Horizons et débats
Case postale 729
CH-8044 Zurich

Tél.: +41-44-350 65 50
Fax: +41-44-350 65 51
Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains Journal favorisant la pensée indépendante, l'éthique et la responsabilité
pour le respect et la promotion du droit international, du droit humanitaire et des droits humains
18 juillet 2016
Impressum



deutsch | english
Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°20, 25 mai 2010  >  Un exemple éclatant pour banquiers et politiciens [Imprimer]

Un exemple éclatant pour banquiers et politiciens

«Vehdokter Ruedi»: le vétérinaire et philanthrope Rudolf Trachsel

par Heini Hofmann*

C’était un représentant remarquable de sa profession, le vétérinaire de Rüeggisberg, Rudolf Trachsel (1804-1894). Mais il n’était pas seulement praticien à succès et conseiller de l’Ecole vétérinaire à Berne; il s’est aussi engagé dans la politique de sa commune et du canton. C’était un grand philanthrope qui a apporté de la lumière dans «l’Asile du canton de Berne».

Aujourd’hui il serait peut-être honoré du prix Nobel de la paix; car il a fait pratiquement la même chose que le lauréat de 2006, le professeur d’économie Junus, «Banquier des pauvres» au Bangladesh: Il a combattu activement et avec succès la pauvreté et la misère en apprenant aux gens à faire des économies, et à cette fin il a fondé à Rüeggisberg, il y a 175 ans, la première banque de la région.

Une époque mouvementée

C’était l’époque des grands bouleversements politiques; la première moitié du XIXe siècle a apporté plus de changements politiques, économiques, techniques et sociaux que les deux siècles précédents. Quelques années avant la naissance de Trachsel, en 1798, l’Ancien régime s’est effondré. Il a été suivi de la République helvétique centraliste, sous l’in­fluence de l’étranger, puis de la Médiation par la grâce de Napoléon avec le retour au fédéralisme d’avant. Avec la Restauration en 1815, la situation d’avant 1798 a refait surface.
C’est seulement avec la Régénération à partir de 1830 que le peuple a acquis davantage de possibilités de participation: En 1831, les libéraux ont imposé contre l’opposition des conservateurs, une révision de la Constitution cantonale; le résultat fut une démocratie représentative avec le Grand Conseil comme représentation du peuple. L’agricul­ture était également en mouvement; les paysans sont devenus les propriétaires du sol, au lieu d’être de simples travailleurs de la terre, assujettis à l’impôt. C’est en cette époque passionnante que le vétérinaire, politicien et philanthrope engagé a été actif.

Mort prématurée du frère médecin

Politiquement, le vaste territoire de la commune de Rüeggisberg comprenait plusieurs districts et hameaux. C’est dans un de ces hameaux que le vétérinaire Trachsel a grandi, dans la Bungerte (Baumgarten) près de Niederbütschel. Son père déjà, le paysan Kaspar Trachsel, a fait preuve de clairvoyance. Après la construction de la première fromagerie à Kiesen en 1815, il a construit la première fromagerie à Rüeggisberg également.
Le père Trachsel avait trois filles et trois fils. Le cadet, Peter, a repris la ferme parentale (à noter que celle-ci est encore dans les mains d’un des descendants de la famille). L’aîné, Kaspar, a étudié la médecine et il avait son cabinet dans le Stöckli des parents, directement au-dessus de la fromagerie. A part ça c’était un botaniste passionné. Il a publié des études fondamentales sur la flore alpine et a joui d’une renommée européenne; malheureusement il est décédé à l’âge de 44 ans, suite à un accident cérébral.

