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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°23, 15 juin 2009  >  L’agriculture suisse a un avenir [Imprimer]

L’agriculture suisse a un avenir

Lors de l’Assemblée générale de la «Neue Bauernkoordination Schweiz» (Nouvelle Coordination paysanne suisse), le professeur Hans Hurni, chef du «Centre pour l’environnement et le développement» (CDE) de l’Université de Berne, a répondu sans ambiguïté à la question relative au rôle actuel et futur de l’agriculture suisse dans le monde: Oui, l’agriculture multifonctionnelle de la Suisse pourrait même être un modèle global. L’avenir de l’agriculture suisse est entre les mains des petits paysans.

gl. Markus Ritter, président de l’Union des paysans saint-gallois et premier orateur lors de l’Assemblée générale de la Nouvelle Coordination paysanne suisse à Gossau (SG), le 22 mai, a présenté ses réflexions sur une stratégie de succès pour les paysans. Il a mis particulièrement l’accent sur l’union des paysans qui ont besoin que leurs intérêts soient représentés à tous les niveaux, face à la Politique agricole 2011 (PA 2011) ainsi qu’à l’OMC et au libre-échange général. Les négociations avec l’OMC sont certes au point mort mais les paysans ne se réjouissent pas non plus de l’accord sur le libre-échange avec l’UE prévu par le Conseil fédéral.
Selon Ritter, on devrait expliquer aux citoyens l’importance de la protection de l’agriculture indigène: «Avec le libre-échange, les paysans obtiennent certes les prix de l’UE pour les matières premières, cependant dans le commerce, les prix ne baissent pas pour autant.» L’écart entre les bas prix à la production payés aux paysans et les prix de vente aux consommateurs continuera à se creuser. Le prix de 50 centimes pour le litre de lait est absolument insuffisant, il doit être plus élevé. Ce qui pourrait arriver de pire à l’agriculture, c’est que ses produits n’aient plus de valeur.
Lors de la vive discussion qui a suivi, la situation actuelle des producteurs de lait après l’abolition des contingents a été unanimement jugée catastrophique depuis le premier mai 2009. On a fait remarquer, dans un esprit d’autocritique, qu’on avait manqué l’occasion de fonder une organisation commune du secteur laitier. Il n’existe plus de régulation de la quantité de lait à produire, si bien qu’actuellement on en produit 10% de trop.
Dans une perspective de long terme, on estime que l’idéologie de la croissance qui s’est perpétuée est responsable de ce problème. Hans Stalder, président de la Nouvelle Coordination paysanne suisse, a sollicité une aide urgente pour stopper l’évolution actuelle: il est prévisible que dans 50 ans, si l’on continue sur cette lancée, il n’y aura plus qu’une poignée de paysans. On peut observer cette évolution dans toute l’Europe: les paysans qui possèdent une exploitation de 1000 hectares veulent s’agrandir de plus en plus; celui qui possède 1000 vaches veut en avoir 1500. On voit maintenant, avec les banques, où mène la croissance à tout prix. Il a souligné la valeur de la paix sociale, qui est en danger.
Un intervenant a mentionné que la devise «Agrandis-toi ou abandonne» a été pendant longtemps défendue par les conseillers d’entreprise et les écoles d’agriculture.
Hans Stadler a fait remarquer que l’en­semble de la politique agricole mondiale avait longtemps été axée sur la croissance.

Changement de cap de la politique agricole globale

C’est à ce moment-là que le principal orateur de la soirée, le professeur Hans Hurni, est intervenu. Un des principaux auteurs du Rapport sur l’agriculture mondiale de l’ONU, paru en 2008 (cf. Horizons et débats nos 44 du 3/11/08 et 52 du 29/12/08), a donné, à l’aide d’une multitude d’informations, un vaste aperçu de l’agriculture mondiale. La parution du Rapport sur l’agriculture mondiale permet de justifier un changement de cap de la politique agricole globale qui promet à l’humanité une meilleure survie: l’avenir est dans l’agriculture paysanne.
Le Rapport a été élaboré par le Conseil mondial de l’agriculture fondé il y a quatre ans et qui compte 400 membres, spécia­listes issus de différentes régions. Ils ont tenu compte des aspects suivants:

