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Horizons et debats  >  archives  >  2009  >  N°13, 6 avril 2009  >  La politique est la première responsable de la crise financière [Imprimer]

La politique est la première responsable de la crise financière

Le ministre allemand des Finances Steinbrück est depuis longtemps la cible de critiques

par Karl Müller

La Hypo Real Estate (HRE) est une banque d’investissements (immobilier et financements de l’Etat) qui a plongé dans la spéculation en milliards et se retrouve maintenant, selon un rapport récent, avec des papiers sans valeur d’un montant de 235 milliards d’euros portés dans son bilan officiel, soit 60% de ce dernier. Pour l’instant, cette banque a obtenu des garanties de l’Etat dont les montants atteignent des dizaines de milliards, pris naturellement dans l’argent du contribuable.
Dans l’après-midi du 26 mars, le groupe parlementaire socialiste (SPD) du Bundestag a fait savoir aux groupes parlementaires des Libéraux (FDP), des Verts et de «Die Linke» qu’il n’était pas encore disposé à soutenir leur motion demandant la mise en place d’une commission d’enquête au sujet du comportement financier de la HRE. Ainsi la décision est reportée à la séance après Pâques, soit dans trois semaines. Et cela, seulement à quelques mois des élections au Bundestag, alors que le rapport de la commission devra être terminé jusque-là.

Le SPD reporte les travaux de la commission d’enquête concernant Hypo Real Estate

Le comportement du SPD va à l’encontre de la loi sur les commissions d’enquête («Lorsque la demande de mise en place est fournie par un quart des membres, le Parlement a le devoir d’en décider immédiatement cette mise en place.»). Les membres du FDP ne se sont pas fait faute de dénoncer cette tactique de retardement.
Cette commission d’enquête, voulue par les trois groupes parlementaires, doit, selon la demande présentée le 26 mars, non seulement enquêter sur la demande de finances de la HRE, mais aussi de savoir si «dans
le domaine d’activité du ministre des Finances […] ou de la banque nationale des arrêtés, des directives, des erreurs d’estimations, des déclarations publiques, des omissions ou d’autres actes ont contribué à provoquer les irrégularités survenues au sein de la Hypo Real Estate Holding AG (HRE), les ont aggravées ou ont mis sur le dos de la population des charges évitables allant jusqu’à 87 milliards d’euros en reprenant des risques, ceci dans le cadre des garanties du gouvernement, mais aussi des charges accrues du budget auxquelles il faut s’attendre.

Que savaient le gouvernement et Peer Steinbrück?

En fait: la commission d’enquête doit établir, entre autre, «dans quelle mesure et depuis quand le Gouvernement, et notamment le ministre des Finances Steinbrück, était au courant des problèmes de liquidité de la HRE, mais aussi depuis quand et à quel point le ministère des Finances avait été informé par l’Office fédéral de contrôle des finances (BaFin) quant au nécessaire refinancement de la HRE ou de ses filiales, ce qui avait été constaté par le BaFin dans la mesure où il avait procédé lui-même à des contrôles ou qu’ils avaient été menés par la Banque nationale. […] Mais aussi, depuis quand le Gouvernement, et notamment le ministère des Finances, était au courant que les exi­gences, venues de la séparation de la HRE [de la banque HypoVereinsbank ], […] étaient prescrites depuis le 28/9/08.»
Ces formulations reposent sur des rapports (Der Spiegel 6/2009) selon lesquels l’office de la surveillance des banques avait déjà exigé au printemps 2007 que la Holding HRE Depfa, une filiale de la HRE sise en Irlande et occupée essentiellement à spéculer, avec pertes sérieuses, avec des titres financiers assurés, soit soumise à l’organe étatique de surveillance financière. A mi-janvier 2008, la surveillance bancaire avait demandé à la HRE un rapport financier et des risques et y avait découvert des «indications concernant des difficultés de liquidité», comme se plût à s’exprimer le ministère des Finances, le 24 mars 2009, en réponse à une question du groupe parlementaire FDP du 11 février 2009 (cf. Bundestagsdrucksache 16/11950).

