La Banque WIRRéponse à la crise financière: principe de la coopérative et monnaie complémentairepar W. Wüthrich, Zurichhd. Ces prochaines semaines, Horizons et débats publiera une série d’articles relatifs à la crise financière. Le contexte mondial doit être examiné. Sans noircir le tableau, nous esquisserons des réponses et tracerons des voies permettant de surmonter la crise. L’histoire de la Caisse d’épargne zurichoise d’aide aux paysans (voir no 35/36 d’Horizons et débats) a marqué un début. L’exemple de la Banque WIR lui succède aujourd’hui. Beaucoup de place sera consacrée aux idées de Raiffeisen. Le 16 octobre 1934, une société coopérative a été fondée, qu’il convient aujourd’hui de considérer comme unique dans sa conception et son développement. Elle se nommait WIR Cercle économique société coopérative, mais a changé de nom il y a quelques années et s’appelle maintenant Banque WIR. On peut lire dans les statuts que la Société coopérative WIR est une organisation d’entraide d’exploitations commerciales, artisanales et de services. Elle a pour but de stimuler ses participants, de mettre, par le système WIR, leur pouvoir d’achat au service les uns des autres et de le maintenir dans leurs rangs afin de procurer aux participants un chiffre d’affaires supplémentaire.1 Principe de baseLa Société coopérative WIR est une communauté qui se caractérise par un système monétaire complémentaire. Comme une banque centrale, elle émet sa propre monnaie, qui circule parmi ses associés à titre de moyen de paiement et dans laquelle elle octroie des crédits. La valeur du WIR est liée au franc suisse (1 WIR = 1 CHF). Une caractéristique principale est l’absence de taux d’intérêt. Les avoirs en compte ne sont pas rémunérés. C’est une incitation à vite dépenser l’argent et à accroître ainsi le chiffre d’affaires entre participants. A l’origine, les avoirs n’étaient pas seulement non rémunérés: un droit de rétention était perçu. Cela devait inciter encore davantage à remettre l’argent rapidement en circulation. Un exempleLa commission des crédits de la Société coopérative WIR octroie un prêt hypothécaire de 100 000 WIR-CHF contre remise des sûretés usuelles en matière bancaire. Toutefois, elle ne prête pas l’argent de ses clients – comme le font les autres banques – mais émet l’argent elle-même, aujourd’hui en cliquant sur l’ordinateur. Contrairement au cas de l’institut d’émission, l’argent est créé non de par la loi, mais par un contrat et par la disposition d’une communauté à accepter l’argent de la société coopérative. Le preneur de crédit utilisera l’argent pour bâtir une maison, par exemple. Il paiera les artisans, qu’il connaît comme associés de la société coopérative. Ceux-ci règleront ainsi des factures de matériaux établies par d’autres associés qui, à leur tour, effectueront des paiements, etc. En règle générale, les factures seront payées en WIR à raison de 30 à 40% du montant total. Le solde sera payé en francs, car les entreprises participantes versent leurs salaires en francs et de nombreux autres frais, tels les impôts, ne peuvent pas être payés en WIR. – Ainsi, le prêt hypothécaire résultant de monnaie nouvelle crée un chiffre d’affaires dans la société coopérative pour de nombreuses années, jusqu’à ce que le crédit soit remboursé. Système de monnaie complémentaireSelon la théorie monétaire, WIR est une monnaie complémentaire. On entend par là l’accord conclu au sein d’une communauté et visant à accepter une monnaie qui n’est pas la monnaie nationale comme moyen d’échange. La monnaie complémentaire ne remplace pas la monnaie nationale. Toutefois, elle exerce une fonction sociale pour laquelle la monnaie nationale n’a pas été créée. Dans la Société coopérative WIR, les associés se soutiennent mutuellement en achetant les uns chez les autres avec leur propre monnaie et en pouvant recevoir des crédits de la centrale très avantageux. C’est important à des