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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2008  >  N°39, 29 septembre 2008  >  La coopérative, modèle d’avenir [Imprimer]

La coopérative, modèle d’avenir

par Reinhard Koradi, Dietikon

Le système économique mondial actuel montre des signes évidents de déclin. Depuis longtemps, la crise hypothécaire américaine est devenue une crise bancaire qui détruit la bulle de spéculative faite de milliards de crédits non garantis. Cette croissance économique et monétaire bâtie sur le sable se réduit à néant car il n’existe plus que des valeurs fic­tives. L’irresponsable économie d’endettement et de guerre des USA entraîne le monde entier dans un chaos économique profond. Les «tentatives de sauvetage» hypocrites des banques centrales (FED et BCE) accéléreront encore la crise par l’inflation qu’elles provoquent et forceront tous les peuples à amortir la dette par des impôts d’Etat et des hausses de prix inflationnistes. Alors que les profits spéculatifs de quelques-uns seront à l’abri, «l’homme de la rue» financera après coup les bénéfices des riches par des impôts et des taxes. L’appel à l’intervention de l’Etat n’est rien d’autre que la réalisation du principe cynique qui veut que les bénéfices profitent à quelques-uns et que le peuple supporte les pertes. La grave crise financière et économique mondiale changera notre vie de manière fondamentale et exigera de nous des sacrifices douloureux. Reste cependant l’espoir que l’humanité finira par devenir raison­nable et qu’elle trouvera une économie qui ne laisse plus de place aux excès égoïstes et met le bien commun au dessus de l’exploitation des peuples.

Il s’agira de résoudre des problèmes difficiles

Au vu des problèmes à résoudre, je présente ici la coopérative comme un modèle de vie, de travail et d’organisation prometteur. Les coopératives ont été créées dans des situations de vie et de travail «difficiles». Nous nous trouvons aujourd’hui une nouvelle fois dans une telle situation, face à un tel défi. Je pense aux conséquences de la mondialisation, à la crise économique et financière ainsi qu’aux changements structurels qui y sont liés, aux pertes d’emplois et à la privatisation des approvisionnements de base.

Histoire de la coopérative

Un aperçu rétrospectif de la création de la coopérative nous permettra de mieux comprendre la nature et l’objectif d’une coopérative et de découvrir les parallèles entre les défis sociaux et économiques d’hier et d’aujourd’hui.
Au cours de la révolution industrielle du milieu du XIXe siècle, beaucoup de paysans et de petites entreprises artisanales connurent des situations précaires. Les paysans de­vaient, suite à leur «libération», payer de lourdes indemnisations aux anciens propriétaires. De plus, ils manquaient d’expérience en matière de gestion d’entreprise. Les mauvaises récoltes et les famines des années 1846/47 aggravèrent encore la situation. Les entreprises artisanales souffraient de la pression concurrentielle de l’industrialisation croissante (production de masse) et des restructurations qui y étaient liées. L’accès aux services d’une banque leur était interdit à cause de leur taille insuffisante et de leur manque de garanties, si bien qu’elles dépendaient de prêteurs privés (qui exigeaient des intérêts élevés). Elles s’endettèrent de plus en plus et firent souvent faillite. C’est en ces temps difficiles que Friedrich Wilhelm Raiffeisen (1818–1888) et Hermann Schulze-Delitzsch (1808–1883), notamment, prirent l’initiative de l’entraide.
En 1847, Raiffeisen fonda à Weyerbusch (Westerwald) la première association destinée à venir en aide la population rurale en difficultés. En 1864, finalement, il créa la Caisse de secours mutuel de Heddesdorf, considérée aujourd’hui comme la première coopérative au sens de Raiffeisen. En même temps, indépendamment de Raiffeisen, Hermann Schulze-Delitzsch mit sur pied, à Delitzsch, une opération de secours au profit d’artisans dans le besoin. Il pensait qu’une amélioration durable des conditions économiques, l’augmentation de la compétitivité face à la production de masse et la réduction de la dépendance n’étaient possibles qu’en s’associant.
Sur la base des principes d’entraide, de gestion autonome et de responsabilité individuelle, il fonda en 1847 la première «association pour l’achat de matières premières» pour les menuisiers et les cordonniers et en 1850 la première «caisse de crédit» dont sont issues plus tard les «banques populaires». La notion moderne de coopérative fondée sur les idées de Raiffeisen et de Schulze-Delitzsch put renouer avec la tradition des corporations de bois et d’alpage, ainsi qu’avec celle des coopératives laitières qui, au cours du XIXe siècle, se sont étendues des régions de mon­tagne à la plaine. Les paysans eurent tôt fait de comprendre que les missions et les défis des collectivités se maîtrisaient mieux en commun qu’individuellement.
La première coopérative agricole de Suisse fut fondée en 1874 par Conrad Schenkel à Elsau. Elle donna naissance, en 1886, à l’Association de coopératives agricoles de Suisse orientale, considérée comme la première association de coopératives. Elle a renforcé de façon déterminante les coopératives locales. Mouvement d’entraide combatif des petits et moyens agriculteurs, elle s’opposait dans une certaine mesure aux associations agri­coles traditionnelles et chercha, mais en vain, à créer un parti paysan.
Les coopératives de consommation ont pris une grande importance dans l’économie de la seconde moitié du XIXe siècle. Elle furent précédées par les «Brot- und Fruchtvereine», où s’associaient des ouvriers, des artisans ou des paysans, parfois soutenus par des fabricants, pour acheter à des prix avantageux des céréales, d’autres denrées alimentaires ou du combustible ainsi que pour la fabrication du pain (1837 Boulangerie mutuelle à Genève, 1839 Aktienbäckerei Schwanden).

