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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°45, 22 novembre 2010  >  La Suisse ne doit pas être morcelée en bantoustans [Imprimer]

La Suisse ne doit pas être morcelée en bantoustans

ts. La Suisse est une oeuvre d’art filigrane, construite de bas en haut. Issue de coopératives, comme par exemple la Oberallmei-Korporation vieille de plus de 1000 ans, et d’autres, les communes jouissaient longtemps avant la fondation de notre Etat fédéral en 1848 d’une large autonomie. Le principe et la préoccupation de base de nos ancêtres a toujours été: Ce qu’on peut maîtriser au niveau inférieur y sera exécuté de façon autonome. Ce n’est que s’il faut l’engagement de forces qui dépassent celles d’une commune qu’on recourra au niveau supérieur, c’est-à-dire au canton. Une fois que les cantons ne s’en sortent plus tout seuls pour régler un problème, on en appellera à la Confédération. Ce principe s’appelle le principe de subsidiarité; il constitue un pilier de base de notre système communautaire et il fait partie des raisons du grand succès du modèle suisse.
Ainsi, les décisions sont toujours axées sur la réalité et elles peuvent être exécutées directement par tous les participants directement concernés. L’organisation de communes en groupements d’intérêts communs avant de recourir au canton a fait ses preuves et elle garantit ici aussi un processus d’élaboration de solutions répondant aux besoins de tous les acteurs directement concernés. Afin que l’interaction des cantons n’aboutisse pas à ce que les faibles soient escroqués par les forts, les fondateurs de notre Confédération ont introduit l’idée du fédéralisme dans la Constitution. Lors de toutes les votations importantes, pour protéger les minorités et les diverses composantes du pays, on détermine ainsi la majorité du peuple autant que celle des cantons.
Etant donné qu’il serait apte à désamorcer bien des conflits dans les pays de ce monde et à les faire aboutir à une solution pacifique, ce modèle de règlement pacifique d’une nation due à sa propre volonté est constamment étudié avec grand intérêt par d’autres pays. En tant qu’Etat national, la Confédération forme le lien rassembleur autour des cantons et doit garantir le cadre d’une paisible vie commune, d’une économie prospère et d’une défense adéquate contre l’avidité de l’extérieur.
La Suisse, ce joyau d’un modèle de paix et de succès est depuis quelque temps la victime d’attaques venimeuses de l’extérieur. A la fin des années soixante, c’étaient les attaques ouvertes d’une communauté estudiantine d’une génération d’abondance qui se donnait des airs de révolution culturelle. Dans les années nonante, l’offensive provenait de la côte Est des Etats-Unis dont le but était de briser le sentiment d’amour-propre national des Suisses, flanquée par une complaisante cinquième colonne à l’intérieur qui mit en scène une innommable distorsion de l’histoire. Mais comme la population suisse ne se laissa impressionner ni par le chant des sirènes ni par les menaces du projet US-UE et ne se laissa pas détourner de son droit chemin, on recourut à des opérations plus occultes. Car les Suisses sont mal préparés à une démarche malhonnête, retorse et sournoise.
Qui pense à mal quand il entend les mots «parc naturel» lors qu’il s’agit de la nature, des conditions de circulation et de constructions de lotissements? Qui s’imagine que des planificateurs agressifs pensent en termes d’années, si ce n’est de décennies? Qui soupçonne de mauvaises choses quand on conçoit ici un parc, là un parc, ici un lieu de vacances, là une agglomération, ici un couloir de circulation, là une bande urbaine contiguë? Sont-ce là des événements fortuits qui se développent par hasard en même temps, mais n’ont rien à voir ensemble? Qui pense à mal au mot «entrée du parc» ou en lisant le paragraphe du contrat du parc qui parle de supprimer des bâtiments, de raser des PME ou des villages entiers? Qui pense, en entendant parler d’aménagement de corridors de transports, à des voies de transit pour des groupes de populations choisies? Ou lors de l’aménagement de centres touristiques alpins à la mainmise sur notre château d’eau?
Un regard sur l’histoire montre que tout à fait à l’identique, bien des choses très différentes ont évolué de façon rampante. Une population indigène dont les droits furent de plus en plus restreints, en lui faisant toujours miroiter le souci pour la nature et la vie commune des gens. Et ceci durant des décennies. «Petty Apartheid» et «Grand Apartheid» nommait-on un processus tout à fait sem­blable dans un pays de l’autre côté de l’équateur. Séparer, exclure, pour le bien de tous, telle était l’imposture. Exploiter, profiter, dénier la réalité. On appelait bantoustans les régions de colonisation des anciens indi­gènes qui devaient vivre dans une mosaïque de coins perdus, séparés les uns des autres.
Apartheid était l’expression dans la langue des immigrants pour la mise à l’écart des humains à la peau noire. Là aussi il y avait des entrées de parc. Et où on planifie des entrées, il faut aussi des barrières ou des murs, sinon une entrée ne serait pas une entrée. Mais qui pense au mal en voyant des termes aussi anodins? Et qui pense donc en termes de cinquante ans et plus? Est-ce que ce qui débute de manière anodine peut se terminer différemment?
Le regard sur l’histoire nous donne une idée ou une autre. Il n’y a pas besoin d’aller jusqu’à commencer par l’œuvre de conquêtes du mégalomane Alexandre le Grand qui laissa partout des villes à son nom sur ses voies de conquêtes de Macédoine en Inde, Alexandrie ici, Alexandrie là. Qui pense à la construction de l’Empire britannique où bien des choses débutèrent de façon anodine? Colonialisme, impérialisme, on connaît les termes, mais pas en Europe voyons! Certainement pas en ce qui concerne les victimes. Bon, il y a là la folie du Plus Grand Maréchal de tous les Temps (= Hitler), qui voulait soumettre l’Europe entière. L’empire soviétique. De nos jours, la mainmise sur les trésors des peuples par la voracité néolibérale, la mainmise sur le service public, la voracité des hedgefonds pour la fortune du peuple. Que rappelait l’ancien président des Etats-Unis Jimmy Carter dans une interview à la NZZ («Neue Zürcher Zeitung» du 11 novembre)? L’enfermement derrière un mur de tout un peuple, l’anéantissement de villages de bédouins pour planter des arbres, la construction de routes qui ne peuvent être utilisées que par un des groupes de population. L’érection de check-points, de tours de garde, la déviation de l’eau vers leur propre territoire. Un Etat d’«Apartheid» selon Jimmy Carter.
Mais qui réfléchit de cette manière? D’un autre côté: un individu agissant dans l’ombre a-t-il jamais communiqué ouvertement ses intentions? Justement pas. Sinon il ne serait évidemment pas un individu agissant dans l’ombre.
Il serait facile de dire, attendons, laissons se développer les parcs naturels, on verra bien. Mais pourquoi ne pas faire obstacle dès le début? On s’économise bien des peines! Et puisque les parcs naturels ne changent de toute façon rien, comme les promoteurs ne cessent de le dire, pourquoi alors ne pas y renoncer? Les générations montantes nous seront reconnaissantes et ne nous poseront pas de questions embarrassantes aux­quelles nous devrons répondre honteusement que nous avons signé quelque chose sans avoir su de quoi avait l’air ce qui était écrit en petites lettres. Pour franchir dignement le présent, il faut prendre des précautions et ne dire oui à rien qui n’aurait été bien pesé.     •