Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°1, 11 janvier 2010  >  Sécurité et coopération en Europe [Imprimer]

Sécurité et coopération en Europe

L’Europe peut redéfinir son rôle dans le monde

par Karl Müller

20 ans après le grand tournant politique en Europe le Président russe Dimitri Medvedev a repris dans un projet pour un Accord européen sur la sécurité (cf. page 5) des idées dont on avait très sérieusement discuté à l’époque. Comme on avait reconnu les chances qui s’offriraient si de grandes puissances lourdement armées s’engageaient, au lieu de s’affronter, dans la voie d’une coopération mutuelle, de nombreux politiciens responsables avaient, il y a 20 ans, entrevu la possibilité d’établir un ordre pacifique à l’échelon européen sur la base de l’égalité et de la confiance mutuelle.
C’est pourquoi des représentants de 32 gouvernements européens ainsi que des USA et du Canada ont signé le 21 novembre 1990 dans le cadre de la Conférence pour la sécurité et la coopération européennes (CSCE, aujourd’hui OSCE) la Charte de Paris,1 une déclaration officielle relative à la création d’un ordre pacifique en Europe après la réunification allemande et la fin de la confrontation Est-Ouest.
D’emblée la Charte déclarait solennellement: «Nous, chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats participant à la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, sommes réunis à Paris à une époque de profonds changements et d’espérances historiques. L’ère de la confrontation et de la division en Europe est révolue. Nous déclarons que nos relations seront fondées désormais sur le respect et la coopération.
L’Europe se libère de l’héritage du passé. Le courage des hommes et des femmes, la puissance de la volonté des peuples et la force des idées de l’Acte final de Helsinki ont ouvert une ère nouvelle de démocratie, de paix et d’unité en Europe.
Il nous appartient aujourd’hui de réaliser les espérances et les attentes que nos peuples ont nourries pendant des décennies: un engagement indéfectible en faveur de la démocratie fondée sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales; la prospérité par la liberté économique et par la justice sociale; et une sécurité égale pour tous nos pays.»

En 1990 on a dit: pas d’élargissement de l’OTAN à l’Est

Dans le cadre des négociations relatives à la réunification allemande – fait attesté depuis, grâce entre autres à la déclassification de nombreux documents (cf. Spiegel, n° 48 du 23/11/09) – les dirigeants soviétiques de l’époque ont reçu plusieurs fois l’assurance qu’on n’élargirait pas l’OTAN à l’Est.
L’un des principaux soutiens apportés à une solution pacifique européenne incluant la Russie est venu du Ministre allemand des Affaires étrangères alors en poste, Hans-Dietrich Genscher (FDP). Au milieu des années 90 Genscher écrivait dans ses Souvenirs qu’en 1990 il lui était apparu nécessaire «de barrer la route à une confrontation militaire également par le biais de structures coopératives, les oppositions politiques s’effaçant progressivement. On devait résolument s’engager dans la voie d’un ordre pacifique pour toute l’Europe.»2
Mais Condoleezza Rice, alors collaboratrice au Conseil de sécurité nationale de l’administration états-unienne et future secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères du Président belliciste George W. Bush, avait dès le milieu des années 90 critiqué cette attitude dans son ouvrage «Sternstunde der Diplomatie»3 et raconté, non sans fierté, comment les USA avaient imposé leur position contre celle de Genscher.
Et de fait: les administrations états-uniennes n’ont tenu aucun compte de la volonté des peuples après 1990. Après l’effondrement de l’Union soviétique leur seul but a été de faire des USA «la» puissance hégémonique. Non seulement on n’a nullement aidé les citoyens russes à édifier une démocratie, mais la Russie fut soumise à une «Stratégie de choc» (Naomi Klein) qui la livra au capitalisme sauvage, saigna son économie à blanc et la mit à l’agonie.
C’est en 1997 que Zbigniew Brzezinski, ex-conseiller à la Sécurité de l’administration états-unienne publia son livre «Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde» (Editions Pluriel).

