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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 12, 11 mai 2015  >  «Un début prometteur pour tous les Tamouls» [Imprimer]

«Un début prometteur pour tous les Tamouls»

Interview du professeur S. J. Emmanuel, président du «Global Tamil Forum»

En mai 2009, après un combat sanglant mené avec acharnement, la guerre civile entre l’armée de libération tamoule LTTE (Liberation Tigers of Tamil Eelam) et le gouvernement du Sri Lanka prit fin. Les causes de cette guerre civile dévastatrice se trouvaient en fin de compte dans la politique coloniale des Britanniques. La majorité cinghalaise et la minorité tamoule possédaient, avant la période colonialiste, leurs propres royaumes. Les Britanniques installèrent un Etat central et remirent le pouvoir aux Cinghalais, qui, à leur tour, en abusèrent pour dominer les Tamouls.
Après le départ des Britanniques, une histoire pleine de douleur commença pour la minorité tamoule, entraînant une discrimination de plusieurs dizaines d’années pleine de violence exercée par la majorité cinghalaise. En plusieurs vagues de réfugiés, de nombreux Tamouls arrivèrent en Suisse et furent ainsi protégés des pogroms initiés par les Cinghalais. Après avoir, entre 1948 et 1976, tenté sans succès d’arriver pacifiquement à une amélioration de leur situation, la résistance des Tamouls se renforça. Lorsque la répression devint toujours plus brutale et violente, les Tamouls commencèrent à organiser une résistance armée qui eut au début un net succès. Après le 11 septembre 2001, la situation des Tamouls empira parce que leur combat pour les droits de l’homme fut déclaré être une activité terroriste. Toutes les organisations tamoules, dans 27 pays furent interdites et paralysées en tant qu’organisations terroristes.
Le gouvernement de Mahinda Rajapakse combattit sans merci et de toute rigueur le bras armé de la LTTE et termina les combats par un terrible massacre jamais éclairci jusqu’à aujourd’hui. En janvier 2015, il y eut des élections au Sri Lanka et un nouveau gouvernement fut élu. Il semble qu’il est plus modéré face aux Tamouls et s’engage dans le sens d’une réconciliation des deux peuples. Le président du «Global Tamil Forum», le professeur et prêtre catholique S. J. Emmanuel, décrit dans l’interview ci-dessous l’importance qu’un tel changement pourrait avoir pour la population tamoule.

Horizons et débats: Depuis la fin officielle de la guerre civile, presque six ans se sont écoulés. Quel a été le sort des Tamouls après cette guerre civile?

S. J. Emmanuel: La période après la fin de la guerre civile fut le temps d’un ultra-génocide. Par génocide on entend le meurtre collectif d’un peuple. En utilisant le terme «ultra-génocide», je veux décrire la tentative du gouvernement d’extirper les racines existentielles d’un peuple, d’exterminer son identité culturelle et nationale. Toutes les tombes de soldats tamouls ont été rasées par des bulldozers et le gouvernement y a construit des bâtiments militaires. La commémoration des soldats morts au combat est interdite lors de la fête nationale des Tamouls du 27 novembre. C’est la tentative d’effacer toute commémoration de la guerre et des victimes de la guerre dans la mémoire du peuple!

Cela préoccupe certainement beaucoup les personnes concernées.

Oui, ils ne peuvent visiter les tombes de leurs proches. Il est également interdit de nommer des rues d’après d’illustres personnalités tamoules décédées. Les membres de notre peuple doivent oublier la LTTE, les souvenirs doivent pâlir.

Qu’est-ce que le gouvernement a entrepris dans ce sens?

On a établi des Cinghalais par la force dans les territoires tamouls. Je n’ai rien contre que les Cinghalais et les Tamouls habitent la même région, mais s’il y a un plan derrière et si les Cinghalais sont forcés d’aller y habiter, alors je refuse.

Y a-t-il autre chose accompli par le gouvernement sous l’ancien président Rajapakse?