1.    En 2050, on devra nourrir 30% d’êtres humains de plus qu’aujourd’hui
2.    Le recours à l’agriculture pour la production d’agrocarburants est problématique
3.    La biotechnologie (que les paysans continuent du reste de développer depuis des centaines d’années, par exemple au moyen de croisements)
4.    Le changement climatique
5.    Les effets des nouvelles technologies sur la santé, par exemple le génie génétique
6.    Les ressources naturelles
7.    Les petits paysans
8.    Le savoir local
9.    Le rôle de la femme dans les exploitations familiales
Hans Hurni a présenté la «success story» de l’agriculture globale à l’aide de quelques ­chiffres: Tandis qu’en 1950, elle nourrissait en tout 2,5 milliards d’individus, elle en nourrissait déjà 4 milliards en 1975 et même 6,5 milliards en 2000. La superficie agricole totale n’ayant pas augmenté, la productivité de l’agriculture a triplé.
Toutefois, aujourd’hui, 40% de la récolte de céréales sont utilisés pour l’alimentation animale. Les habitudes alimentaires se modifient. Ainsi, les Chinois et les Indiens ­mangent de plus en plus de viande.
La moitié des quelque 1600 millions d’hectares de superficie agricole dont on dispose actuellement dans le monde est cultivée de manière métabolique, c’est-à-dire exclusivement au moyen de la force musculaire. Les 50% restants de la superficie agricole sont cultivés de manière mécanique, mais cela par seulement 1% de la population mondiale travaillant dans l’agriculture! 99% des familles paysannes dans le monde travaillent dans des petites exploitations de 1,3 hectare en moyenne. Ici, il existe un potentiel énorme pour l’avenir. La production, même de ces petites exploitations, pourrait, en s’adaptant aux conditions locales, augmenter de manière à assurer l’alimentation de la population mondiale. Dans diffé­rentes régions de la planète, on peut déjà obtenir des succès.
Hurni a montré aussi, en s’appuyant sur des exemples, la diversité des problèmes à laquelle on doit faire face dans l’agriculture et qui nécessitent donc des solutions tout aussi diverses. En Ethiopie, par exemple, on cultive encore des céréales à une altitude de 3300 mètres. Grâce à l’aménagement de terrasses représentant maintenant 18% de la superficie cultivable et développées au cours des siècles, on a pu obtenir d’importants résultats.
Au Tadjikistan, la pénurie d’eau est un gros problème. Dans certaines régions, il ne pleut pas du tout et l’ensemble de l’irrigation a lieu au moyen de l’eau provenant des montagnes du Pamir. On compte sur le fait que les glaciers fondront au cours des 50 prochaines années à la suite du réchauffement clima­tique, mais jusque-là, on devra trouver de nouvelles solutions pour le maintien de l’agriculture. Cependant, le changement climatique provoque à d’autres endroits des inondations comme il y a une année au Myanmar (Birmanie). On peut et doit développer à long terme des solutions adaptées aux situations particulières.

L’agriculture multifonctionnelle en Suisse: un modèle

A bien des égards, l’agriculture multifonctionnelle, telle qu’elle existe en Suisse aujourd’hui, peut être un modèle global. Ses objectifs sont les suivants:
–    la sécurité de l’approvisionnement de la population (actuellement, il se situe à 60% en Suisse),
–    la préservation des moyens de subsistance en tenant compte de la diversité biologique,
–    l’entretien du paysage,
–    une occupation du territoire décentralisée,
–    le bien-être animal,
–    la garantie du revenu des paysans.
Pour Hurni, le soutien de la population est essentiel pour le maintien de l’agriculture suisse: Si l’on «crée une attitude bienveillante» au sein de la population, elle sera prête à payer davantage les produits agricoles. Il a cité à ce sujet une étude sur les attentes de la population suisse envers l’agriculture. Plus d’un tiers des personnes interviewées se sont montrées «conservatrices»: elles souhaitent conserver les structures traditionnelles. Un autre tiers est plus «axé sur l’écologie» et dans ce groupe, la moitié se jugent «écologistes novateurs» et l’autre moitié plutôt «conservateurs écologistes». Moins d’un tiers des interviewés se considèrent comme des «réformateurs libéraux de l’économie» pour qui la rentabilité est prioritaire. Sur ce point, Hurni était du même avis que le président des paysans saint-gallois Markus Ritter qui a plaidé pour qu’on explique aux citoyens l’importance de la protection de l’agriculture indigène afin de les motiver à la soutenir.
Le fait que la population doive être impliquée dans le développement de l’agriculture est reconnu au niveau international. L’important est que les individus se parlent au-delà des barrières linguistiques et cherchent une solution commune.
La discussion qui a suivi a montré que pour les paysans présents, la situation actuelle qui menace vraiment leur existence était le problème le plus important. Notre tâche commune, que nous devons prendre à bras-le-corps, consiste à réaliser dans un délai raisonnable les perspectives à moyen et long terme du Rapport sur l’agriculture mondiale présentées par Hans Hurni.     •

(Traduction Horizons et débats)