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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°31, 30 juillet 2012  >  «… la guerre n’est pas inévitable. Ce caractère ‹inévitable› est le dogme belliciste le plus dangereux qui soit.» [Imprimer]

«... la guerre n’est pas inévitable. Ce caractère ‹inévitable› est le dogme belliciste le plus dangereux qui soit.»

L’engagement de Bertha von Suttner, Prix Nobel de la Paix, contre la Première Guerre mondiale – comme si elle parlait de notre situation actuelle

Février 1914: «… dénoncé que l’industrie de l’armement appauvrit le peuple.»

«Dix mille chômeurs ont manifesté dans les rues de Vienne et dénoncé que l’industrie de l’armement appauvrit le peuple. La manifestation s’est déroulée en toute tranquillité. Ceux à qui elle s’adressait sont restés encore plus calmes. C’est une chose bizarre, de réaliser la surdité et l’aveuglement du monde face aux faits qu’il n’aime pas entendre et voir. Pour réaliser ce qui se passe, il faut écouter et regarder. Et je veux dévoiler le secret à savoir comment on peut, en ces temps tristes et horribles, s’apercevoir de tant de choses merveilleuses. Il ne faut pas fermer les yeux devant l’immense domaine de ce qui existe, mais il faut fermement tourner son regard vers les choses qui vont être.»   p. 544

Mars 1914: «De beaux bénéfices s’offrent à l’industrie internationale de la mort.»

«Vienne, le 7 mars 1914
On ne nous laisse pas reprendre haleine. On nous met constamment en garde. Actuellement, c’est le correspondent de Petersburg de la ‹Kölnische Zeitung› annonçant la mobilisation à l’essai de la Russie1 qui fait frémir et trembler la presse – et bien sûr aussi le citoyen effrayé. La guerre ‹inévitable› réapparaît. La Russie se prépare à envahir l’Allemagne et l’Autriche. La conflagration universelle est en vue. Nous devons cette belle sûreté aux préparatifs circonspects des représentants de la devise ‹si vis pacem›. Dans tout le vacarme sur la mobilisation, les emprunts de guerre, les jeux de guerre etc. apparaissent les noms des entreprises Putilow, Krupp, Skoda, Vicker, Armstrong et Schneider-Creuzot. De beaux bénéfices s’offrent à l’industrie internationale de la mort. Et dans cette partie de poker captivante, que les puissances jouent pour le prestige et l’influence, on tente des bluffs toujours plus risqués.»

1 La «Kölnische Zeitung» du 3 mars 1914 a publié un article alarmant sur les préparatifs de guerre de la Russie à sa frontière occidentale. Plus tard, l’article a été démenti.  p. 553

Mars 1914: «Rien que des soupçons mutuels,des accusations et des campagnes de dénigrement.»

«C’est une agitation inquiétante et indigne qui domine actuellement la politique internationale et la presse. Rien que des soupçons mutuels, des accusations et des campagnes de dénigrement. Hélas, c’est le chant approprié pour accompagner la fanfare des canons qui s’apprêtent à livrer leurs charges, les aéronefs testant le larguage de bombes et surtout les exigences financières des ministres de la Guerre. Les diatribes et les chœurs hargneux correspondent à merveille à ces sirènes infernales. Après avoir effrayé le monde par des nouvelles alarmantes, les démentis suivent. L’organe de presse du ministère russe des Finances a écrit le 5 mars: ‹La Kölnische Zeitung a publié, le 3 mars, une information sur de prétendus préparatifs de guerre à la frontière occidentale de la Russie. Cette information a provoqué le soir-même à la bourse de Paris une inquiétude assez vive qui s’est manifestée dans les cours des titres russes cotisés à la bourse de Paris. Cette inquiétude s’est transférée aujourd’hui à la bourse de Saint-Pétersbourg qui, sous l’influence de l’information mentionnée, a affiché une consternation extrême encore aggravée par les manœuvres des spéculateurs de baisse. Nous sommes en mesure de déclarer formellement que l’information de la Kölnische Zeitung est sans fondement quelconque et qu’elle est une pure invention.› Et une fois encore, la guerre inévitable n’a pas eu lieu.»  p. 553sq.