Il a exproprié des Tamouls et pris leurs terres. Les Tamouls ne pouvaient s’y opposer car le gouvernement a procédé avec la présence de militaires. On a donné des noms cinghalais aux villages tamouls. On a changés les noms de rues. Cette transformation démographique revient à un génocide.

La population cinghalaise s’est-elle laissée faire?

Il faut bien comprendre. Rajapakse a gagné la guerre contre les terroristes. Pour cela il a été admiré comme un dieu par la population cinghalaise. Il a réussi à vaincre la LTTE après 60 ans de combats, suite à quoi les gens ne se sont plus opposés.

Y a-t-il eu des changements pour les Tamouls après les élections de janvier?

Oui, cela a donné un peu de liberté et d’espoir aux Tamouls. A l’époque, j’avais conseillé aux Tamouls de participer aux élections pour provoquer un changement de régime. Le pays avait un urgent besoin d’un nouveau gouvernement. Le nouveau président Maithripala Sirisena n’a été élu que grâce aux votes des Tamouls et des musulmans, sans eux, il ne serait pas passé.

Est-ce que le nouveau président s’en rend compte?

Oui, il l’a dit en public et s’est rendu à Jaffna et Trincomalee pour remercier les Tamouls. C’est une autre situation de départ qu’avec Rajapakse, qui avait été élu par la majorité des Cinghalais. Les Tamouls avaient risqué cette élection sans assurances préalables.

Pourquoi?

Après la guerre, l’ancien gouvernement n’a fait que de vaines paroles sans aucune action positive. Au contraire: la vie des Tamouls devenait de plus en plus dure. Les promesses de réconciliation et de réparation faites à la fin de la guerre n’ont jamais été tenues. C’est pourquoi les Tamouls attendent impatiemment une amélioration de leur situation.

Est-ce réaliste?

Oui, disons qu’il y a de l’espoir. Au cours des cent premiers jours, le gouvernement a voulu améliorer ses relations internationales. Jusqu’à la fin de la guerre, le gouvernement a obtenu des armes et des moyens financiers de 20 gouvernements occidentaux. Mais après la victoire en mai 2009, il s’est détourné des Etats-Unis et de l’Occident pour développer des rapports amicaux avec la Chine, la Russie, le Pakistan et l’Iran. Le nouveau gouvernement veut donc d’abord améliorer ses relations avec le monde occidental et l’Inde. Le nouveau président a envoyé son ministre des Affaires étrangères dans plusieurs pays et chez les organisations internationales pour améliorer les relations. Lui-même a visité l’Inde, l’Angleterre, la Chine et le Pakistan. Puis, il veut prendre des mesures contre la corruption de la famille Rajapakse et de son clan. Et finalement, il voulait faire quelques changements constitutionnels. Cela n’a pas eu de grandes conséquences pour les Tamouls sauf qu’une partie des terres leur a été restituée et qu’au nord et à l’est du pays un gouvernement civil a remplacé le gouverneur militaire permettant ainsi que les gouvernements provinciaux puissent reprendre leur travail. Nous autres Tamouls, nous attendons toujours une solution politique.

Y a-t-il de l’espoir?

Le nouveau président n’est pas une feuille blanche. Il a de l’expérience politique. Dans le gouvernement de Rajapakse, il était ministre de la Santé et même vice-président pendant les derniers jours de la guerre civile car Rajapakse était en visite en Jordanie. Il était également commandant en chef de l’armée, mais il n’avait pas voix au chapitre car tout le pouvoir était uniquement dans les mains de l’armée dirigée par le frère du président, Gotabhaya Rajapakse.

Il a donc éclipsé son collègue de parti lors des élections?

L’ancienne présidente, Mme Chandrika Bandaranaike, et l’ancien Premier ministre Ranil Wickremesinge ont secrètement motivé le président actuel à quitter son ancien parti à l’aide d’un plan de coalition, pour en faire le candidat de l’opposition aux élections présidentielles. Il avait quitté le parti Rajapakse et adhéré au parti oppositionnel. D’autres ministres ont procédé de la même façon et ont ainsi à nouveau un poste dans le gouvernement actuel.

