Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2012  >  N°40, 24 septembre 2012  >  Maintenir les surfaces cultivées dans les régions aux conditions d’exploitation difficiles [Imprimer]

Maintenir les surfaces cultivées dans les régions aux conditions d’exploitation difficiles

Mettre un terme à l’extension de la forêt et des broussailles n’est possible que si la science et la pratique coopèrent soigneusement

par Michael Götz, agro-journaliste indépendant LBB-Gmbh, Eggersriet SG

ab. A la suite de la mondialisation et d’une économie accélérée à grande échelle, de nombreux pays dans le monde entier ont négligé l’entretien et la protection des petites surfaces marginales ou restantes. Une fois laissées à l’abandon, il est difficile de les récupérer et de les utiliser en faveur de l’autosuffisance des peuples. En Suisse, le fait que sur le plan législatif la protection de la forêt prédomine celle des terres cultivées a pour conséquence que beaucoup de parcelles des zones de montagne sont laissées à l’abandon et la broussaille et la forêt en prennent possession. Il a fallu une soigneuse coopération entre science et pratique de plusieurs années pour savoir comment récupérer des terres cultivables. Cet exemple est d’une importance générale, également pour les pays émergents et en voie de développement. Dans chaque pays il est particulièrement important de savoir s’il y a des plantes vénéneuses locales, avant de faire paître des petits ruminants tels que les chèvres et les moutons – les agriculteurs expérimentés de la génération aînée disposent sans aucun doute de ce savoir. Michael Goetz a retracé de manière illustrative ce processus de la récupération dans le contexte suisse. Etant donné qu’il mentionne tous les détails importants, cet article est devenu un traité invitant à une lecture attentive. Tandis qu’autrefois la protection de la forêt était presque toujours au premier plan, aujourd’hui il est de plus en plus important de maintenir les surfaces cultivées et avec ça l’exploitation agricole.

Les paysages cultivés sont des paysages modelés par le travail des générations qui nous ont précédées, et qui sont par conséquent considérés comme bien culturel digne de protection. Les surfaces agricoles utiles en font particulièrement partie. S’il est question de maintenir ces surfaces, il ne s’agit pas de surfaces bien accessibles et ayant un bon rendement mais de celles qui ont peu de rendement, des surfaces en pente dans les zones de montagne, de soi-disant terres marginales (Grenzertragsböden) qui ne s’exploitent que difficilement.

Les surfaces restantes ne sont guère rentables

«Autrefois, les agriculteurs avaient encore le temps», déclare Christian Gazzarin de l’Institut de recherches ART de Tänikon. A l’époque les zones de montagne étaient habitées par des familles nombreuses, dont les membres tous ensemble faisaient les foins sans laisser inexploitées les surfaces en forte pente. Aujourd’hui l’agriculteur utilise des machines pour faire son travail. Il commence à faire les foins sur les surfaces ayant un bon rendement et relègue les surfaces difficiles à exploiter au second plan. S’il fait mauvais temps, ces dernières ne sont par conséquent plus fauchées, les terres sont laissées à l’abandon – c’est-à-dire elles tombent en friche ou se boisent. Les pouvoirs publics essaient d’encourager l’exploitation de ces «terres restantes» par des paiements directs; la réalité montre par contre que l’exploitation généralisée à laquelle on aspire, n’est plus atteinte partout. L’exploitation de terres marginales en forte pente serait certes bien rémunérée par unité temporelle, mais comparée aux activités habituelles des exploitations orientées vers le rendement, il ne s’agirait que d’un «revenu supplémentaire». Selon Christian Gazzarin, il est prioritaire pour l’agriculteur d’engranger assez de nourriture pour le bétail.
Dans le fond, est-il sensé d’utiliser les surfaces en pente ayant peu de rendement et de maintenir ainsi le paysage rural ouvert? Sur ce point-là les opinions sont partagées, explique Christian Flury, directeur du projet de recherche d’Agroscope AgriMontana s’occupant entre autre de la question du maintien d’un paysage rural ouvert dans les régions de montagne. Les uns ne voient pas d’inconvénients à l’extension des broussailles et de la forêt– selon eux une contrée sauvage peut être tout à fait attrayante. D’autres sont d’avis qu’on perdrait ainsi des terres agricoles et du potentiel de production. Selon eux l’accroissement de la surface forestière porterait atteinte à la base existentielle de la population des régions de montagne. D’autres encore critiquent la perte de la variété des espèces, de la biodiversité. Les plantes qui figurent sur la liste rouge, poussent souvent dans les prairies en forte pente utilisées de manière extensive. Si la forêt se répand, l’espace vital des espèces en voie de disparition se rétrécit.