Avril 1914: «Pour les nations, l’intérêt principal n’est pas la manière de vivre, prospérer et de se développer, mais la manière de se regrouper.»

«Vienne, le 4 avril 1914
On ne cesse de suggérer de façon générale que ‹la› (pas ‹une›) guerre mondiale est imminente. En ce moment – au vu des déclarations de paix officieuses des politiciens russes – le silence s’est établit autour du danger russe; en revanche on fait endosser à la Roumanie le rôle de nouveau spectre. En effet, à Bucarest la ligue culturelle locale a organisé une assemblée, au cours de laquelle des milieux nationaux chauvinistes, la plupart des étudiants, ont manifesté pour la Russie et contre l’Autriche, et un général a parlé du franchissement des Carpathes. Les éditoriaux se complaisent de commenter cela en long et en large; – on a à nouveau trouvé une mèche pour mettre le feu à la poudrière européenne qui ne demande qu’à exploser. Il ne s’agit évidemment pas de savoir si oui ou non la petite Roumanie veut faire la guerre à la grande Autriche-Hongrie, mais bien si elle prendra parti pour la Russie ou pour notre monarchie, en d’autres termes pour la triple alliance ou la triple entente. C’est autour de cela que tourne à présent tout le cirque diplomatique, politique et journalistique. Pour les nations, l’intérêt principal n’est pas la manière de vivre, de prospérer et de se développer, mais la manière de se regrouper. La Roumanie rejoindra-t-elle la Russie, la Suède l’Allemagne? Dans quelle orbite graviteront les Etats baltes, dans laquelle la Turquie? Ou assistera-t-on même à un déplacement entre les deux triples alliances antagonistes? Toutes ces inquiétudes angoissantes font apparaître de jour en jour plus clairement que ces deux centres d’attraction devraient cesser de revendiquer la confrontation. Et arrêter de s’accuser mutuellement d’intentions guerrières tout en protestant chacun de sa propre volonté de paix. Les deux manifestations de volonté sont effectivement présentes, mais pas l’une ici et l’autre là. Elles existent au contraire dans tous les pays. Il importe simplement de savoir laquelle, dans l’ensemble, s’avérera finalement être la plus forte. C’est là le point où la prépondérance décidera, et c’est également la nouvelle manière d’après laquelle les esprits se grouperont, au-delà les frontières nationales.»  p. 560sq.

Avril 1914:«… c’est ainsi que ceux qui ont des envies de guerre attisent la guerre préventive»

«Le ‹Post› de Berlin a publié un article alarmiste du célèbre auteur de romans d’anticipations, le Général F. Bernhardi, dans lequel il revendique ‹l’instauration de la préparation totale à la guerre sur toutes nos frontières‹. Selon lui, la situation politique serait telle que ‹nous pouvons commencer une guerre de manière offensive nécessaire sous les meilleures conditions possibles.› Comme les choses se développent trop lentement, selon le point de vue généralement proclamé que l’armement ne sert qu’à la défense assurant la paix, ceux qui ont des envies bellicistes attisent la guerre préventive. Ils posent le principe: étant donné que la guerre est inévitable, il vaut mieux que nous n’attendions pas que l’adversaire continue de s’armer pour nous donner le coup de grâce. Ce raisonnement n’est pas franchement mauvais, mais il souffre de la mauvaise prémisse; la guerre n’est pas inévitable. Ce caractère ‹inévitable› est le dogme belliciste le plus dangereux qui soit.»  p. 561

Mai 1914: «Les intérêts du trust pétrolier de Rockefeller»

«Quelque chose de triste a encore eu lieu en Amérique: le massacre des ouvriers grévistes du Colorado. ‹Les intérêts du trust pétrolier de Rockefeller› est l’explication souvent entendue. On soupçonne aussi des agissements secrets d’hommes d’affaires américains derrière tous les troubles au Mexique. Qui est capable de regarder derrière les décors? Après tout, ces actes de violence sont tous fondés sur deux erreurs fondamentales: qu’il faut posséder politiquement un pays pour tirer profit de ses richesses et qu’il est possible d’obtenir quelque chose de fructueux par le meurtre et la destruction.»  p. 569

(Traduction Horizons et débats)