époques particulièrement difficiles sur le plan économique ou lors de hausses de taux d’intérêt. Le bien-être est généré et le chômage empêché. Fondation de la Société coopérative WIROrganisation d’entraide, la Société coopérative WIR a été fondée en 1934 par Werner Zimmermann, Paul Enz et 14 autres personnes – toutes convaincues par la théorie de la monnaie franche de Silvio Gesell. La dépression économique a frappé durement les petites et moyennes entreprises de l’époque. Les chiffres d’affaires se sont effondrés et de nombreux collaborateurs n’ont plus pu être employés. Il n’y avait pas de signe d’amélioration. Du point de vue de la doctrine de la monnaie franche, la cause de ce désastre résidait dans l’insuffisance de l’approvisionnement en monnaie et dans la perturbation de la circulation monétaire par la thésaurisation de la monnaie. – Comment cela s’est-il produit? De nombreuses banques ont fait faillite. Dans la seule Europe, elles étaient plus de mille. De grandes banques, telle la Kreditanstalt en Autriche, en faisaient partie. Beaucoup de personnes avaient perdu confiance et conservaient leur argent de préférence chez elles. En Suisse, on estimait que quelque 20% des billets en circulation étaient thésaurisés hors du système bancaire. Dans d’autres pays, le taux semble avoir été encore nettement supérieur. Les banques disposaient ainsi de moins d’argent pour accorder des crédits, ce qui a paralysé l’économie. Les monnaies étant liées à l’or, les instituts d’émission ne pouvaient pas mettre autant d’argent en circulation qu’elles le voulaient, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui. Que faire?Une organisation d’entraide devrait entraider. La Société coopérative WIR a démarré avec 16 associés et un capital initial de 42 000 francs. Le nom de WIR (nous) est non seulement l’abréviation allemande de «Cercle économique société coopérative»; Werner Zimmermann l’a défini aussi comme le contraire de «ICH» (moi). Une communauté peut mieux défendre les intérêts de l’individu. A l’époque, les fondateurs du WIR n’étaient pas seuls. Il y avait, dans le monde, de nombreuses organisations semblables. Des associations et des villages entiers faits d’êtres les plus divers se sont efforcés, par des organisations d’échange et de la monnaie créée par eux-mêmes de s’opposer au climat paralysant de la grande dépression économique. Le processus suivant leur était commun: Organisations analoguesLes organisations d’entraide étaient répandues surtout aux Etats-Unis, où le taux de chômage atteignait parfois 25% (10% en Suisse). Elles constituaient la réponse de la société civile aux problèmes quotidiens opprimants. De plus, les monnaies complémentaires ont déjà une longue tradition aux Etats-Unis. WörglWörgl, commune de 5000 habitants située près d’Innsbruck, en Autriche, a attiré l’attention.3 Dans cette petite ville et ses environs immédiats, il y avait 1500 chômeurs. Le maire payait les travaux urgents de la commune et partiellement aussi le salaire des employés avec des «Arbeitswertscheine» (billets équivalant à la valeur du travail). Cet argent communal était couvert à 100% par la monnaie nationale. Il pouvait être utilisé au sein de la commune pour l’achat de marchandises et de services. La nouvelle monnaie avait pourtant une particularité: A la fin du mois, chacun devait faire tamponner les billets qui se trouvaient en sa possession et devait payer une taxe de 1%. A la fin de l’année cela représentait 12%. Cette dépense pouvait être évitée si l’on dépensait la nouvelle monnaie avant la fin du mois. Le fait de ne pas dépenser l’argent était donc «puni». Etouffement de l’entraide mutuelleLa monnaie alternative de Wörgl a été interdite – au motif que seule la banque d’émission avait le droit d’émettre de la monnaie. Les autorités étaient en général sceptiques envers les organisations d’entraide et les monnaies de secours. En Allemagne et en Autriche, elles