrations, la science, la justice, l’industrie et le commerce recrutent toujours des membres des classes supérieures ou moyennes. Le nouvel Etat a, une fois encore, avantagé non pas les pauvres mais les riches, tout d’abord par la réforme monétaire puis par la législation fiscale. […] On a une fois de plus manqué l’occasion de faire une révolution sociale.»
Il écrit en outre: «L’Etat autoritaire allemand, dont les classes dirigeantes – fonctionnaires, justice, Eglise, armée, noblesse – avaient survécu à la chute des Hohenzollern et avaient contribué à ruiner la démocratie weimarienne, a été détruit au cours des années hitlériennes, années de dictature totalitaire, vulgaire, sans racines et déracinante, issue en grande partie des classes inféri­eures et bouleversant les classes. Le représentant le plus puissant de l’ancienne autorité, la noblesse prussienne, a alors été ruinée: par la guerre qui a tué des milliers de ses membres; par la résistance à Hitler, par la succession de complots à la suite desquels des centaines de ses représentants ont été exterminés. […] L’Allemagne [la RFA] n’était plus dirigée par la bourgeoisie guillaumienne respectueuse envers l’autorité, comme sous la République de Weimar, ni par des gangsters, comme sous le Troisième Reich, mais par les classes moyennes. […] Les Allemands de la fin des années 1950 n’étaient plus des «sujets». Ils ne connaissaient plus le respect de l’autorité, qu’elle fût politique ou privée.»

Politique de l’occupant et politique allemande

L’Allemagne était-elle pour autant déjà une démocratie?
«Die Deutschlandakte. Was Politiker und Wirtschaftsbosse unserem Land antun» (2008, ISBN 978-3-570-01024-2) est un ouvrage de Hans Herbert von Arnim publié il y a seulement deux ans. Dans le premier chapitre, l’auteur évoque la naissance de la Loi fondamentale et ses dispositions. Il écrit: «La souveraineté populaire, si souvent invoquée, qui constitue la base de notre système poli­tique, n’est, à y regarder de plus près, qu’une fiction. La Loi fondamentale de 1949 ne repose pas sur des décisions du peuple et le peuple allemand n’a pas son mot à dire sur la constitution européenne (qui ne peut plus s’appeler ainsi), et surtout pas sur des élargissements de l’UE. Depuis les Lumières et les déclarations des droits de l’homme qui s’en inspirent, seules les constitutions que le peuple s’est données sont valables.» Or cela ne vaut pas pour la Loi fondamentale allemande: «En réalité, ce sont les forces d’occupation qui ont dominé l’élaboration de la Constitution allemande. Elles en ont fortement influencé le contenu et ont soumis son entrée en vigueur à leur approbation.»
Le Conseil parlementaire, l’organe qui rédigea la Loi fondamentale selon un cahier des charges imposé par les Alliés, savait cela lui aussi. Von Arnim cite Konrad Adenauer (CDU), président dudit Conseil: «Nous ne sommes pas mandatés par le peuple allemand mais par les Alliés.» Carlo ­Schmidt (SPD), vice-président du Conseil parlementaire, a parlé d’une sorte de «domination ­étrangère».

Pas de consultations populaires

A l’origine, les Alliés occidentaux avaient demandé une consultation populaire sur la Loi fondamentale. La population devait, en se prononçant, exprimer sa soumission aux Alliés et accepter son manque de souveraineté après la fondation d’un Etat allemand. La plupart des politiques membres du Conseil s’opposèrent catégoriquement à une consultation populaire. Ils prétendaient qu’elle accorderait trop d’importance à la Loi fondamentale et qu’elle scellerait la division de l’Allemagne. Mais on avança également l’argument selon lequel cette consultation pourrait conduire à un refus parce que la population ouest-allemande n’était pas d’accord avec la situation et avec la politique des forces d’occupation.
A cela s’ajoutait une méfiance fondamentale encore renforcée à l’égard du peuple allemand. Le fondement idéologique en avait été fourni par l’Ecole de Francfort, rentrée au pays après des années d’exil, et d’autres théories abstruses de la psychologie des masses, qui parlait de «faute collective» des Allemands. Un document qui circulait dans les états-majors britanniques et américains à la fin de la guerre disait ceci: «Alors qu’en ce qui concerne l’économie, la technique et l’organisation, les Allemands occupent la première place, ils font partie des peuples les plus arriérés en matière de politique. A bien des égards, le ­caractère alle­mand est primitif. Cela se manifeste particulièrement dans leur respect des traditions historiques, dans leur admiration pour le Moyen Age et la cruauté, l’intolérance et les pratiques occultes qui caractérisent cette époque ainsi que pour les brutales et sauvages tribus teutoniques plus anciennes. Des milieux extrémistes auxquels appartiennent également des hommes éminents exultent même ouvertement à l’idée d’être des «barbares ­modernes».2

