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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°50, 19 décembre 2011  >  Mainmise d’organisations internationales sur l’école suisse [Imprimer]

«La manière («mécanismes de soft governance») dont cet objectif doit être atteint clandestinement, ou a déjà été atteint, menace considérablement notre souveraineté parce que le gouvernement, le Parlement, le peuple et les cantons ont été ignorés. Cela revient à vider notre démocratie de sa substance et menace de gagner à l’avenir d’autres secteurs politiques.
Il est grand temps que la Suisse politique prenne connaissance de la situation et réagisse efficacement.»

Bruno Nüsperli

Mainmise d’organisations internationales sur l’école suisse

Lettre du «Schulforum Schweiz» adressée aux directeurs cantonaux de l’Instruction publique, aux parlementaires et aux médias

Aarau, le 17 novembre 2011

Madame, Monsieur,

Depuis plus de dix ans, le système scolaire suisse subit des changements, de l’école enfantine à l’université, en faveur d’une harmonisation globale, processus en cours qui passe en grande partie inaperçu et se produit en marge de nos coutumes fédéralistes. Ce qui, aujourd’hui, se passe de manière occulte dans le secteur de l’école peut ouvrir la voie à d’autres mainmises dans des domaines souverains (p.ex. la santé ou la politique de sécurité) et vise la dissolution de nos traditions démocratiques.
Cette mise au pas est pilotée par des bureaucraties internationales (UE, OCDE) et des ONG qui paraissent inoffensives dans l’intention de mettre l’école des Etats membres an service de l’économie globale. Cela nécessite l’économisation et l’harmonisation des objectifs de l’enseignement. Or chez nous, ces derniers sont fixés par des lois cantonales et votés par le peuple. La comparabilité globale de ces objectifs qui est visée suppose une harmonisation des normes scolaires qui exclut les spécificités nationales, culturelles, ethniques et religieuses et sacrifie ainsi les valeurs fondamentales supérieures.
Le culot avec lequel des organisations internationales sans aucune légitimité sapent notre souveraineté (comme celle d’autres pays) apparaît au grand jour dans l’étude de 30 pages de l’université de Brême intitulée Soft Governance in Education. The PISA Study and the Bologna Process in Switzerland, 2010.*
L’étude analyse l’importance des organisations internationales dans la gouvernance de la politique suisse de l’éducation et elle décrit avec une franchise incroyable les instruments par lesquels l’OCDE et l’UE ont pu s’imposer comme de «nouveaux acteurs internationaux» dans le système scolaire de la Suisse fédéraliste. Il s’agit du processus de Bologne pour le secteur universitaire (UE) et de PISA (OCDE) pour l’école obligatoire. «PISA a introduit la logique économique dans l’éducation. Aussi ses préceptes sont-ils fondés sur l’éducation conçue en tant que capital humain plutôt que comme un droit fondamental», lit-on page 19. En ce qui concerne le processus de Bologne, on lit ceci page 21: «En Suisse, Bologne est perçue comme ‘la réforme la plus importante depuis Humboldt’, surtout parce qu’elle peut encourager à la fois l’harmonisation internationale et nationale des structures et des objectifs. Son pouvoir ne peut pas être expliqué sans référence à la Commission européenne. L’acteur international doit entrer avec une extrême précaution ou ‘en crabe’ dans le domaine ‘interdit’ de l’enseignement supérieur national parce qu’il ne dispose pas de compétences légales ni de mécanismes de contrainte envers les Etats signataires de Bologne.» (sic!)
L’étude conclut que les instruments de gouvernance ont eu une influence considérable et inattendue sur la politique suisse de l’éducation et considère le succès de la transformation de la souveraineté suisse en matière scolaire comme un modèle pour le changement politique dans d’autres pays.
Si la «transformation» sournoise de la souveraineté suisse par des bureaucraties étrangères illégitimes est grave et doit être rejetée, les contenus impliqués par cette transformation sont encore plus graves.
L’abandon de la tradition humaniste occidentale représente un changement de paradigme qui aura de lourdes conséquences pour l’avenir de la nation suisse. Cela commence par le fait que l’étude «Self Governance in Education» parle d’éducation quand elle veut dire instruction. Mais l’éducation implique toujours l’humanité de l’homme avec ses facultés spirituelles. L’idéal éducatif humboldtien implique davantage que la simple acquisition de connaissances. La maturation de l’individu, l’épanouissement de la personnalité et le développement de talents jouent un aussi grand rôle. La conception moderne de l’éducation concerne le processus de développement qui accompagne toute la vie de l’homme au cours de laquelle il enrichit ses facultés spirituelles, culturelles et pratiques et ses compétences individuelles et sociales. Or cette éducation complète ne saurait être transmise au moyen de normes et de compétences scolaires comparables et nivelées au plan global. Elle représente pourtant un élément clé pour le développement de l’identité et la force vitale d’un peuple, condition de toute démocratie directe. Des normes scolaires internationales harmonisées sur la base de «crédits» (processus de Bologne) ou de palmarès de pays à la PISA ont déjà signé la perte de qualité du modèle pédagogique suisse qui avait fait ses preuves.
Depuis quelque temps, la «soft governance» transforme nos écoles, le plus souvent à notre insu, mais avec un vif succès. C’est dangereux pour l’identité suisse, et cela pour deux raisons:
1.    Le nouveau système scolaire, implanté de l’extérieur, ne correspond en aucune manière à l’éducation reposant sur la tradition humaniste qui était en vigueur jusqu’à présent, et cela parce qu’on a remplacé l’éducation de l’homme par des objectifs économiques, maintenant dépassés et qui ont manifestement échoué. Pour pouvoir surmonter les crises actuelles et futures, nous avons besoin de fortes personnalités capables d’agir au service des hommes, telles que le système scolaire les a toujours produites.
2.    La manière («mécanismes de soft governance») dont cet objectif doit être atteint clandestinement, ou a déjà été atteint, menace considérablement notre souveraineté parce que le gouvernement, le Parlement, le peuple et les cantons ont été ignorés. Cela revient à vider notre démocratie de sa substance et menace de gagner à l’avenir d’autres secteurs politiques.
Il est grand temps que la Suisse politique prenne connaissance de la situation et réagisse efficacement.

Tout en vous remerciant de l’intérêt que vous avez porté à ces lignes,
je vous prie de croire, Madame, Monsieur, à mes sentiments les meilleurs.

Bruno Nüsperli, président du «Schulforum Schweiz», Aarau

 

*Pour le texte original en anglais, cf. www.sfb597.uni-bremen.de/homepages/bieber/arbeitspapierBeschreibung.php?ID=159&SPRACHE=de&USER=bieber
Pour la traduction allemande, intitulée «Sanfte Steuerungsmechanismen in der Bildungspolitik», cf. www.schulforum.ch