ont été interdites encore avant la prise du pouvoir par Hitler. Dans le débat politique, l’expérience de Wörgl a d’abord été dénoncée comme une «bêtise». Ensuite elle a été qualifiée d’idée communiste et, après la Seconde Guerre mondiale, de fasciste. WIR – le seul système de monnaie complémentaire ayant survécu à la guerreDans les pays scandinaves, de nombreuses organisations d’entraide ont pu se maintenir avec leurs monnaies complémentaires jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Elles se sont alors toutes dissoutes. Les raisons résidaient d’une part dans des difficultés internes et d’autre part dans les désordres de la guerre. – La Société coopérative WIR a aussi connu des difficultés. Elle a cependant pris un nouvel élan après la Seconde Guerre mondiale et avec le boom économique, le nombre de ses membres a vite augmenté. Cela montre que la monnaie complémentaire n’a pas des avantages seulement pendant une crise économique. Le mécanisme consistant à imposer une taxe à la monnaie WIR a été tout à fait abandonné après la guerre. En cela, la coopérative prenait quelque distance avec la théorie de la monnaie libre de Silvio Gesell. – Cependant l’idée de prêts sans intérêt a été maintenue. Les crédits WIR sont toujours sans intérêt. Une histoire changeanteLa Société coopérative WIR a eu un long développement. Du milieu des années 1960 aux années 1970, elle a vécu une grave crise. Plusieurs membres ont vu dans le système WIR une occasion bienvenue de vendre de la marchandise de moindre qualité à des prix excessifs. Ou bien la monnaie WIR a été offerte dans des annonces de journaux 20% plus chère. La société coopérative risquait de voir sa réputation compromise et d’échouer. Il était nécessaire de lutter résolument contre les abus. Le commerce des créances WIR a été interdit par la société coopérative. Ainsi, jusqu’à aujourd’hui, d’année en année, les membres qui enfreignent les statuts sont systématiquement exclus. Le retour à l’idée d’entraide a ramené la société coopérative sur la voie du succès. Banque WIREn 1998, la société coopérative s’est rebaptisée Banque WIR. Elle a offert à ses membres des comptes de placement en francs suisses aux intérêts attractifs, sans pour autant cesser l’activité WIR. En 2000, elle s’est ouverte au public. Non seulement les entreprises mais aussi les particuliers peuvent aujourd’hui recourir à ses services et devenir membre de la coopérative. Aujourd’hui, chacun peut effectuer ses opérations bancaires en francs suisses chez elle. Ceux qui entrent dans le siège de Bâle pénètrent dans un bâtiment moderne en verre, acier et béton qui n’a rien à envier aux autres bâtiments bancaires. Des comptes d’épargne, de gestion, de placement en francs suisses font partie de l’offre ainsi que des crédits hypothécaires et commerciaux en francs suisses, en WIR ou mixtes. En forme pour l’avenirL’assemblée coopérative de la Banque WIR a maintenant augmenté son capital à 17 millions de francs. L’intégration d’un système de monnaie complémentaire dans une banque «normale» est ainsi achevée. L’organisation d’entraide de 1935 est devenue, au bout de bientôt 75 ans, une banque d’affaires, mais reposant toujours sur une base coopérative. Elle a pour objectif ambitieux de devenir une banque des PME pour toute la Suisse. Elle ne veut cependant pas être une banque universelle5 mais élargir son offre «avec circonspection». La gestion de fortune et les transactions boursières n’en font toujours pas partie. En revanche, elle offre depuis 2006 un prêt écologique à 1% d’intérêt pour des investissements dans des systèmes de chauffage à énergie renouvelable. Mais son domaine principal reste toujours les prêts à intérêt réduit en WIR, en CHF ou mixtes. 1 Le présent texte se fonde sur les rapports de gestion de la Banque WIR, l’exposé publié à l’occasion du jubilé de la Société coopérative WIR, en 1984, et d’autres sources historiques. |