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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°35/36, 25 novembre 2013  >  En 2002, le gouvernement américain a forcé le directeur général de l’Agence de contrôle des armes chimiques de l’UE à démissionner [Imprimer]

En 2002, le gouvernement américain a forcé le directeur général de l’Agence de contrôle des armes chimiques de l’UE à démissionner

par Marlise Simons (Paris)

thk. Les débats actuels concernant l’écoute sauvage d’Etats étrangers par les Etats-Unis et l’indignation feinte de certains gouvernements, nous montrent que l’honnêteté n’a plus aucune valeur dans la grande politique. Les intérêts de pouvoir dominent les contacts avec les Etats «amis». Tout ce qui sert à maintenir son pouvoir est permis. Des dizaines d’années plus tard, quand les archives s’ouvrent, que les personnes concernées osent parler ouvertement et que les médias se permettent de donner la parole à ceux qui ne hurlent pas avec les loups, le citoyen lambda se frotte les yeux en étant soudainement confronté à la réalité. La liste des mensonges, des intrigues, des opérations sous fausse bannière est longue. Tout un chacun qui se rappelle des raisons avancées pour lancer la guerre des Balkans de 1999, la guerre d’Irak de 2003 ou l’agression contre la Libye de 2011 se souvient certainement de ce qu’on nous avait raconté à ces occasions-là.
Dans le contexte des pays précités, l’article paru dans l’«International Herald Tribune» soulève un autre chapitre mensonger de la politique américaine. Peut-être qu’un jour les citoyens que nous sommes, réussiront à intégrer tous ces évènements dans nos réflexions avant de nous faire à nouveau avoir par le prochain mensonge ordonné par un Etat.
Plus d’une décennie avant l’attribution du Prix Nobel de la Paix, la semaine dernière [le 11 octobre], à l’Agence internationale de contrôle des armes chimiques, un diplomate américain haut placé, John R. Bolton, s’invitait dans le bureau du directeur général de l’agence pour l’informer qu’il serait viré.
«Il m’a dit que j’avais 24 heures pour démissionner,» rappela José Bustani, qui était alors directeur général de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) basée à La Haye. «Et si cela n’était pas fait, j’aurais à en subir les conséquences.» M. Bustani, le premier directeur de l’agence, avait été réélu unanimement 11 mois plus tôt. M. Bolton qui était alors le sous-Secrétaire d’Etat pour le contrôle des armements, lui déclara que l’administration Bush était mécontente de sa gestion. Quelques semaines plus tard, en avril 2002, après une intense campagne menée par Washington, M. ­Bustani était évincé de son poste au cours d’un vote lors d’une session spéciale.
L’histoire réelle de cette éviction a fait l’objet d’interprétations et de spéculations pendant des années et M. Bustani, un diplomate brésilien, a adopté une attitude discrète depuis lors. Mais avec l’agence sous le feu des projecteurs suite à l’attribution du Prix Nobel, M. Bustani a consenti à donner, ce qui selon lui, était la vraie raison: la crainte de l’administration Bush que des inspections d’armes chimiques en Irak rentrent en conflit avec les arguments avancés par Washington pour l’envahir.
Plusieurs officiels impliqués dans ces événements, certains abordant publiquement ce sujet pour la première fois, ont confirmé sa version.
M. Bolton, qui a mené la campagne contre M. Bustani, prétend toujours qu’il avait été relevé pour incompétence. Dans une conversation téléphonique, il a confirmé qu’il avait affronté M. Bustani. «Je lui ai dit que s’il partait volontairement, nous lui accorderions une sortie honorable,» mais M. Bustani n’en a pas voulu ainsi, déclara M. Bolton.
Mr. Bustani raconte que cette campagne contre lui avait commencé à la fin de 2001, après que l’Irak et la Libye lui avaient fait savoir qu’ils désiraient adhérer à la Convention sur les armes chimiques, le traité international que supervise l’agence de contrôle, et que les inspecteurs avaient alors en projet une visite en Irak en janvier. Pour être membre, les pays ont l’obligation de fournir une liste des stocks de ces armes et d’accepter des inspections puis leur destruction, comme cela a été fait par la Syrie le mois dernier après sa demande d’adhésion. «Nous étions en train de réunir une équipe – et nous avions de nombreuses discussions parce que nous savions que ce serait difficile», nous déclara vendredi, dans son bureau à l’ambassade de Paris, M. Bustani qui est actuellement l’ambassadeur du Brésil en France.
Ces projets, qu’il avait transmis à un certain nombre de pays, «ont causé une levée de boucliers à Washington», nous déclara-t-il, et dans la foulée M. Bustani recevait des avertissements d’Américains et d’autres diplomates. «Vers la fin de décembre 2001, il était devenu évident que les Américains voulaient se débarrasser de moi». «Les gens me disaient, ‹ils veulent votre tête.›»
M. Bolton rendit visite à M. Bustani une deuxième fois, lui demandant de démissionner. «J’ai essayé de le persuader de ne pas soumettre l’organisation à un vote», a déclaré M. Bolton.
Quand M. Bustani a refusé, son sort était scellé. Les Etats-Unis avaient rassemblé leurs alliés et au cours d’une session extraordinaire, M. Bustani était évincé par un vote de 48 en faveur et 7 contre, avec 43 abstentions. Il était le premier responsable d’une organisation internationale à être débarqué de son poste de cette façon et quelques pays ont dit que la campagne des pressions avait été très désagréable.