Nouvelles idéologies et vieux stéréotypes

On retrouva ce genre d’idées encore dans les décisions de la Conférence des Alliés, par exemple à Potsdam à l’été 1945 où, au chapitre «III. Sur l’Allemagne», on pouvait lire: «Les armées alliées procèdent à l’occupation de toute l’Allemagne et le peuple allemand commence à payer pour les effroyables crimes commis sous le commandement de ceux qu’il a soutenus au temps de leurs succès et auxquels il a obéi aveuglément.»
Mais les nouvelles élites de l’Alle­magne de l’Ouest reprirent le vieux stéréotype sur les citoyens et les citoyennes. Dans son livre intitulé «Direktdemokratische Elemente in der deutschen Verfassungsgeschichte», Hanns-Jürgen Wiegand a également rassemblé les positions exprimées dans les premières années de l’après-guerre, notamment dans les discussions à propos de la Loi fondamentale. Sa conclusion est la suivante: Chez les adversaires résolus d’une consultation populaire, «les décisions étaient imprégnées d’attitudes mentales traditionnelles et d’expériences politiques personnelles faites à l’époque de la République de Weimar et elles servirent à légitimer les objectifs con­stitutionnels concrets. […] Le fait que d’anciens politiques de Weimar s’appuyèrent sur des faits personnels mais non scientifiquement prouvés de cette époque pour formuler leurs objectifs de politique partisane actuelle ressort clairement de ce qu’ils envisageaient de manière tout à fait négative certaines dispositions de la Constitution de Weimar qu’ils n’avaient guère critiquées lors de l’élaboration des constitutions des Länder avant 1948. Inversement, on pouvait, comme Adenauer, se dispenser de ces «expériences» lorsque c’était politiquement opportun. Finalement, l’attitude à l’égard de la tradition constitutionnelle de Weimar était politiquement arbitraire.» (C’est nous qui soulignons.) Dans leur ouvrage «Die direkte Demokratie. Modern, erfolgreich, entwicklungs- und exportfähig», Lars P. Feld, Gebhard Kirchgässner, Marcel R. Savioz ont montré que les consultations populaires de la République de Weimar n’ont pas contribué à son effondrement. Au contraire!
Comment interpréter alors des déclarations comme celle de Theodor Heuss? Wiegand écrit à ce sujet: «Il n’exprimait pas seulement une aversion due à la situation mais son hostilité générale à l’égard de la «­grande masse» de la population et de son manque de «maturité politique». Elle provenait des conceptions culturelles traditionnelles de la bourgeoisie libérale et était dans la ligne des critiques à l’égard de la démocratie et du socialisme que les libéraux allemands avaient formulées dès le XIXe siècle.»

Les tâches des années d’après-guerre

Toutefois nous devons mettre en garde contre le manichéisme. De même qu’un revirement s’était opéré dans l’élite appartenant à la résistance du 20 juillet, le choc provoqué par la guerre et les crimes nazis avait laissé des traces dans les élites allemandes de l’après-guerre. Chacun ne voulait ou ne pouvait pas ignorer les faits et la voix de sa conscience et rejeter la responsabilité de la catastrophe sur les autres. Il y avait des personnalités qui revenaient de l’exil, aussi de l’exil suisse, et en rapportaient des idées précieuses, également en direction de la démocratie directe. Il y avait des personnalités qui avaient passé des années dans des camps de concentration et savaient, pour en avoir souffert, ce que signifiaient le mépris du droit et le ­totalitarisme.