Le plan de Brzezinski: La Russie doit se plier aux exigences de l’Occident

Il est intéressant de noter que la préface de la version originale en anglais est de Genscher, qui se garde de toute critique sur son contenu, mais précise que «la stabilité du continent eurasien nécessite d’y impliquer la Russie et ne peut être atteinte sans ce pays, et en tout cas pas contre lui.»
Mais Brzezinski, lui, exigeait de la Russie qu’elle s’adapte à une Europe transatlantique, une «Europe de l’OTAN et de l’UE élargies» – autrement dit, une configuration géopoli­tique exclue par les accords de 1990 – et abandonne toute prétention à l’autonomie. Il alla même jusqu’à proposer de diviser la Russie en trois parties: une vague fédération russe «composée d’une Russie d’Europe, d’une République de Sibérie et d’une République d’Extrême-Orient.»
Il a fallu attendre l’arrivée à la présidence de Vladimir Poutine pour que la Russie retrouve autonomie et confiance en elle. Elle participa alors à la formation de nouvelles alliances telles que l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai) ou le BRIC (où se retrouvent le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine) destinées à contrer le déséquilibre dans les relations internationales.
20 ans après l’effondrement du bloc de l’Est, il s’avère que les USA et ses alliés les plus proches se sont embourbés dans deux guerres coûteuses qui durent depuis déjà plusieurs années et qu’une crise financière mondiale est en train d’ôter aux deux puissances dominantes, la Grande-Bretagne et les USA, leur rôle de centres économiques mondiaux.
Le Spiegel-Online titrait, le 9 décembre dernier: «Une extrême faiblesse économique. La Grande-Bretagne se réduit à une puissance secondaire.» et «Les USA: l’épuisement de l’Empire».4 Le Président des Etats-Unis, Barack Obama, dut avouer dans son discours du 1er décembre devant les cadets de West Point que les USA se trouvaient actuellement face à un dilemme politique et révéler les graves contradictions de la politique états-unienne, prise entre la menace d’un effondrement intérieur et ses efforts persistants en direction de l’hégémonie mondiale.

Le fantasme de la superpuissance unique a fait long feu

A l’heure actuelle personne ne peut dire avec certitude quelle politique les USA mèneront dans les années qui viennent. La voie qu’ils choisiront dépendra aussi de la disposition de l’administration US à accepter la situation dans le monde actuel telle qu’elle est réellement ou au contraire à prêter une oreille complaisante à Brzezinski et à son dangereux concept de la «Seconde chance».5 Il ne faut pas oublier les paroles prononcées par la Secrétaire d’Etat états-unienne aux Affaires étrangères, Hillary Clinton, lors de son audition par le Sénat américain avant sa prise de fonctions: «Nous devons mettre en œuvre tout ce que l’on désigne par «Smart Power»: tout l’arsenal de moyens diplomatiques, écono­miques, militaires, politiques, juridiques et culturels dont nous disposons.»6 La Russie est elle-même au courant de cette situation et cherche avec énergie à améliorer sa structure économique – ce qui lui assurerait également une survie autonome – et pare à toute éventualité en renforçant et modernisant ses moyens militaires.
Il est très vraisemblable – si l’évolution actuelle se poursuit – que la domination ­économique de l’Empire anglo-saxon touche à sa fin. Les «nouvelles locomotives économiques» selon une analyse de la Deutsche Welle datant déjà du 28 août seraient ­plutôt le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, en abrégé BRIC. Et en fin d’année la radio Deutschlandfunk annonçait que l’économie européenne s’orientait de plus en plus vers ces partenaires, car elle n’attend plus grand-chose des USA ou de la Grande-Bretagne.
C’est dans cette atmosphère politique que le Président russe a proposé un projet d’«Accord européen sur la sécurité»
A l’OSCE les réactions ne sont pas unanimes. Le Premier ministre grec, Papandreou, a appuyé ce projet lors de la séance de l’OSCE à Athènes, le 1er décembre dernier. «Il faut surmonter notre méfiance en développant notre coopération et en renforçant notre solidarité.» (d’après le «Handelsblatt» du 2/12/09). De même le ministre d’Etat allemand aux Affaires étrangères, Werner Hoyer (FDP) a salué dans son discours devant l’Assemblée de l’OSCE les efforts de la Russie: «Ce projet mérite un examen approfondi.»
Bien des choses dépendront de l’attitude européenne. Si l’Union européenne s’obstine à demeurer une «agence au service des intérêts états-uniens» (John Laughland, cf. Horizons et débats no 50/51 du 4/1/10), elle ira à l’encontre des intérêts mêmes de l’Europe. Une aggravation des conflits russo-américains, que ce soit dans les contrées riches en sources d’énergie d’Asie centrale ou autour de la Caspienne, voire en Europe même, ne peut pas être dans l’intérêt de l’Europe. L’Europe serait bien inspirée d’abandonner les schémas de la Guerre froide et de ne pas poursuivre dans l’opinion son offensive contre la Russie. Elle peut choisir un autre rôle: celui d’une puissance qui s’opposerait avec efficacité aux nouveaux projets impérialistes états-uniens et jouerait le médiateur entre l’Est et l’Ouest, entretenant des relations réalistes avec les USA et la Russie sur la base de la sécurité commune.