L’administration de M. Bolton avait aussi fait circuler un document accusant M. Bustani de comportement caustique et prenant «des décisions irréfléchies» sans consulter les Etats-Unis et les autres nations membres, ont déclarés des diplomates. Dans un entretien téléphonique, M. Bolton a insisté samedi pour dire que l’éviction de M. Bustani avait été nécessaire seulement «parce qu’il était incompétent et qu’il n’utilisait pas avec efficacité les ressources de l’organisation.» Mais M. Bustani et quelques hauts fonctionnaires, au Brésil et aux Etats-Unis, disent que Washington a agi ainsi parce que l’organisation sous son administration menaçait de devenir un obstacle pour ses plans concernant l’Irak.
La pression pour relever M. Bustani a commencé peu de temps après l’invasion de l’Afghanistan par les Etats-Unis, après les attaques du 11 septembre 2001, et au moment où l’administration de Bush tenait des débats internes sur l’opportunité d’envahir l’Irak.
Au coeur de ce problème, selon l’opinion de M. Bustani, était la question des armes de destruction massive, dont des armes chimiques. Washington prétendait que Saddam Hussein, le leader irakien, en possédait, mais M. Bustani disait que ses propres experts lui avaient dit qu’ils avaient participé à la destruction de ces armes dans les années 1990, après la première Guerre du Golfe. «Tout le monde savait qu’il n’y en avait pas,» a-t-il dit. «Une inspection rendrait évident qu’il n’y avait aucune arme à détruire. Ceci annulerait complètement la décision d’envahir.»
M. Bolton conteste cette déclaration: «La destitution de Bustani était sans aucun rapport avec l’Irak et la Libye. Il a utilisé cet argument après que nous ayons envahi.» Deux fois pendant l’entretien, M. Bolton nous déclara: «Si vous êtes un journaliste honnête, vous imprimerez que la personne qui croit de tels arguments est la même que celle qui se met une feuille d’étain sur les oreilles pour absorber le rayonnement cosmique.»
Mais des diplomates à La Haye ont dit que Washington avait fait circuler un papier disant que le groupe d’inspection d’armes chimiques, sous la direction de M. Bustani, recherchait «une influence inopportune en Irak,» ce qui représentait vraiment un problème pour le Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Avis Bohlen, une diplomate de carrière qui a été adjointe de M. Bolton avant sa retraite, a déclaré dans un entretien téléphonique à Washington samedi [le 12 octobre] que des personnes autre que M. Bolton avaient cru que M. Bustani avait «franchi des lignes jaunes» en connexion avec l’Irak. «L’épisode était très désagréable pour toutes les personnes concernées,» a-t-elle dit.
Joint à Sao Paulo samedi, Celso Lafer, ancien ministre des Affaires étrangères, a dit qu’au début de 2002, il avait été contacté par le Secrétaire d’Etat Colin R. Powell, celui-ci avait envoyé l’année précédente une lettre à M. Bustani, le louant pour son leadership. M. Lafer a dit que M. Powell lui avait dit, «il y a des gens dans l’administration qui ne veulent pas que Bustani reste et mon rôle est de vous en informer.» M. Lafer rappela que: «Le fonctionnement était devenu compliqué avec les Etats-Unis et particulièrement avec John Bolton et Donald Rumsfeld qui voulaient la tête de Bustani.» Il continua: «Mon avis est que les néoconservateurs voulait une liberté d’agir sans contraintes multilatérales et, avec Bustani voulant agir avec plus d’indépendance, ceci limiterait leur liberté d’action. Bustani a voulu entraîner un certain nombre de pays à entrer dans l’organisation, y compris l’Irak et la Libye. Il avait une relation importante avec la Russie et les Etats-Unis l’ont considéré comme peu docile.»
Renvoyer M. Bustani de son poste a demandé quelques efforts. Washington n’a pu obtenir une motion de défiance du Conseil exécutif de l’agence. Alors les Etats-Unis, qui étaient à l’époque responsables de 22% du budget de l’agence, ont menacé de couper son financement et ont averti que plusieurs autres pays, y compris le Japon, feraient de même, ont déclaré des diplomates. M. Bustani rappela que l’ambassadeur de la Grande-Bretagne, une des nations les plus engagées de l’agence, est venu le voir et a dit que malheureusement, Londres avait envoyé des instructions de voter avec Washington. Avec les Etats-Unis et le Japon couvrant presque la moitié du budget, l’organisation a couru le risque d’effondrement, a expliqué M. Bustani.
Le tribunal de l’Organisation internationale du travail à Genève s’est rallié d’ailleurs à M. Bustani, qualifiant les allégations américaines «d’extrêmement vagues,» et son renvoi «d’illégal». Il lui attribua le reliquat de son salaire impayé et l’équivalent de 67 000 dollars au titre de dommages et intérêts, dont il précise qu’il a fait don à l’agence.
Vendredi, tandis qu’il réceptionnait un flot de messages dans son bureau, M. Bustani a dit qu’il s’était senti satisfait du Prix Nobel et n’avait pas regretté les jours passés à l’agence. «J’ai dû commencer depuis le début, créer un code de conduite, un programme d’aide technique,» a-t-il dit. «Nous avons presque doublé le nombre d’adhésions.» Il a médité sur le contraste entre l’Irak et la Syrie. Les inspecteurs de l’agence sont en Syrie maintenant et en faisant le catalogue des stocks gouvernementaux d’armes chimiques, c’est un pas en avant pour la fin de la guerre civile en Syrie, qui en est maintenant à sa troisième année. «En 2002, les Etats-Unis étaient déterminés à s’opposer à ce que l’Irak rejoigne la convention contre des armes qu’il ne possédait même pas,» a-t-il dit. «Cette fois, joignant la convention et ayant les inspecteurs sur place fait partie du plan syrien pour la paix. Cela est un changement extraordinaire.»    •

Source: «International Herald Tribune» du 14/10/13. © The International Herald Tribune

(Traduction Horizons et débats)