Les faits ne devaient être révélés qu’après les élections nationales

Le ministre des Finances Peer Steinbrück prétend toutefois n’avoir été mis au courant que le 22 septembre 2008, concernant les difficultés financières de la HRE. Il est intéressant de savoir que le 25 septembre 2008 Steinbrück avait pointé du doigt les politiciens socialistes estimant que: «la crise du marché financier est essentiellement un problème américain.» C’était quelques jours avant les élections en Bavière, moment où la vérité concernant la politique du parti socialiste et de son ministre des Finances ne devait jouer aucun rôle.
Ce n’est que le 29 septembre, soit un jour après ces élections régionales, que fut révélé le fait qu’il fallait mettre 35 milliards d’euros en garantie pour la HRE, dont 27 milliards venaient du budget, donc des contribuables. Si, toutefois, il est vrai que les exigences de la HRE à sa maison mère d’alors, la banque HypoVereinsbank qui se trouvait en mains italiennes, étaient prescrites depuis le 28 septembre, alors la date du 29 septembre prend toute son importance, selon les motionnaires demandant la commission d’enquête.
Le groupe parlementaire FDP avait hésité longtemps à s’associer à la demande de mise en place d’une commission d’enquête. Mais la réponse évoquée ci-dessus à la question du groupe parlementaire FDP, fit que ce parti changea d’opinion et le chef de ce groupe, Guido Westerwelle, déclara au Bundestag que «le Gouvernement fédéral, par sa tactique d’occultation, ne nous laisse pas d’autre solution.»

Tactique d’occultation et autosatisfaction gênante

En fait, en lisant la réponse du ministère des Finances à la question du groupe parlementaire FDP, on se heurte à une autosatisfaction gênante («Avec les mesures de soutien, le système financier allemand a été stabilisé.»). A part ça, rien de concret.
L’affirmation que, selon l’opinion du ministère, une «situation menaçante» ne serait apparue qu’après l’effondrement de la banque Lehman Brothers le 15 septembre en dit long. Comme si, avant le 15 septembre, tout avait été dans l’ordre. Il est intéressant de constater que c’est l’actuel vice-président du conseil d’administration de la banque HypoVereinsbank, celle qui n’avait plus rien à payer à partir du 29 septembre 2008 – selon les dires des partis d’opposition – qui a pris part aux négociations concernant l’appui à fournir à la HRE.
On peut lire dans la déclaration de presse du groupe parlementaire FDP du 26 mars que «la HRE est artificiellement maintenu en vie grâce aux garanties étatiques de 87 milliards d’euros. L’opposition reproche, entre autre, au gouvernement d’avoir ignoré les dates de prescriptions au grand dam des contribuables. De plus, on peut se demander si le ministre des Finances Peer Steinbrück (SPD) avait déjà été au courant des difficultés de liquidité de la banque auparavant.» De plus, Steinbrück avait, par sa déclaration que la HRE serait liquidé, rendu difficile les conditions de refinancement de la banque, soit la possibilité de recevoir de nouveaux crédits pour éponger ses dettes.

Décisions erronées, négligences, échappatoires – Steinbrück fait payer cher les contribuables

On ne peut guère prétendre que les partis d’opposition se trompent. Il faut se rappeler que ce même Steinbrück avait été l’objet de forts reproches au sujet de la surveillance de la Westdeutsche Landesbank et de la Deutsche Industriebank IKB, cette dernière étant en fait une banque pour fournir des crédits aux classes moyennes. Dans ces deux cas, les contribuables durent et doivent encore débourser des milliards du fait de décisions erronées. Deux citations vont soutenir cette thèse. En novembre 2007 déjà, Steinbrück avait annoncé que le sauvetage de l’IKB ne coûterait rien aux contribuables («Handelsblatt» du 29/11/07). Un mensonge effronté. Le 21 février 2008, le professeur d’économie de gestion d’entreprise, mais aussi d’économie bancaire et de crédit de l’Université de Würzburg, Ekkehard Wenger, avait reproché, lors d’une interview à la radio N24, au ministre des Finances, concernant l’IKB, une fausse ingénuité et avait exigé sa démission immédiate en tant que membre du conseil d’administration de la banque d’Etat Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), le principal actionnaire de l’IKB. A son avis, Steinbrück aurait eu une responsabilité déterminante dans les désastreuses spéculations de l’IKB. De son côté, le chef du groupe parlementaire «Die Linke», Ulrich Maurer, estima le 4 avril 2008, que «la tentative de Peer Steinbrück de se blanchir dans l’affaire IKB était une tromperie éhontée de la population.» […] «Le gouvernement avait mis en œuvre la KfW pour encourager les affaires de crédit par garantie. Et on peut affirmer qu’il a utilisé sa position de force au sein de l’IKB pour atteindre ce but.» La KfW fut le levier, l’IKB la pointe de la lance et Jörg Asmussen le responsable du projet au ministère.»