Maîtriser l’avenir

La collaboration au sein d’une coopérative est toujours utile lorsque la poursuite d’un objectif économique dépasse les possibilités individuelles. Elle permet en outre de garder son indépendance. C’est pourquoi les approvisionnements de base peuvent être maîtrisées d’après le principe de la coopérative. Au cœur de l’idée de coopérative figure l’engagement social par la responsabilité individuelle et l’entraide. Au sein de la coopérative, la mentalité consumériste, très répandue de nos jours, n’a plus de place. Il s’agit de mettre la main à la pâte, l’engagement et la collaboration de chaque coopérateur étant requis.
Voici, en guise d’illustration, l’exemple d’une coopérative d’alpage: Des travaux comme l’entretien des prairies, des chemins et des bâtiments, la construction et l’entretien de systèmes d’irrigation et beaucoup d’autres choses sont effectués en commun par les coopérateurs.
Il n’y a guère de domaine de l’économie qui ne pourrait être organisé selon le principe coopératif. Des petits et moyens producteurs (agriculteurs, producteurs de légumes et de fruits, constructeurs de machines, etc.) peuvent s’associer à l’intérieur de leur secteur dans une coopérative de production. Par-delà les secteurs, des réseaux d’artisans peuvent se constituer pour créer des groupes de travail afin de réaliser des grands projets. Un exemple en est le WIR (cf. H&D no 37 du 15 septembre) au sein duquel des entreprises peuvent s’entraider par le biais d’une banque et d’une monnaie particulière.
En ce qui concerne les approvisionnements de base, il existe de nombreuses possibilités de coopératives. L’approvisionnement en énergie et en eau, même l’exploitation des déchets peuvent très bien être assurés par une coopérative. Les écoles, les hôpitaux et beaucoup d’autres domaines du système de santé, y compris la prise en charge de la population âgée, ne doivent pas être laissés aux investisseurs privés. Toutes ces tâches pourraient – si les pouvoirs publics se désengageaient – très bien être assumées par une coopérative et préservés ainsi de la cupidité et du marché mondialisé. La commercialisation des biens et des services, l’habitat (coopératives de construction) et même la création d’emplois (des chômeurs se réunissent pour faire un travail ensemble) peuvent être organisés par des coopératives, et cela dans l’intérêt de toutes les personnes concernées. Même le crédit et la banque ont été un domaine de coopératives et pourraient, moyennant une réorganisation, être retirées à l’économie financière.
La coopérative représente aussi une protection excellente contre les prétentions au pouvoir de l’économie des capitaux et peut faire obstacle à la volonté de l’OMC de privatiser peu à peu les approvisionnements de base. Grâce à la forme juridique de la coopérative, aussi bien les PME que les grandes entreprises peuvent se protéger contre les «sauterelles» voraces et préserver leur indépendance. La coopérative obéit à la devise «une personne, une voix». Des participations plus grandes à son capital ne changent pas les rapports en matière de vote et ne peuvent donc pas être utilisées abusivement pour lancer des OPA.

Considérations finales

Dans la création d’une coopérative, la relation à la région est importante. La coopération à égalité de droits pour chacun a besoin d’espaces restreints et de transparence. Il faut mettre de côté l’égoïsme et favoriser énergiquement les intérêts communs.
Il s’agit de valeurs comme l’entraide, la responsabilité individuelle, la démocratie, l’égalité, la solidarité, l’honnêteté, l’ouverture, la responsabilité sociale et le souci des autres. En vivant ces valeurs et en devenant un exemple pour la jeunesse, la coopérative peut nous apporter la cohésion dont nous avons besoin pour vivre en paix.
Pour conclure, citons Schulze-Delitzsch: «Celui qui renonce à sa responsabilité renonce également à sa liberté. Responsabilité et liberté s’impliquent mutuellement et sont les piliers d’un monde éthique, politique et économique.»    •