N’y a-t-il actuellement qu’un seul parti gouvernemental?

Non, c’est une coalition de plusieurs partis voulue par Sirisena. Cela a donné un autre caractère au gouvernement. C’était une décision sage.

Est-ce que des premières conséquences se font remarquer?

Le programme du nouveau gouvernement promet de réduire le pouvoir du président dans les 100 premiers jours. Actuellement, le gouvernement tente de procéder à une révision de la Constitution. Vraisemblablement, il y aura des élections législatives en juin 2015.

Le président s’y est-il tenu?

Le président a soutenu la décision et commencé la lutte contre la corruption. Par exemple, Rajapakse s’était fait construire à Jaffna un gigantesque palais et un aéroport pour illustrer son pouvoir face aux Tamouls. Sirisena, le nouveau président, en a fait maintenant un hôtel pour tout le monde.

D’où venait l’argent avec lequel Rajapakse pouvait financer de tels projets, puisque la guerre civile avait mené le pays au bord de la faillite?

Cela, il faut le voir sous des prémisses géostratégiques. A cause de la position géostratégique du Sri Lanka, la Chine a grand intérêt à entretenir de bonnes relations avec cet Etat. Elle a signé des accords avec Sri Lanka et il y a eu beaucoup d’argent et d’aide pour le pays. Ainsi, la Chine a toujours eu une certaine influence au Sri Lanka. Avec l’aide financière chinoise, on a commencé à construire une toute nouvelle ville portuaire à Colombo. Le nouveau gouvernement a stoppé cette construction. Le peuple était très mécontent de ces projets.

Sa politique amène-t-elle une amélioration de la situation de vie des Tamouls?

Le président Sirisena tente d’arriver à une réconciliation. Comme je l’ai déjà mentionné, il est allé à Jaffna et Trincomalee et a promis une amélioration de la situation aux habitants. Rien de concret, mais il favorise le vivre ensemble.

Les gens ressentent-ils cela?

Les gens ayant souffert de la guerre civile pendant de longues années n’éprouvent pas encore une amélioration directe, mais la situation générale s’est détendue. On leur a par exemple rendu des terres que les militaires leur avaient enlevées. Dans la province de Jaffna, ils ont réduit l’influence du gouvernement militaire et transmis les affaires politiques au gouvernement provincial élu. Ainsi le gouvernement civil et le conseil provincial peuvent reprendre leurs activités. C’est un début prometteur pour tous les Tamouls.

Qui est ce Sirisena?

A l’opposé de Rajapakse, issu de la classe supérieure, et ayant grandi dans une dynastie politique, Sirisena fait partie des petites gens. Quand le pape François s’est rendu au Sri Lanka, il a qualifié Sirisena d’«homme terre-à-terre». Sirisena vient de la campagne, c’est un homme du peuple.
Depuis la fin de la guerre civile, le Sri Lanka a refusé de laisser entrer une commission d’enquête de l’ONU pour étudier les éventuels crimes de guerre, commis vers la fin de la guerre civile. Est-il possible que cela change avec le nouveau président?
On verra. La position géostratégique du Sri Lanka est de grande importance.

Comment cela?

Au combat contre les Tamil Tigers, désigné par Bush de guerre contre le terrorisme, ont participé dans la phase finale environ 20 Etats. Ces Etats attendaient à la fin de la guerre quelques remerciements du gouvernement. Mais Rajapakse s’est davantage tourné vers la Chine et la Russie, ce que les Etats occidentaux ont ressenti comme une humiliation. Pire encore – il avait promis à l’Occident de se réconcilier avec les Tamouls et de trouver une solution politique. Mais tout de suite après la fin de la guerre, il entama des mesures génocidaires envers les Tamouls.

Qui s’est montré le plus concerné?

