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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°29/30, 28 juillet 2010  >  «L’étranger doit également savoir que les pères de la Suisse n’appartiennent pas seulement à l’histoire mais sont encore vivants.» [Imprimer]

«L’étranger doit également savoir que les pères de la Suisse n’appartiennent pas seulement à l’histoire mais sont encore vivants.»

Réflexion à l’occasion du 1er-Août

par Tobias Salander

La «malice des temps», cette notion – familière à tous les Confédérés car elle fut uti­lisée par nos pères fondateurs pour désigner les aspects négatifs de la condition hu­maine – évoque avec réalisme, sans pessimisme, dans un esprit d’observation critique, ce qui peut pousser les hommes à agir, de quoi ils sont capables, c’est-à-dire tromper leur prochain par la ruse, leur dicter leur conduite, les soumettre à des contraintes. Mais le fait d’appeler les choses par leur nom leur ôtait leur aspect effrayant et inéluctable: en nommant les choses, on barrait la route à toute tentative de résignation. La «malice des temps» exigeait à l’époque – et elle le fait encore aujourd’hui – de souligner l’autre aspect de la condition humaine, c’est-à-dire la
faculté d’aborder dans la paix et le respect nos relations avec notre prochain, créé à l’image de Dieu et par conséquent sanctifié, dont la dignité est intangible. Les siècles ultérieurs parlèrent de l’homme en tant qu’individu social possédant des droits intrin­sèques, naturels et inaliénables, les droits de l’homme.

La «malice des temps» aujourd’hui?

Défier la «malice des temps», c’est en­core et toujours être animé par la volonté de vivre dans la paix, la dignité, l’indépen­dance, l’entraide, et cela dans l’intérêt général, sans tromperies, sans exploitation d’autrui ni rapacité. Ce que nos pères ont réalisé par le serment du Grütli puis grâce à un réseau serré d’alliances innombrables est un bien précieux entre les mains de l’actuelle génération qui doit en prendre soin. Mais la malice n’a pas disparu, elle continue de sévir, sous différents aspects, comme un caméléon.
Autrefois, ce fut la soif de pouvoir des Habsbourg et des Bourguignons, mais également les discordes intérieures, nourries par l’envie et la jalousie, la cupidité et la présomption engendrées par les succès mili­taires, l’avidité et le désir de plaire auxquels la défaite de Marignan a mis un point final salutaire. Ce furent les querelles religi­euses, le risque constant d’ingérences étrangères qui cherchèrent sans cesse à exploiter les différends intérieurs de nos ancêtres. Ce furent ensuite les troupes napoléoniennes qui mirent le pays à feu et à sang, le pillèrent et enrôlèrent nos jeunes gens pour en faire de la chair à canon dans la campagne de Russie. Ce furent la présomption et l’outrecuidance des habitants des villes à l’égard de ceux des cam­pagnes, celles des anciens cantons vis-à-vis des territoires assujettis, qui purent être contrées grâce à des interventions coura­geuses en faveur de l’égalité de tous les Confédérés lors de l’Affaire de Stäfa (1794–95) et dans di­verses assemblées populaires comme la Journée d’Uster (1830).
Aujourd’hui, la malice des temps prend diverses formes. Nous la trouvons dans les attaques, à plusieurs niveaux, contre notre démocratie directe, modèle de paix pour les autres peuples, contre notre neutralité armée perpétuelle et les bons offices, contre notre souveraineté alimentaire; dans les attaques de la haute finance et sa volonté de s’emparer de la richesse et de la monnaie de notre pays; dans l’entreprise de démoralisation d’«intellectuels» stipendiés et leur tentative sournoise de détruire l’«idylle suisse»; dans les déclarations de l’UE selon lesquelles la voie bilatérale est terminée, menace impli­cite signifiant que la Suisse doit s’acheminer vers l’adhésion à une UE qui soit se délite soit agit de manière dictatoriale; dans les tenta­tives de vider insidieusement de leur substance le fédéralisme et la démocratie directe – qui se sont développés au cours des siècles – en créant des régions métropolitaines, en privatisant et donc en pillant nos services publics; dans les tentatives de démanteler notre sys­tème scolaire et, ce faisant, de saper un pilier de notre démocratie directe, l’éducation; dans les tentatives d’amener les communes, au travers du «social engineering» pratiqué par des conseillers extérieurs, dans des directions qui ne sont pas légitimées démocratiquement et ne sont pas voulues par la majorité de la population, etc.