L’essence de la Loi fondamentale

Même si la Loi fondamentale fut une constitution imposée d’en haut et que beaucoup de choses souhaitables n’y figuraient pas, elle contenait pourtant des dispositions précieuses, en particulier les articles 1 à 20 qui méritent encore d’être pris à la lettre et qui peuvent et devraient constituer la base d’une authentique démocratie allemande.
Rolf Winter était un journaliste allemand qui a sévèrement critiqué la politique de la RFA. On ne saurait le soupçonner d’avoir enjolivé la réalité et pourtant il a écrit en 1994 un livre intitulé «Nein, so hat diese Republik nicht werden sollen». Il y a exprimé deux choses: En 1994, il est apparu nettement qu’une grande partie des ­élites allemandes, après la réunification, voulaient se débarrasser de certains complexes, ­qu’elles anesthésiaient leur conscience morale et ­qu’elles manifestaient non seulement, de plus en plus, une nouvelle arrogance et une nouvelle mégalomanie allemandes mais ­qu’elle était de plus en plus disposée à soutenir une politique de grande puissance, une politique de guerre et d’exploitation contraire au droit. Cette nouvelle attitude se manifestait même dans une arrogance des Allemands de l’Ouest à l’égard de leurs compatriotes de l’Est, laquelle était apparue dès la fondation des deux Etats allemands et était étroitement liée à l’«arrogance occidentale» provenant des pays anglo-saxons et en partie au désir des élites ouest-allemandes de se faire bien voir de cet «Occident».
D’autre part, selon Rolf Winter, il y a eu d’autres tentatives juste après la guerre. Il écrit: «En 1949, j’étais journaliste à Bonn et j’assistais à toutes les séances du Bundestag, si bien que j’en connais un rayon. A l’époque, tous les députés voulaient un Etat social. […] Ils voulaient sincèrement un «Etat de droit social», un Etat de l’intérêt général, de la solidarité, un Etat fait pour tous les citoyens sans distinctions. […] Au centre de tous nos efforts, disaient-ils à Bonn, en 1949, il y a l’homme. Et ils étaient sincères. […] Cette nouvelle République ne devait pas être un champ de bataille où le plus fort l’emporte, un endroit où l’on se réjouit que les cours boursiers montent et où l’on empoche de l’argent chaque fois qu’une entreprise licencie quelques milliers de salariés. […] Cette République ne devait pas non plus être un pays où les valeurs n’étaient plus fixées que par la publicité commerciale, un terrain où les individus peuvent laisser libre cours à leur cupidité, où domine le ras-le-bol politique. […] Malgré tout ce qui les séparait politiquement, ils voulaient une République cultivée. […] On était très idéaliste dans ce premier Bundestag, des communistes à l’extrême gauche aux conservateurs du «Parti allemand» à l’extrême droite. Après l’époque du banditisme brun, il y avait enfin de nouveau une culture politique allemande. […] Ce devait être une [république] acceptée par tous et à laquelle tous allaient participer, une république de l’égalité des droits, de la sollicitude dans laquelle on ne serait pas puni à vie d’être faible, une république de l’intégrité dans laquelle les politiques auraient une fonction de modèles.»

