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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°21, 30 mai 2011  >  La sortie du nucléaire est-elle une feinte politique? [Imprimer]

La sortie du nucléaire est-elle une feinte politique?

hd. Dans plusieurs articles du dernier numéro d’«Horizons et débats», les auteurs ont abordé la question de l’avenir de l’énergie nucléaire. Il est apparu évident qu’il était urgent de mener un débat rationnel et scientifique sur les risques et également sur un développement judicieux de la technologie nucléaire. L’énergie étant, au même titre que la protection contre des catastrophes comme celles de Tchernobyl et de Fukushima, une des grandes questions de l’humanité, des solutions devront impérativement être trouvées au niveau international. Au niveau national, il faudra penser et agir de manière rationnelle.
L’ingénieur H. W. Gabriel, expert reconnu en matière de technologie nucléaire, a accepté de répondre à quelques questions relatives au débat actuel et à la poursuite de l’exploitation de l’énergie nucléaire ainsi qu’à ses conditions.

Quelles caractéristiques techniques justifient la mise hors service définitive des installations nucléaires d’aujourd’hui?

 

1. Expérience de «la mise hors service»

Depuis les catastrophes de Harrisburg et de Tchernobyl, qu’on ne pouvait pas passer sous silence, les politiques ont tranquillisé la population en disant qu’ils voulaient sortir de l’énergie nucléaire aussi vite que possible. Mais officieusement beaucoup de députés de tous les grands partis ont déclaré que les citoyens se calmeraient et que rien ne changerait. Même les «écologistes», avec leur «loi de sortie du nucléaire» ne faisaient que prolonger le statut quo pour des décennies. On ne peut pas nier qu’il s’agissait d’une «loi pour «le maintien du parti». Le jeu se répète avec «Fukushima» et ses quatre réacteurs endommagés.

2.    On a déjà oublié que la science constitue un correctif essentiel en matière de formation de l’opinion

Les déclarations des politiques et la vérité scientifique sont incompatibles. Les physiciens nucléaires ont été ravalés au rang de lâches. Ils acceptent sans réagir l’idée erronée que la sortie globale du nucléaire est possible. Ils n’attirent pas l’attention sur le fait qu’on ne peut pas renoncer à l’énergie de fusion ni sur le fait qu’on pourrait renoncer aux propriétés génériques dange­reuses des réacteurs à eau pressurisée et à eau bouillante. Ils n’osent pas non plus approfondir de nouveau concepts d’énergie nucléaire, car c’est contraire aux intérêts acquis des consortiums de l’électricité. C’est le monde à l’envers. La sortie de l’énergie nucléaire sous sa forme technique actuelle est manifestement estimée essentielle en raison de préjugés. Les minis­tères ne nomment pas les scientifiques dans les commissions selon leur compétence, mais en tant que représentants de groupes sociopolitiques. C’est une manière de tromper le peuple. Selon une telle conception des choses, le soleil tournerait toujours autour de la Terre.

3. Quelles caractéristiques techniques génériques justifient la mise hors service immédiate des installations nucléaires?

Pour la production d’énergie, on utilise avant tout des réacteurs à eau pressurisée (PWR9) et des réacteurs à eau bouillante (BWR). Il y a 60 ans que cette technique a commencé avec des réacteurs compacts de sous-marins nucléaires. Des entreprises américaines ont multiplié par 100 la taille de ces réacteurs sans pouvoir en changer les caractéristiques physiques de manière essentielle (les caractéristiques génériques sont fixées dès le départ).
–    Une quantité importante de radioactivité se développe pendant la durée de fonctionnement jusqu’au remplacement du combustible au bout de 1 à 4 ans. La radioactivité qui se développe pendant cette lente libération d’énergie représente trois fois celle d’une explosion nucléaire.
–    La radioactivité élevée est liée à une pression de l’eau allant jusqu’à 150 bar avec des températures de l’eau pouvant atteindre 300° C (elles sont un peu plus basses dans les réacteurs à eau bouillante).
–    Même quand le réacteur est arrêté, il faut refroidir le combustible radioactif au moyen de pompes.

Exigence fondamentale: On ne doit pas laisser s’échapper la radioactivité. La question est de savoir si les mesures actives et passives que l’on prend peuvent empêcher fondamentalement le dégagement de radioactivité. Or il n’en est rien: l’expérience montre que si l’on continue à exploiter une centrale nucléaire, on joue à la roulette russe avec la population sans lui demander son avis. La question controversée est de savoir s’il y a 6 ou 1000 chambres dans le barillet et une seule cartouche magnum. Maintenant, ce sont les psychologues qui ont la haute main en matière de sécurité officielle des réacteurs: Comme on n’ose plus faire oublier les accidents graves en parlant d’«infime probabilité», on se réfugie dans le concept plus agréable de «robustesse qu’on ne trouve dans aucun règlement. Aucune centrale nucléaire de robustesse faible ou élevée n’obtient aujourd’hui une assurance de droit privé contre le risque, car les dégâts peuvent aller jusqu’à anéantir une économie nationale. Le président de la commission de sécurité d’un réacteur avait peur, naguère, que la population ne le pende à l’arbre le plus proche s’il se trompait.

4.    Poursuite temporaire de l’exploitation

On ne peut pas mettre hors service un système immédiatement. Il faudrait réfléchir de manière responsable aux mesures à ­prendre pour rendre possible la poursuite à court terme de l’exploitation de certaines ­centrales nucléaires. Le Parlement doit prendre cette décision lors d’un vote nominal et non des ­cliques de fonctionnaires anonymes. Le Parlement devrait désigner un comité scientifique qui travaille à huis clos. Il faut savoir qu’une baisse limitée de la pression, de la température et du rendement augmente déjà les ­marges de sécurité qui, en soi, sont ­étroites.
On ne peut pas défendre une poursuite de l’exploitation avec des bavardages.

5.    Autres questions génériques et perspec­tives

Nous avons besoin d’explications sur le ­stockage définitif des déchets radioactifs et sur le mauvais usage des matières fissiles pour ­toutes les centrales nucléaires actuelles. Il faut approfondir la question de la possibilité d’éliminer les problèmes génériques de sécurité à l’aide de nouveaux concepts.
Pour en revenir à l’image de la roulette russe: ce qui est décisif du point de vue politique n’est pas le nombre fictif des chambres du barillet, mais la faible énergie pulsionnelle et la faible toxicité de la cartouche. Celle-ci ne doit pas percer la tempe.

H. W. Gabriel, ingénieur