Contre l’arrogance et les démonstrations de force

Mais comme nous l’avons dit plus haut, nommer la «malice des temps» signifie attirer l’attention sur la réalité, renforcer nos défenses immunitaires, recourir à des antidotes, agir de manière préventive ou, quand le danger est identifié trop tard, lutter avec d’autant plus de force et d’énergie. Et de même qu’autrefois les meilleures armées de chevaliers étaient incapables, dans leur arrogance et leur orgueil, de s’opposer aux troupes de fantassins de l’ancienne Confédération armés de javelots et de hallebardes, nous devons résolument tenir tête aujourd’hui à l’arrogance et aux démonstrations de force, qu’elles soient d’origine politique ou inspirées par le fanatisme ethnique ou religieux. Mais cela nécessite de la détermination et du courage de même que des connaissances en civisme et en histoire. Nous devons exiger de nos écoles des cours d’instruction civique approfondis et honnêtes apportant des connaissances précises sur l’histoire et les instruments de la démocratie directe.
Lorsque dans des situations difficiles, nos ancêtres devaient lutter âprement, souvent au péril de leur vie, pour obtenir la participation, ils n’y parvenaient que par une action commune, en serrant les rangs.
Pour illustrer cela, rappelons-nous l’époque de la préparation de la Journée d’Uster du 22 novembre 1830 qui, comme dans d’autres cantons suisses, accorda enfin à la population des campagnes l’égalité juridique avec ceux des villes et établit les fondements de l’Etat fédéral de 1848 qui acheva le modèle de la démocratie directe en ajoutant à l’autonomie communale de l’an­cienne Confédération et à l’ancien droit naturel divin les idées des Lumières, le droit naturel fondé sur la raison, la souveraineté populaire, la séparation des pouvoirs et, dans les décennies ulté­rieures, les droits d’initiative et de référendum. Cette journée d’Uster, appelée en beaucoup d’autres endroits Landsgemeinde, avait été préparée tant sur le plan des arguments que de l’affectivité et annoncée par des tracts distribués dans tout le canton de Zurich. Leurs rédacteurs donnaient la parole à Jonathan et David, deux habitants de la campagne zurichoise qui évoquaient «les difficultés actuelles et ce que tout le monde doit savoir».

La vraie sagesse consiste à être juste, prudent et modeste

Après avoir dénoncé comme étant «rou­blarde» et «autoritaire» la ville de Zurich qui refusait à la population des campagnes l’éga­lité des droits, les paroles de Jonathan révèlent une haute idée de soi, une dignité et une forte dose de courage civique que l’on voudrait trouver chez les Confédérés d’aujourd’hui: Dénonçant ouvertement l’arrogance des citadins zurichois, Jonathan dit à son concitoyen David (que le lecteur suisse d’aujourd’hui remplace toujours dans le texte qui suit «Zurich» par le nom de structures actuelles animées par la folie des grandeurs comme «cartel anglo-américain», «Union européenne», «haute finance» ou d’autres milieux louches avides de pouvoir):

«Voici ma main, David. Je suis encore un Suisse et je te soutiens ainsi que la cause du pays. Maintenant je sais parfaitement de quoi il s’agit et nos hommes ont de bonnes raisons de se tenir les coudes et de montrer aux Zurichois qu’on ne plaisante pas avec la campagne. Nous ne nous satisfaisons pas de quelques miettes. Nous sommes des citoyens du canton, comme les Zurichois. J’ai femme et enfants. Dois-je me soucier uniquement de leur nourri­ture et pas de leur avenir? Je possède une maison et d’autres biens mais je ne saurais m’en réjouir si je ne peux pas être un citoyen suisse libre. Non! Non! Il faut mettre fin aux privilèges.»

Ensuite Jonathan dit quelque chose dont les intellectuels d’aujourd’hui devraient tenir compte:

«Ecoute, David, je ne comprends pas que Zurich, où l’on dit qu’il y a tant de per­sonnes instruites, puisse avoir une attitude aussi injuste et peu intelligente à l’égard de la campagne précisément maintenant.»

Et David de répondre:

«Il est évident qu’ils sont instruits mais ils sont dépourvus de sagesse. J’ai toujours entendu dire que la vraie sagesse consistait à être juste, prudent et modeste. Je me souviens de ce que mon grand-père disait des gens intelligents mais méchants: «Ils possèdent toute la sagesse du monde mais elle finit pas échouer.»

Jonathan ajoute, notamment à propos des vertus républicaines et de la nécessité pour les représentants du peuple d’avoir un comportement moral:

«J’ai entendu dire qu’un représentant du peuple ou un membre du gouvernement doit être non seulement intelligent mais honnête et vertueux.»

Feux du 1er-Août: Souvenons-nous de nos valeurs et vertus fondamentales

Ensuite Jonathan indique en quoi consiste l’essence de la Confédération et ce qui doit sans cesse être cultivé, c’est-à-dire le débat obstiné concernant ce qui fait notre nation issue de la volonté populaire et la forme sous laquelle la malice se présente à nos contemporains:

«Rassemblons-nous et discutons. Je vais envoyer notre tract à ma parenté, à mes amis et connaissances. Agis de même. Et s’il faut consentir des sacrifices, j’en ferai pour ma patrie. L’étranger doit également savoir que les pères de la Suisse n’appartiennent pas seulement à l’histoire mais sont encore vivants. Nous avons des familles mais le canton est une plus grande famille. La plus grande perte qui soit est celle des droits civiques. Faisons tout pour les revendiquer. Je sais maintenant ce qu’il faut faire. Malheur à Zurich de mettre en émoi la campagne par son attitude! Qui sème le vent récolte la tempête. Nous ne pouvons pas faire autrement, nous devons défendre nos droits sacrés devant Dieu et la patrie. Ils vont nous insulter, mais peu importe, car notre cause est juste.»

Nous devrions faire preuve aujourd’hui de ce courage, de cette clarté de vues, du fait de nommer celui qui s’attaque à l’indépendance et à l’égalité, de cette solidarité avec les autres Confédérés. Et c’est pour nous rappeler ces valeurs et vertus fondamentales que nous allumons des feux le 1er août, pour illuminer le pays dans l’élévation et le silence de la nuit et nous souvenir que la liberté et la paix ne tombent pas du ciel mais que nous devons constamment les reconquérir, contre la malice de l’époque où nous vivons.•