L’objectif du premier gouvernement fédéral: reconstruire l’Allemagne

Effectivement, il vaut la peine de jeter un coup d’œil à la déclaration de politique générale du premier gouvernement lue par le premier Chancelier, Konrad Adenauer. Elle évoque les tâches gigantesques auxquelles devaient faire face le premier gouvernement ainsi que tous les Allemands de l’Ouest (et, à certains égards également, les Allemands de l’Est, où un second Etat allemand fut créé peu après la République fédérale).
La liste suivante est incomplète, mais elle suffit à montrer de quoi il s’agit:
•    Malgré leur fondation, les deux Etats allemands n’étaient pas souverains. Le Statut d’occupation de l’Allemagne conservait aux puissances d’occupation occidentales de nombreux pouvoirs politiques. La politique étrangère relevait uniquement des puissances d’occupation.
•    La crise du logement était considérable en 1949. L’Allemagne était encore un pays détruit par les bombes. Il y avait pénurie de beaucoup de biens de consommation ­d’usage quotidien et le chômage était élevé.
•    En plus de ceux qui vivaient déjà en Allemagne de l’Ouest, il fallait nourrir, loger et intégrer des milliers de réfugiés et de personnes déplacées.
•    Malgré cette misère, les Alliés continuaient de démanteler des usines, et cela pas seulement en Allemagne de l’Est.
•    La réforme monétaire de 1948 avait certes mis fin à l’inflation et au marché noir mais elle était considérée par beaucoup comme injuste car elle avantageait considérablement ceux qui possédaient des biens matériels et lésait considérablement tous les épargnants.
•    La question de l’ordre économique n’était pas encore réglée définitivement. Adenauer mena une campagne électorale sur la question «économie planifiée ou économie sociale de marché» et interpréta le résultat comme une victoire de l’économie sociale de marché, mais ce résultat était serré; le SPD ne s’était pas encore décidé en faveur de l’économie sociale de marché et demandait une économie étatique planifiée et une nationalisation des moyens de production. Plusieurs constitutions des Länder allaient dans ce sens. La Loi fondamentale avait elle-même laissé ­ouverte la question de l’ordre économique mais en affirmant la fonction sociale de la propriété, elle s’opposait catégoriquement au capitalisme anglo-saxon. Toutefois, l’économie de marché pratiquée jusque-là ne méritait pas le qualificatif de «social». Ce fut tout d’abord une formule de propagande des Alliés occidentaux destinée à empêcher les Allemands de l’Ouest de se tourner vers le socialisme, qu’elle qu’en fût la forme.
En même temps, les Allemands avaient fait les pires expériences de toutes sortes d’économies dirigées et de réglementations et aspiraient à la liberté de la vie économique. ­Certes, la réforme monétaire avait été très injuste. Au début, elle avait provoqué une hausse des prix et du chômage ainsi que des tensions sociales considérables. Mais les magasins étaient de nouveau achalandés, la monnaie se stabilisa au bout de quelques mois et on pouvait enfin obtenir quelque chose pour son argent.
Pour le nouveau gouvernement fédéral, la tâche principale était de relancer l’économie et c’est pourquoi il considérait comme son «premier devoir» d’éviter les injustices et les tensions sociales et de ne pas laisser place aux influences spéculatives».
Il fallait relancer la production agricole afin de parvenir le plus rapidement possible à l’autosuffisance.
Il fallait commencer par permettre à de larges couches de la population de se constituer un capital. Aussi convenait-il d’éviter l’excès de financement étranger des entre­prises qui fut catastrophique sous la République de Weimar. Grâce à des «actions populaires», les salariés allaient devenir copropriétaires de grandes entreprises.
Ce n’est pas un esprit de lutte de classe qui devait régner entre patrons et ouvriers mais un partenariat social fondé sur l’égalité des droits. Les salariés devaient pouvoir participer à la gestion de leur entreprise. Une «répartition des sacrifices» devait répondre aux besoins matériels les plus aigus des millions de réfugiés et de personnes déplacées. La déclaration de politique générale se terminait par la phrase suivante: «Notre travail sera porté par l’esprit de la culture occidentale chrétienne et le respect du droit et de la dignité de l’homme.»