On ne souhaite pas que l’enquête aboutisse

Entre-temps, 90% des actions IKB furent vendues, à prix bradé, à Lone Star, la firme américaine d’investissement. Selon la chaîne de télévision ARD du 26 mars, Lone Star a interrompu les examens destinés à enquêter sur les origines et les responsables du désastre de l’IKB, alors que cette enquête était en passe de fournir des informations définitives. Cette décision d’interruption se fit grâce à la majorité des voix de l’investisseur, lors de l’assemblée générale, et cela à l’encontre des petits actionnaires.
Quant à la banque d’Etat KfW, on a appris le 27 mars par Spiegel Online que non seulement elle avait subi un déficit de 6,2 milliards d’euros en 2007, mais que l’année 2008 en avait rajouté 2,7 milliards, dont 2 milliards d’euros pour éponger des pertes spéculatives sur des «papiers valeurs et des dérivés».
La politique allemande est donc loin d’être aussi innocente qu’elle tente de se présenter.

Libre circulation des capitaux jusqu’à l’excès

Ce qui n’étonne pas vu l’idéologie en vogue et la pratique qui en découle: Le secrétaire d’Etat au ministère des Finances, Jörg Asmussen, (l’éminence grise de Steinbrück) a exprimé dans un article paru en octobre 2006 qu’il était favorable aux spéculations financières. Il écrivit dans la revue «Zeitschrift für das gesamte Kreditwesen» que le marché pour les Asset Backed Securities (ABS) se développait très positivement en Allemagne. Il fallait que le ministre des Finances veille à ce que «les instituts ne soient pas soumis à des obligations de surveillance et de documentation inutiles lorsqu’ils investissent dans des produits ABS usuels et bien notés». Les Asset Backed Securities, ce sont avant tout des produits du marché financier hautement spéculatifs qui ont grandement contribué au désastre actuel.
Et lorsqu’on y regarde de plus près on réalise que c’est l’UE qui avait pris les devants avec ses directives en faveur de la libre circulation des capitaux jusqu’à l’excès, l’une des raisons du marasme actuel. Et ce fut le gouvernement rose-vert de Schröder/Fischer qui avait supprimé toutes les barrières destinées à retenir les spéculateurs du marché financier.
En cela, il imita le gouvernement démocrate de Bill Clinton, dans lequel se trouvait déjà l’actuel ministre des Finances d’Obama, Timothy Geithner, ainsi que le conseiller national en économie d’Obama, Lawrence Summers. Michel Chossudovsky, professeur d’économie canadien, avait attiré l’attention sur ces faits dans un article paru dans «Horizons et débats» no 49 du 8/12/08 («Les artisans de la débâcle économique continuent leur besogne au sein du gouvernement Obama»).

Le SPD suit les traces d’Obama – dans quelle direction?

Le SPD se montre particulièrement prêt à s’adapter au nouveau gouvernement américain. Son secrétaire général Heil veut mener le parti vers les prochaines élections avec le fameux, mais creux slogan d’Obama «Yes, we can». Quand au candidat socialiste à la chancellerie allemande, l’actuel ministre des Affaires étrangères Steinmeier, il a écrit une lettre, début janvier, au nouveau président américain, en lui passant la brosse à reluire: «Vous avez redonné un élan au rêve américain, objet de l’admiration depuis plus de 200 ans d’une multitude de gens dans le monde. […]. J’ai maintenant 53 ans et jamais tout au long de ma vie je n’ai vécu autant d’espoir lors de l’intronisation d’un président américain. […] Vous avez enthousiasmé les gens aux Etats-Unis, et bien au-delà, pour un nouveau départ vers un avenir commun. […]. Nous pouvons ensemble redessiner le monde du XXIe siècle. […] Accordez-nous de préparer un ‹nouvel agenda transatlantique› et de lui donner vie.»
L’année 2009 est celle des élections au Bundestag. Les socialistes espèrent se renforcer en se plaçant du côté d’Obama. Mais que veut ce dernier? Pour quels objectifs américains le SPD pourrait être engagé? Pour un programme aux dépenses somptuaires servant d’abord au monde financier ainsi qu’à l’industrie de l’armement? (cf. «Horizons et débats» no 11/12 du 30/3/09) Pour les guerres futures? Pour maintenir la domination américaine sur le monde? Avec le SPD comme dirigent des vassaux d’une grande puissance allemande?
Angela Merkel a soutenu son ministre des Finances, contre les voix de son propre parti et de son propre camp, tout en attaquant les libéraux, ce qui semble avoir déterminé le FDP à appuyer la demande de mise en place d’une commission d’enquête.
Est-ce que Angela Merkel veut se main­tenir au pouvoir à la tête d’une nouvelle coalition entre elle et le SPD au service de la politique américaine? Voilà bien des question qui demandent réflexion.    •