La médecine des animaux au lieu du charlatanisme

Après neuf ans d’école primaire à Niederbütschel et après avoir aidé à la ferme, Ruedi a commencé à 22 ans des études à Berne, à une époque où la médecine animale s’est détachée du charlatanisme et professionnalisée (il y prendra plus tard une part active). Les promoteurs de ce développement étaient les épidémies animales qui sévissaient périodiquement et l’importance croissante de l’élevage d’animaux de rente.
Alors que dans le temps, les vétérinaires apprenaient leur métier chez un praticien qui leur donnait un certificat après un temps d’apprentissage, cela a changé avec la fondation des écoles vétérinaires à Berne (1805) et à Zurich (1820). Au début, la médecine animale n’était qu’une section de la médecine humaine et elle ne s’en est émancipée que peu à peu. C’est à cette époque que le jeune Rudolf Trachsel a fait ses études. Un de ses professeurs à l’école vétérinaire était Matthias Anker, l’oncle du peintre exceptionnel Albert Anker, issu lui-même d’une dynastie de vétérinaires, car déjà le père, le grand-père et l’arrière grand-père avaient exercé la médecine animale.
Après les études (de deux ans à l’époque) Rudolf Trachsel a reçu le certificat avec mention et il a ouvert son premier cabinet en 1828 – à l’âge de 24 ans – directement à côté du cabinet de médecin de son frère dans la Bungerte. Un an plus tard seulement, il a encore acquis le certificat de médecin pour les chevaux de l’armée et il a épousé la fille de paysans Elisabeth (Bethli) Scheuner. De ce mariage heureux – qui n’a pas été épargné de lourds coup du destin –, sont issus pas moins de quatorze enfants dont trois sont morts peu après la naissance.

Le métier comme vocation

Rudolf Trachsel, appelé aussi «Dokterrüedu», était un vétérinaire apprécié et aimé sur le plan professionnel, lequel, après le décès prématuré de son frère médecin, a souvent aussi été appelé pour l’aide médicale et comme dentiste. Et il a été fidèle toute sa vie à l’école vétérinaire: Pendant plus de deux décennies comme président de la commission de contrôle et membre du comité sanitaire ainsi que président de la commission d’examens des maréchaux-ferrants, dont la profession avait jadis une grande importance.
En plus de ses activités strictement professionnelles dans la région escarpée et peu praticable où il exerçait (il avait installé son cabinet dans son domaine de Niederbütschel, récemment acquis) qu’il parcourait à pied, à cheval ou en calèche dès l’aube et jusque tard le soir, il s’adonnait à des travaux scientifiques (il existe plusieurs ouvrages de lui aux Archives suisses de médecine vétérinaire) et il a fortement contribué au développement de l’Ecole vétérinaire nouvellement créée.

Engagement bénévole

Etant une personnalité capable, réfléchie et philanthrope, il a été appelé partout, il a exercé plusieurs fonctions bénévoles dans la commune, le district et le canton. Ainsi il a été syndic plusieurs années, juge de paix pendant 40 ans et président de la commission scolaire et du Conseil de paroisse.
Dans le district de Seftigen, il a servi pendant quinze ans comme sous-préfet, pendant qua­rante-cinq ans comme membre du Grand Conseil du canton de Berne en en devenant même deux fois  président de par son ancienneté. Il a donné des impulsions importants au sein du Conseil constitutionnel bernois et pour l’élaboration d’une nouvelle loi pour les pauvres. Et tout cela en une période mouvementée et passionnante, lorsqu’en 1848 le pays s’est mué d’une alliance d’Etats en une Confédération.

Grande misère et pauvreté

Au XIXe siècle, le Schwarzenburgerland et la région de Rüeggisberg étaient connus comme «l’asile des pauvres» du canton de Berne. Le paysage vallonné, avec les fermes éloignées et isolées, a engendré une population renfermée, d’abord hostile à toute idée nouvelle. Pour cette raison, la modernisation de l’agriculture n’a été acceptée que peu à peu. De plus, le mauvais temps, les mauvaises récoltes et les épidémies ont causé des années de famine, et cela a conduit à l’endettement, au désespoir et à l’abandon, et en conséquence à la mendicité et à l’alcoolisme – un cercle vicieux.
Dans aucune autre commune du district de Seftigen ne vivaient autant de pauvres qu’à Rüeggisberg au début du XIXe siècle. Tous les jours le vétérinaire très pris a vu de près la misère humaine, souvent plus grande que les souffrances des animaux, et comme syndic il s’est inquiété de ce fardeau grandissant de la pauvreté. Avec la création d’une caisse d’épargne, il a voulu encourager les pauvres et les sans-espoir à l’économie, et avec elle leur apprendre à s’aider eux-mêmes.