Etant donné que les Etats-Unis, en concurrence avec la Chine, désirent contrôler les voies commerciales des Chinois, ils ont tenté d’influencer la situation en utilisant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

De quelle manière?

Ils voulaient faire passer une résolution permettant d’examiner les événements pendant et après la guerre civile. Mais cette résolution a été refusée par la majorité du Conseil avec l’argument que les Etats-Unis et les anciens pouvoirs coloniaux voulaient se mêler des affaires intérieures du Sri Lanka.

Les Etats-Unis ont-ils alors abandonné leur projet?

Non. Ils ont lancé une nouvelle résolution qu’ils ont aussi perdue. On voulut déférer le Sri Lanka à la Cour pénale internationale. Cette action a échoué à cause du veto de la Chine et de l’opposition du Pakistan. Une troisième tentative a cependant réussi. Il est prévu d’entreprendre un examen des crimes contre l’humanité lors de la phase finale de la guerre en 2009.
C’est intéressant de voir que l’Occident ne s’en prend au gouvernement qu’après la guerre. Des crimes contre les Tamouls et leur forte discrimination étaient connus déjà au cours des années précédentes.
Oui, c’est en effet intéressant. L’ancienne Haut Commissaire pour les droits de l’homme, Louise Arbor, et son successeur sont allés au Sri Lanka pendant et après la guerre civile et sont entrés en contact avec des victimes de guerres tamoules. Elles en ont fait un rapport qui a été très mal reçu au sein de l’ONU. On les a intitulée de «Tamil Tiger blancs». Les Etats occidentaux n’ont rien entrepris face à la situation catastrophique au Sri Lanka.

Quelle est l’attitude du nouveau Haut Commissaire des droits de l’homme, M. Zaïd Ra’ad Al Hussein?

Zaïd est intéressé à faire avancer les choses et à contribuer à la réconciliation des divers groupes du peuple. Il voulait se rendre au Sri Lanka encore sous l’ancien gouvernement, mais on l’en a empêché. L’ancien gouvernement n’a pas non plus accepté la résolution demandant une enquête. Ils ont affirmé qu’ils avaient déjà étudié les évènements eux-mêmes et que cela avait été le sauvetage humanitaire des Tamouls face au LTTE. Le gouvernement n’a pas voulu coopérer avec le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Quelle est l’attitude du nouveau gouvernement?

Il a commencé à renouveler les relations avec l’Occident. La première visite que Sirisena a effectuée avec son ministre des Affaires étrangères les a menés en Inde. Plus tard, le président indien s’est rendu au Sri Lanka et a visité Colombo et Jaffna. La situation internationale n’est, en général, pas mauvaise pour le gouvernement du Sri Lanka.

Quelle suite va-t-on donner à la résolution acceptée au Conseil?

On a reporté sa réalisation au mois de septembre. Le Haut-commissaire Zaïd Hussein veut d’abord se rendre au Sri Lanka et s’informer sur place. L’argument est qu’on veut donner un peu plus de temps au gouvernement. Le nouveau gouvernement du Sri Lanka voulait gagner du temps pour procéder à des enquêtes internes. Ils n’acceptent, tout comme l’ancien gouvernement, pas d’enquête internationale. Ils veulent obtenir de l’aide internationale pour leur propre commission d’enquête. Suite à leurs expériences douloureuses, les Tamouls et les victimes de guerre n’ont pas confiance dans le fait qu’une commission internationale puisse juger de manière équitable.

Il y a peu, Didier Burkhalter s’est rendu au Sri Lanka et y a rencontré le nouveau gouvernement. Comment jugez-vous ce voyage?

Je le vois de façon très positive. La Suisse a aidé les Tamouls alors qu’ils étaient en grande difficulté. Actuellement aussi, la politique face aux Tamouls est la bonne. Je vois en cela un signe positif, que Didier Burkhalter se soit rendu au Sri Lanka.

Monsieur le Professeur, nous vous remercions cordialement pour cette interview.     •

(Interview réalisée par Thomas Kaiser)