Les prestations écologiques comme nouvelle branche d’exploitation

Apparemment, il n’y a pas de recettes applicables, s’il s’agit de la question de savoir si des surfaces dans les régions de montagne doivent être cultivées. «Chaque exploitation, voire chaque parcelle est un cas particulier», déclare Christian Gazzarin. De même, il n’y aurait pas de réponse générale quant à la manière d’utiliser une surface. En Suisse les agriculteurs font paître des bovins rustiques, des moutons ou des chèvres sur les surfaces ayant peu de rendement et qu’ils ne fauchent plus, des coopératives d’utilisation de matériel agricole en Autriche par contre proposent le service de paillage mécanique de terrains en pente. Le point commun de tous ces procédés est qu’ils effectuent leur prestation sur un paysage rural ouvert. Et avec ça la Politique agricole 2014/17 entre en jeu: «Les paiements directs sont effectués selon les prestations», explique Christian Flury. La question fondamentale est de savoir quelle prestation j’effectue et à quelle qualité j’aspire sur cette surface. L’agriculteur devrait lui-même décider quel procédé il veut mettre en place. Finalement, ce qui compte n’est pas le fait de respecter les règlements tels que l’interdiction d’engrais ou le moment le plus précoce de fauchage, mais la prestation en tant que telle et la qualité de la végétation. Un tel système conviendrait à l’autoportrait de l’agriculteur-entrepreneur. Pour des exploitations entrepreneuriales les prestations écologiques pourraient devenir une branche d’exploitation.

Des moutons et des chèvres contre l’extension de la forêt naturelle

Deux exemples pratiques montreront comment les agriculteurs gèrent déjà maintenant le problème de l’extension de la forêt et des terres délaissées. Les deux phénomènes ne se limitent pas aux régions alpestres mais apparaissent aussi dans des régions de basse altitude, partout où il y a des terrains en forte pente. Christian Gazzarin n’est pas seulement économiste d’entreprise à l’Institut de recherche ART à Tänikon, mais il tient en tant que propriétaire d’animaux amateur près de Saint-Gall un troupeau de 20 à 30 moutons d’Engadine et deux chèvres. Il les fait paître de temps en temps sur les surfaces en pente de son voisin à la zone de montagne I. Au contraire des bovins, les moutons et les chèvres mangent les jeunes pousses et les feuilles des ronces et les font reculer ainsi. Sans ce «nettoyage du pâturage», la jeune forêt avancerait et la surface boisée s’etenderait au fur et à mesure. Ceci aurait finalement pour conséquence que l’agriculteur ne recevrait plus de paiements directs étant donné que les surfaces ne sont plus cultivées.
Le voisin n’avait pas de succès durable seulement avec le paillage des ronciers. Comme les racines restaient dans le sol, la motte bourgeonnait de nouveau après quelques semaines et un nouveau «tapis d’épines» se formait. Là où les moutons et les chèvres ont pâturé régulièrement, on ne trouve plus de ronces, aujourd’hui, deux ans après le paillage. Les bêtes broutent le pâturage régulièrement. Les fougères et les orties qui y restent parce que les moutons ne les mangent pas, Christian Gazzarin les coupe avec la débroussailleuse. Entretemps, il a fait paître ses moutons aussi là où il y a un développement de la friche. Les moutons ont commencé à croquer et à éplucher les jeunes troncs et les jeunes branches des frênes et des noisetiers, si bien que ces derniers meurent le temps aidant. Avec un peu de patience, on peut ainsi regagner la surface cultivable, même s’il y a un développement de la friche.

Le projet «Extension naturelle des forêts en Valais»

Le Valais a lancé un projet étudiant comment on peut gérer l’extension des forêts et des broussailles sur le paysage traditionnel. Le chef du projet est Céline Müller de la section Conservation des forêts. «Le projet pourrait servir de guide pour toute la Suisse», dit Peter Gresch. Il est professeur à l’ETH pour les questions de l’espace et de l’environnement et accompagne le projet comme expert. Au centre se trouvent les communes parce que ce sont elles qui sont responsables de l’utilisation du sol. C’est leur tâche de déterminer des territoires-cibles dans lesquels on doit empêcher l’extension des forêts ou l’amener à disparaître pour organiser l’utilisation de ces sols.
Le défrichage de la forêt est possible uniquement parce qu’une révision de la Loi fédérale sur les forêts a rendu plus flexible la protection de la forêt. Jusque-là, la loi en vigueur disait que la forêt naturelle ne pouvait plus être défrichée après 20 ans sans reboisement de substitution. Dès lors, les communes disposent du moyen des «lignes de constatation de forêt». A l’intérieur de cette ligne inscrite dans le plan de zones, la forêt qui progresse sur les surfaces cultivées peut être défrichée aussi après ces 20 ans. «Il s’agit d’éviter que les secteurs d’intervention prioritaire ne soient perdus à jamais», explique Peter Gresch. Alors qu’on pensait autrefois surtout à la protection de la forêt, il s’agit aujourd’hui au contraire de protéger la surface cultivée.

