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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°10, 14 mars 2011  >  «Reposez en paix, soldats!» [Imprimer]

«Reposez en paix, soldats!»

thk. Quiconque commence à lire «Ruhet in Frieden, Soldaten!» est confronté à la brutalité de la guerre en Afghanistan. Les deux auteurs, les journalistes Julian Reichelt et Jan Meyer sont allés visiter les troupes alle­mandes en Afghanistan, les ont accompagnées dans leurs interventions et les ont questionnées personnellement.
Ils montrent au lecteur comment de jeunes soldats allemands sont envoyés dans une guerre sans y être préparés le moins du monde. Les responsables politiques et les chefs militaires font tout pour éviter d’utiliser le terme de guerre et le public est induit en erreur par les euphémismes et les présentations flatteuses. Cette propagande fonctionnerait bien si des personnes courageuses ne continuaient pas à rendre publics des faits, souvent en dépit d’une forte pression de la part des cadres de la Bundeswehr.
Depuis des années, des jeunes gens sont entraînés dans la mort sans savoir à quoi cela sert. Il y a deux semaines encore, trois soldats allemands ont été tués et plusieurs autres été grièvement blessés. La situation globale se détériore et tandis que les Etats-Unis réfléchissent sérieusement à la manière de se retirer au plus tôt d’Afghanistan, le ministre de la Défense allemand von und zu Guttenberg se rend sur place auprès des troupes pour les encourager et les assurer du soutien du gouvernement fédéral. Il joue là un jeu hypocrite au détriment de jeunes gens qui, dans leur majorité, reviennent traumatisés des combats et qui, une fois rentrés chez eux, n’y trouvent ni gloire ni reconnaissance pour leur engagement. On ne parle pas des mutilés de guerre et le moins possible des morts.
D’après la doctrine officielle, les troupes allemandes en Afghanistan ne sont pas engagées dans des opérations de guerre mais dans une mission de paix. Or c’est absolument faux, ce que les extraits du livre montrent de toute évidence:
«Pas beau, tout cela», nous dit le sergent après nous avoir montré ses photos. Cela donne à réfléchir.»
La dernière photo a été prise peu après l’attaque contre l’hôpital militaire. Elle montre un infirmier militaire qui, en train d’assister à une opération consistant à retirer des éclats de grenade du corps d’un soldat, grimace, le regard éperdu. Il s’agit là d’une véritable photo de guerre. Elle montre ce que la guerre fait aux hommes, à leur corps comme à leur âme. Si en 2003, de telles photos avaient été publiées dans les médias, le mensonge de la mission de reconstruction de l’armée allemande aurait été immédiatement démasqué.» (p. 25)
«Le 29 avril 2009, l’ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, s’est rendu en Afghanistan. Sa première étape ne fut pourtant pas un des camps militaires allemands de Mazar-e-Charif ou de Kunduz, mais Kaboul où il a planté un pommier, dans le plus grand parc de la ville.
«Ce que nous voyons ici, a déclaré Steinmeier, c’est le nouvel Afghanistan, un Afghanistan dans lequel les arbres poussent à nouveau.»
Ce fut un voyage dans une forêt de conte de fées, comme les faits ne tardèrent pas à le montrer. Quelques heures après que le mi­nistre, bien protégé contre le soleil sous une tente installée pour l’occasion, eut déposé quelques pelletées de terre sur les racines de l’arbuste, un soldat allemand fut tué et neuf autres grièvement blessés lors de rudes combats contre les Talibans dans les environs de Kunduz.» (pp. 38 sqq.)
«Quelques mois plus tard, nous rencontrons de nouveau le caporal à Kunduz. Agé de 22 ans, le visage légèrement bronzé par le soleil printanier afghan, les bras musclés. Nous parlons de la journée passée au centre d’entraînement au combat.
«Je me fous de tout ce blablabla à propos de la formation des troupes afghanes, dit-il. On arrive ici et subitement on se rend compte de la réalité, c’est-à-dire qu’ils veulent tous nous tuer, et à ce moment-là, on n’a qu’une idée en tête: rentrer chez soi indemne et le plus tôt possible. Vous pouvez me citer. Ils veulent nous tuer et moi, je veux une seule chose: rentrer sain et sauf. Mais n’écrivez pas mon nom, sinon j’aurai des ennuis.» (p. 55)
Nous voulions savoir comment ils allaient, ces soldats qui, lors de ce combat, avaient, la première fois de leur vie, tué un homme.
«Ça fait partie du métier», a déclaré le capitaine. Les hommes en discutent entre eux, surmontant ainsi leurs expériences entre camarades, et ainsi ils se portent fort bien.»
Plus tard, nous avons appris que les deux soldats qui avaient tiré des coups de feu avaient été rapatriés. Ils n’allaient pas bien du tout, ils rentraient chez eux pour être pris en charge psychologiquement. Mais officiellement, ils ne devaient ni éprouver de la satisfaction ni se montrer désespérés. Officiellement, tout était parfait.» (p. 68)

Julian Reichelt/Jan Meyer: Ruhet in Frieden, Soldaten! Wie Politik und Bundeswehr die Wahrheit über Afghanistan vertuschen. [Reposez en paix, soldats! Comment la politique et la Bundeswehr cachent la vérité sur l’Afghanistan.] 2010.