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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°49, 12 décembre 2011  >  Nous sommes les voisins désemparés des émeutes orientales [Imprimer]

Nous sommes les voisins désemparés des émeutes orientales

 

par Peter Scholl-Latour

L’Europe se trouve pleine d’illusions face aux événements dans les pays arabes tandis que la Turquie élargit son influence. Un axe Ankara–Le Caire menace d’être créé.

Au-delà de la Méditerranée et dans tout l’Orient, une série éblouissante de bouleversements politiques qu’on a appelée avec grand espoir «le printemps arabe» s’est faite face à laquelle les Européens sont désemparés. Ce n’est pas dans mon intention de décrire ici les événements récents dans tous leurs détails. Je voudrais plutôt esquisser un instantané de l’état actuel de la soi-disant «arabellion». En regardant de plus près, l’enthousiasme occidental initial du «printemps arabe» se troublera rapidement.
Pour commencer par la Tunisie: Là s’annonce, dans une myriade de fondations de partis, le mouvement traditionnel islamique «En Nahda» – élan ou renouveau – selon les sondages la formation la plus importante.
En Egypte, c’est le ministre de la Défense de l’ancien dictateur Moubarak, le feldmaréchal Tantawi, qui a pris le pouvoir, et l’euphorie de la place Tahrir a reçu une douche froide. C’est du résultat des élections annoncées que dépend si l’organisation sévère des frères musulmans pourra s’avérer comme la force politique la plus importante. Ce n’est pas encore visible quelle relation s’établira entre l’Islam politique et l’armée, habituellement la force dominante.
A l’heure actuelle, ce n’est pas encore tranché si la Libye, par des controverses tribales et la dispute sur les rapports entre l’Etat et la religion, va être portée vers une guerre civile.
De même, encore plus important, pour la République arabe qu’est la Syrie, où l’éviction du président Baschar al-Assad et de ses frères alaouites entraînerait des conséquences imprévisibles.
Bizarrement, dans l’alliance occidentale, aucune voix importante ne s’est élevée pour mettre au pilori la dynastie extrêmement réactionnaire et intransigeante de l’Arabie saoudite bien qu’il se soit avéré que les groupes terroristes d’Al-Qaida sont issus des rangs des Wahhabites fanatiques qui y exercent la plus haute autorité religieuse.
Aucune voix de protestation ne s’est élevée contre l’invasion contraire au droit humanitaire international de l’île Bahreïn par les colonnes de blindés saoudites. Là, les prêcheurs occidentaux des droits de l’homme et du libre plébiscite se retranchent, jusqu’ici, dans le mutisme hypocrite habituel.
Est-ce qu’il faut s’étonner qu’un haut fonctionnaire du front national de libération qui avait, à l’époque conquis l’indépendance algérienne envers la France, venant en aide à Kadhafi, alors encore à Tripoli, en s’exclamant, devant la caméra: «Que Allah maudisse la démocratie». Une exclamation que l’Occident éprouve comme blasphème.
A la place, un tout autre personnage – comme un magicien puissant et porteur d’espoir – est apparu sur le plan. Le chef du gouvernement turc, Erdogan a rendu visite aux scènes de «l’arabellion». Il avait, comparé aux hommes politiques européens, l’immense avantage de pouvoir s’incliner vers la Mecque, au milieu d’une masse émue de musulmans croyants lors de la prière commune. Soudainement, on a vu émerger un nouveau rôle important de la Turquie, et Erdogan, paraît-il, veut renouer avec la grandeur de l’Empire ottoman. On parle déjà d’un axe Ankara–Le Caire.
En Arabie saoudite, du souvenir des expéditions punitives du début du 19e siècle, pourrait émerger que le vice-roi et khédive Mohammed Ali d’Egypte, sous l’ordre du sultan et khalife d’Istanbul, les avait en fait envoyées contre les émeutes des bédouins de la secte des Wahhabites dans le désert du Nedjd. Ces guerriers du désert, dont la dynastie de la famille al-Saud est issue, étaient alors soupçonnés de vouloir occuper les lieux saints de la Mecque et de Médine.
Si, dans l’avenir, devait se développer une communauté d’intérêt entre la Turquie et l’Egypte contre l’Arabie-Saoudite, il ne s’agirait pas de la Kaaba et du tombeau du prophète, mais de la richesse énorme de pétrole de ce royaume. De cette richesse qui, jusqu’ici, a servi à faire chanter et à corrompre impudemment tous ces Etats, les Etats-Unis avant tout, dont le besoin d’énergie est insatiable.
Certes, ce sont des spéculations. Les Américains pourront, en cas de retournement conséquent de leur sphère d’influence au proche Orient, procéder à un changement de leur centre de gravité vers le Pacifique ou retomber dans un isolationnisme qui fut assez longtemps la ligne directrice de leur politique extérieure.
Pour les Européens, cependant, voisins directs de ces émeutes orientales, le passage du printemps arabe ou de l’automne arabe à un hiver arabe glacial deviendrait une charge que le continent divisé ne serait, et de loin, pas capable de gérer. L’Occident n’est en aucun cas armé pour faire face aux incertitudes arabes avec sérénité, en connaissance de cause, et aussi avec toute la sympathie qui s’impose.     •
Première parution dans le magazine Focus, 43/2011; reproduction avec l’aimable autorisation de l’auteur
(Traduction Horizons et débats)