La possibilité de mener une politique indépendante s’offre à l’Europe

La possibilité de mener une politique indépendante s’offre à l’Europe. L’ordre de l’après-guerre, dominé par les USA – qui ne recouvre pas seulement la Guerre froide, mais aussi l’agrégation supranationale forcée d’Etats européens – est en bout de course. Comme le montre Peter Scholl-Latour dans son dernier ouvrage7, le Deuxième monde et le Tiers-Monde ne sont pas les seuls à reconnaître l’erreur historique qu’a été et demeure aux plans politique, économique et social l’«American way» suivi au XXe siècle. Les peuples européens eux aussi commencent à s’en apercevoir et aspirent à plus de liberté. Mais dans quels domaines faut-il commencer pour aller vers plus d’autonomie européenne? N’est-ce pas dans ceux où la soumission aux exigences états-uniennes menace de détruire des valeurs européennes, voire humaines, fondamentales, qu’elle a parfois déjà minées? Et là il faut repenser les choses dans tous les domaines: depuis l’éducation de nos enfants jusqu’à la paix en Europe et dans le monde.    •

1     On trouve la version originale en français sur le site www.osce.org/documents/mcs/1990/11/4045_fr.pdf
2     Hans Dietrich Genscher, Erinnerungen (Souvenirs) 1995, page 172
3     Philip Zelikow, Condoleezza Rice. Sternstunde der Diplomatie. Die deutsche Einheit und das Ende der Spaltung Europas, (L’unité allemande et la fin de l’Europe des blocs) Berlin 1997
4     Voir l’intéressante l’analyse faite dès l’été 2008 par Hauke Ritze «Die Welt als Schachbrett – Der neue Kalte Krieg des Obama-Beraters Zbigniew Brzezinski», (L’échiquier mondial – La nouvelle guerre froide du conseiller d’Obama, Zbigniew Brzezinski) texte intégral sur le site www.hintergrund.de
5     D’après le titre de son deuxième ouvrage de géostratégie, paru en 2007
6     Cité d’après Eva Gollinger, «Le ‹Smart Power› d’Obama», junge Welt du 29/12/09
7     Peter Scholl-Latour, Die Angst des weissen Mannes, ein Abgesang. (L’angoisse de l’homme blanc. Un chant du cygne) Berlin 2009

Relations amicales

«Maintenant qu’une ère nouvelle s’ouvre en Europe, nous sommes résolus à développer et renforcer les relations amicales et la coopération entre les Etats d’Europe, les Etats-Unis d’Amérique et le Canada, et à promouvoir l’amitié entre nos peuples. […]
Conformément à nos obligations aux termes de la Charte des Nations Unies et à nos engagements en vertu de l’Acte final de Helsinki, nous réitérons notre détermination à nous abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, ou à agir de toute autre manière incompatible avec les principes ou les buts de ces documents. Nous rappelons que le non-respect des obligations contractées aux termes de la Charte des Nations Unies constitue une violation du droit international.
Nous réaffirmons notre engagement à régler les différends par des moyens pacifiques. Nous décidons de mettre au point des mécanismes de prévention et de résolution des conflits entre les Etats participants.
Au moment où prend fin la division de l’Europe, nous nous efforcerons de donner une qualité nouvelle à nos relations en matière de sécurité, tout en respectant pleinement la liberté de choix de chacun dans ce domaine. La sécurité est indivisible et la sécurité de chaque Etat participant est liée de manière indissociable à celle de tous les autres. En conséquence, nous nous engageons à coopérer pour renforcer la confiance et la sécurité entre nous et pour promouvoir la limitation des armements et le désarmement. […]
Nos relations reposeront sur notre adhésion commune aux valeurs démocratiques, aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Nous sommes convaincus que les progrès de la démocratie, ainsi que le respect et l’exercice effectif des droits de l’homme, sont indispensables au renforcement de la paix et de la sécurité entre nos Etats. Nous réaffirmons l’égalité de droits des peuples et leur droit à l’autodétermination conformément à la Charte des Nations Unies et aux normes perti­nentes du droit international dans ce domaine, y compris celles qui ont trait à l’intégrité territoriale des Etats.
Nous sommes résolus à intensifier les consultations politiques et à élargir la coopération pour résoudre les problèmes économiques, sociaux, environnementaux, culturels et humanitaires. Cette résolution commune et notre interdépendance croissante contribueront à vaincre la méfiance de plusieurs décennies, à accroître la stabilité et à bâtir une Europe unie.
Nous voulons que l’Europe soit une source de paix, ouverte au dialogue et à la coopération avec les autres pays, favorable aux échanges et engagée dans la recherche de réponses communes aux défis du futur.»

Extrait de la «Charte de Paris», adoptée le 21 novembre 1990