Succès et tâches à accomplir

Jusqu’en 1957, la CDU et la CSU virent augmenter le nombre de leurs députés au Bundestag jusqu’à obtenir la majorité absolue, la seule fois dans l’histoire de la République fédérale. Notons qu’à l’époque, la participation était encore très élevée. C’était avant tout le résultat d’un essor économique exceptionnel et des efforts de tous les Allemands.
Cet essor, le «miracle économique», fut dans une certaine mesure une grande réussite démocratique. Mais on observa un relâchement dans la poursuite de la démocratisation de la vie politique. L’idée qu’une démocratisation de la politique et que davantage de participation des citoyens auraient pu apporter beaucoup à l’avenir du pays n’était pas encore répandue. Cela peut être corrigé aujourd’hui.    •

1    Citation tirée de l’ouvrage de Michael Stürmer intitulé «Das ruhelose Reich, Deutschland
1866–1918» (1994) et provenant des notes du comte Robert Zedlitz-Trüzschler, ancien maréchal de la Cour de Guillaume II., Berlin 1924, p. 84
2    Citation tirée d’Adolf M. Birke, «Nation ohne Haus. Deutschland 1945–1961», (1994), p. 14

«Demokratie. Das war in ihren Augen etwas Unangenehmes und eher Gefährliches»

Aus einem Gespäch von Fritz Stern mit Helmut Schmidt

Fritz Stern: Wieso hat das Bürgertum aus dem Krieg [gemeint ist der Erste Weltkrieg] nicht mehr gelernt, sondern im Gegenteil die falschen Konsequenzen gezogen?
Helmut Schmidt: Die Deutschen haben über die notwendigen Strukturen des Staates nie richtig nachgedacht. Die Ursachen reichen weit zurück. Anders als in Frankreich oder England – ich nenne Montesquieu oder Rousseau oder Locke oder Hume – hat es in Deutschland eigentlich keine Staatsdenker gegeben. Es gab ein paar Leute am Beginn der Aufklärung, die man inzwischen wieder vergessen hat – einer hiess Pufendorf –, die sind alle ohne Einfluss geblieben auf die bürgerliche Gesellschaft. Was unter anderem dazu geführt hat, dass – ausserhalb der freien Städte – die Masse der Deutschen, insbesondere der Adel und das Offizierskorps, aber auch die Professorenschaft, die Demokratie nicht begriffen hat. Das war in ihren Augen etwas Unangenehmes und eher Gefährliches.
Stern: Es gab Hegel. Hegel hat den Staat geradezu überhöht. Und es gab Karl Marx.
Schmidt: Karl Marx war Soziologe, er hat über den Staat nichts wirklich Brauchbares geschrieben. Das Staatsdenken fehlt bei Marx fast total. Und Hegel hat den Staat so, wie er war, für den besten aller denkbaren gehalten. Den preussischen Staat wohlgemerkt, den Staat Friedrich Wilhelms III., den Engels einen der grössten Holzköppe nannte, die je auf einem Thron sassen. Nein, die Deutschen haben nicht über Gewaltenteilung philosophiert, das haben sie Montesquieu überlassen. Sie haben auch nicht, wie die Autoren der Federalist Papers in Amerika, philosophiert über den Machtausgleich innerhalb eines Staates. Das fehlt alles bei den Deutschen. Sie haben über den Staat in abstracto philosophiert.
Stern: Mit einer Ausnahme: der kurzen Zeit der preussischen Reform-Ära, als es darum ging, aus dem Untertanen einen Bürger zu machen. Dieses Ideal schwebte sowohl den Militärreformern vor als auch den Reformern des preussischen Staatswesens, Hardenberg, Humboldt, Stein. Man muss hinzufügen: Es gelang nicht ganz!
Schmidt: Es war weniger ein Nachdenken über die wünschenswerte Struktur des Staates als vielmehr ein Nachdenken über den wünschenswerten Typus des Staatsbürgers.
Stern: Ja, aber das fällt doch zusammen!
Schmidt: Nicht notwendigerweise. Das Motiv der Reformer war, soweit ich es sehe, ein pädagogisches und ist schnell verpufft. Wenn ich an 1848 – Paulskirche – denke, kamen die meisten Anregungen aus Frankreich und vor allem aus Amerika. Aus Preussen kam so gut wie nichts.

Quelle: Helmut Schmidt, Fritz Stern, Unser Jahrhundert, Ein Gespräch. 2010, ISBN 978-3- 406-601132-3, Seite 90f.