Un hold-up avec happy-end

Grâce à son énergie et à sa réputation, il a réussi à fonder en 1835 la Ersparnis­kasse Rüeggisberg (Caisse d’épargne) qui ­existe toujours. Et cela avec des règles claires: Dépôt minimum de 3 batz, le bien maximal ne devait pas dépasser 1000 francs bernois. Le taux d’intérêt était de 3 pour cent et il existait un fond de caution de 10 000 francs pour d’éventuelles pertes. Pendant près de 50 ans (!) Rudolf Trachsel fut le président du Conseil d’administration de cette banque pionnière.
Mais d’un coup – alors qu’il s’était retiré pour cause d’âge, une chose horrible s’est produite: En 1885, juste 50 ans après sa fondation, le caissier Friedrich Binggeli s’en est allé avec presque tout l’argent comptant et s’est enfui en Amérique où il n’a pas pu être appréhendé, mais d’où il a au moins encore écrit une carte ­postale… Alors tout le travail constructif était en jeu, et pour cette raison on a de nouveau fait appel au vieux Trachsel qui a en effet réussi à sauver la banque et avec elle l’œuvre de sa vie.

Coups du destin et lueur d’espoir

Dans le privé, le professionnel à succès, le politicien et bienfaiteur a également dû encaisser plusieurs coups du destin. En 1876 sa femme aimée, Bethli, est décédée; sans son soutien dévoué, il n’aurait jamais pu réussir son œuvre. Trois ans plus tard, en 1879, le vieux père a dû ramener à la maison son fils Daniel, mort d’une chute de la Bürglenfluh. Et en 1888 une de ses filles, Elisabeth, fut assassinée à Oberlindach lors d’un rapt brutal. Lorsque le vétérinaire Rudolf Trachsel est décédé lui-même en 1894 à l’âge de 90 ans d’une attaque d’apoplexie, 7 de ses 14 enfants étaient encore en vie.
Et une autre chose lui a survécu: L’amour de son métier; car un de ses fils, qui s’appelait aussi Rudolf, a poursuivi le travail dans son cabinet et son fils Karl est aussi devenu vétérinaire. C’est même jusqu’aujourd’hui que ses descendants sont restés fidèles à la médecine vétérinaire.
Dans la discussion actuelle sur les arnaques des banques, le philanthrope Trachsel nous apparaît comme un exemple éclatant pour banquiers et politiciens. Si à l’époque le prix Nobel de la paix avait déjà existé, le vieux docteur des animaux, le politicien, fondateur de banque et philanthrope Trachsel en aurait été un digne candidat. Mais probablement que le «Docterrüedu» n’aurait pas voulu de cette attention liée à sa personne.    •
(Traduction Horizons et débats)

*    L’auteur a été vétérinaire de zoo et de cirque et il travaille aujourd’hui comme publiciste scientifique libre; le docteur des animaux Trachsel a été son arrière-grand-père.

Théâtre en plein air
hh. En été 2010 sera présentée à Rüeggisberg, dans le Mittelland bernois, une pièce de théâtre en plein air sur la vie et le travail du vétérinaire et humaniste Rudolf Trachsel, écrit et dirigé par Urs Hirschi de Belp. Cette pièce sera présentée au milieu du village avec en coulisse une ancienne ferme de caractère historique. Car la fille aînée du vétérinaire et son mari Friedrich Hofmann, également issu d’une bonne famille de Rüeggisberg et qui fut plus tard nommé Préfet de Seftigen [une autre commune du canton de Berne] habitèrent dans cette même ferme. L’un de leurs petits-fils était le poète du terroir Hermann Hofmann de Uetendorf [village bernois].
Une pièce de théâtre historique, joyeuse et contemplative qui, en cette période de crise, donne à réfléchir et pourrait servir de leçon aux banquiers et politiciens.
www.vehdokter.ch
(Traduction Horizons et débats)