«Négocier» les secteurs d’intervention prioritaires et l’utilisation du sol

Est-ce qu’il vaut la peine pour les agriculteurs de participer à ce projet? Finalement, il s’agit des surfaces dont le rendement ne couvre pas la dépense. D’un côté, il y a les intérêts du public, la protection de la biodiversité et des espaces vitaux pour des animaux sauvages et des plantes. Egalement des valeurs culturelles en font partie, comme par exemple des zones de mayens, certains pâturages boisés, des paysages en terrasses/bocages ainsi que des objets de valeur (bâtiments et sites protégés). Peter Gresch mentionne comme exemple une chapelle qui, construite sur une colline, était autrefois visible de loin et qui disparaît aujourd’hui dans la forêt. De l’autre côté se trouve l’intérêt des agriculteurs de cultiver le sol avec un travail en rapport. Les surfaces ne doivent pas avoir une pente trop prononcée et être si possible sans obstacles. Le rendement doit valoir le travail. Pour cela, il ne s’agit pas seulement du montant des paiements directs, mais aussi de savoir comment l’utilisation des secteurs d’intervention prioritaires sera «négociée» avec la commune», dit l’expert du projet.

Droits d’utilisation pour les nouvelles surfaces

«L’agriculture dispose d’assez d’argent», dit Peter Gresch en vue des moyens financiers prévus de la PA 2014/17 et la promotion augmentée des surfaces. D’un côté, pour les mêmes surfaces, plusieurs instruments de financement fédéraux entrent en ligne de compte (voir encadré: mesures de la PA 2014/17); de l’autre côté des mesures de soin peuvent être adaptées aux buts. Par exemple, il peut s’avérer raisonnable de ne pas faucher chaque année, mais au lieu de ça de collaborer avec les administrations forestières qui sont responsables du défrichage des nouveaux buissons. Ce n’est pas en dernier lieu que la participation au projet «Extension naturelle des forêts» pourrait intéresser les agriculteurs aussi parce qu’ils auraient accès aux droits d’utilisation pour les nouvelles surfaces. Si les territoires classifiés comme secteurs d’intervention prioritaires n’étaient pas entretenus par leurs propriétaires, le droit d’utilisation pourrait être transmis à d’autres. Au centre du projet en Valais se trouve – comme déjà mentionné – la commune. C’est sa tâche de garantir l’utilisation des secteurs d’intervention prioritaires et d’y intégrer les agriculteurs. Ceux-là pourraient profiter de leur chance en participant à la lutte contre le reboisement des secteurs d’intervention et de leur utilisation.  

Le maintien d’un paysage rural ouvert

Le maintien d’un paysage rural ouvert sert avant tout trois buts, dit Patricia Steinmann, au secteur des étho- et éco-programmes de l’OFAG, à savoir la protection des surfaces cultivables, la protection des paysages semi-ouverts au tourisme, et troisièmement les surfaces rurales ouvertes, favorables à la biodiversité. Si les forêts progressent, des espèces rares d’animaux et de plantes disparaitront. La PA 2014/17 contient de nouveaux instruments pour le maintien d’un paysage rural ouvert: les contributions au paysage cultivé remplacent les contributions aux surfaces de jusqu’à présent. Elles se composent de contributions selon les zones, ainsi que de contributions pour les terrains en pente, les zones alpines et l’estivage. Les contributions à la sécurité de l’approvisionnement par rapport aux surfaces remplacent les contributions de l’UGBFG par rapport aux animaux. Ce qu’on appelait les contributions écologiques s’appellent dès maintenant les contributions à la biodiversité. La base en est l’Ordonnance sur la qualité écologique en vigueur. On cherche à augmenter les attraits du programme de biodiversité.     •

Michael Götz, agro-journaliste indépendant, LBB-Gmbh, Säntisstr. 2a, 9034 Eggersriet,
tél.: +41 71 877 22 29, e-mail: migoetz(at)paus.ch, www.goetz-beratungen.ch 

(Traduction Horizons et débats)