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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°45, 22 novembre 2010  >  Atteinte imprudente au fédéralisme [Imprimer]

Atteinte imprudente au fédéralisme

Non à l’initiative fiscale centraliste

par Ulrich Cavelti*

Le régime financier est un pilier central de la Suisse fédéraliste. L’initiative socialiste «pour des impôts équitables» occulte totalement le fait qu’une harmonisation fiscale matérielle répond à des principes constitutionnels valables uniquement dans un Etat unitaire.

En 1974 déjà, le conseiller national Hans Letsch avait déploré le fait qu’on attendait d’une harmonisation fiscale à peu près tout ce qui était imaginable en matière fiscale et financière: la rationalisation du système fiscal, l’assainissement des budgets publics, une plus grande justice fiscale, une efficacité en matière de politique conjoncturelle, de meilleures bases pour la péréquation financière. Il semble que l’initiative du PS veuille réfuter la thèse – considérée comme irréaliste pas Hans Letsch – selon laquelle une harmonisation fiscale apporterait plus de justice.

L’autonomie fiscale, principe fondamental

La compétence en matière de règlementation fiscale autonome est un des principes fondamentaux de l’indépendance politique et du fédéralisme. «Le fédéralisme consiste dans l’équilibre – garanti par la Constitution – entre l’autonomie et la codécision» (Thomas Fleiner). En Suisse, l’autonomie cantonale prime sur la codécision. La répartition des compétences entre la Confédération et les cantons constitue l’essentiel des rapports verticaux et le régime financier en est l’élément central. Selon la Constitution, les compé­tences de la Confédération sont restreintes par la limitation des objets imposables, les taux d’imposition maximums et les délais.
L’harmonisation formelle inscrite dans la Constitution n’a pas pour objectif de niveler les différentes charges fiscales. C’est la péréquation financière entre les cantons qui sert à cela. En outre, la Confédération est habilitée à «légiférer contre l’octroi d’avantages fiscaux injustifiés» (art. 129 de la Constitution fédérale), cette compétence ayant été élargie par rapport à l’ancienne Constitution.
L’article 3 de la Constitution stipule que «les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale» est l’article fondamental concernant le principe fédéraliste. Selon le Rapport sur le fédéralisme, le concept d’une souveraineté répartie est inhérent à la Confédération. Sans la souveraineté cantonale en matière fiscale, le fédéralisme et la «réserve constitutionnelle» en matière de compétences de la Confédération seraient illusoires. Toutefois, la souveraineté fiscale des cantons n’est pas illimitée. Les principes de l’imposition, universalité et égalité de traitement, ainsi que celui de l’imposition selon la capacité économique, l’harmonisation formelle et les directives contre l‘octroi d’avantages fiscaux injustifiés limitent efficacement le dumping fiscal. Il est évident qu’il existe une relation conflictuelle entre l’harmonisation du droit et l’autonomie cantonale. Plus l’autonomie cantonale est grande, plus l’harmonisation du droit est limitée.
L’harmonisation fiscale matérielle vise à garantir l’absence de concurrence en faisant que les communes aux impôts peu élevés n’aient plus d’avantage économique. Le principe de «neutralité de la concurrence» exige qu’il n’y ait pas, à l’intérieur du territoire sur lequel s’exerce la souveraineté, des avantages propres à créer des distorsions de concurrence. Ainsi, l’harmonisation fiscale matérielle fondée sur le postulat de la «neutralité de concurrence» équivaut-elle pour les communes et les cantons à renoncer à leur souveraineté et à la transférer à la Confédération.

La Suisse n’est pas un Etat unitaire

L’harmonisation fiscale matérielle opère selon des principes constitutionnels valables uniquement dans un Etat unitaire. Tant qu’on accepte le fait que la Suisse est un Etat fédéral composé de collectivités territoriales autonomes en matière de compétences législatives, les postulats dérivés du principe d’égalité de traitement ne valent qu’à l’intérieur de ces collectivités. Leur extension abusive au domaine fiscal néglige le fait qu’alors aussi bien les collectivités riches que les collectivités pauvres devraient être soumises au contrôle de l’Etat. Cela créerait automatiquement un Etat centralisé.
L’«initiative pour des impôts équitables» du PS néglige totalement cette probléma­tique. Affirmer que seuls 0,4% des contribuables seraient concernés par l’initiative est absurde. Comme le Conseil fédéral l’a expliqué dans son message, dans le domaine de l’impôt sur le revenu, 12 cantons seraient partiellement ou totalement concernés par l’initiative, ce qui représenterait 22,5% des contribuables. Dans l’imposition de la fortune, les taux marginaux de 14 cantons sont totalement ou partiellement inférieurs à ceux autorisés par l’initiative (base: 2008). Selon les calculs de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de finances, si l’initiative était acceptée, 16 cantons dont les taux marginaux sont aujourd’hui partiellement ou totalement en dessous de l’imposition minimale devraient modifier leur politique fiscale. La raison en est – ce que les initiateurs ne disent pas – qu’en fonction de l’imposition selon la capacité économique, l’augmentation de la charge doit continuellement augmenter quand le revenu augmente et donc que la courbe de progression ne doit pas présenter d’angles ni de sauts. En conséquence, l’initiative limite nettement l’autonomie des cantons, car ils ne pourraient plus fixer librement leurs impôts.
L’autonomie financière des cantons est une condition fondamentale de l’accomplissement indépendante de leurs missions. L’élément essentiel est la compétence des cantons de lever les impôts de manière indépendante. Cette compétence est un pilier fondamental du fédéralisme suisse. Y porter atteinte revient à ébranler ce principe fondamental de l’Etat.    •
(Traduction Horizons et débats)

*    Ulrich Cavelti est titulaire de la chaire de droit public de l’Université de Saint-Gall et conseiller de la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances.