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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2015  >  N° 2, 26 janvier 2015  >  Retour à l’autodétermination en politique des changes [Imprimer]

Retour à l’autodétermination en politique des changes

A propos de la décision de la Banque nationale suisse

par Reinhard Koradi, Dietlikon

A la surprise de tout un chacun, la Banque nationale suisse (BNS) a renoncé à soutenir l’euro. Pendant plus de trois ans, le cours minimal de 1,20 francs suisses par euro était resté intouchable. A la veille de son volte-face, la Direction générale de la BNS avait assuré qu’on ne toucherait pas au cours minimal.

Reprise de l’autodétermination en matière de changes

 En liant le franc à l’euro, la Suisse avait sacrifié sa souveraineté des changes. Quelle que soit l’argumentation adoptée, on ne saurait renoncer sans nécessité à l’autodétermination sans commettre une très grave négligence. Or une telle nécessité n’a jamais existé, car, depuis la renonciation à la souveraineté des changes, rien n’a changé fondamentalement dans les conditions que connaît l’industrie d’exportation en politique des changes. Si cette mesure est abolie aujourd’hui, cela prouve uniquement qu’une politique des changes erronée avait été adoptée il y a plus de trois ans. La correction s’imposait donc, – mais la population suisse doit être informée des conséquences de la décision d’alors et de la renonciation actuelle aux achats de soutien de l’euro. Il ne suffit pas d’invoquer l’indépendance de la BNS.

Pourquoi cette volte-face?

Seul celui qui dirige notre politique des changes, Thomas Jordan, peut répondre à cette question. Sa déclaration selon laquelle poursuivre une politique des changes épisodique n’a aucun sens manque de substance. Personne n’a cru sérieusement que la liaison du franc suisse à l’euro serait durable. La décision confirme bien davantage que la politique des changes et la politique monétaire qui en découle sont pure spéculation. Jeu risqué, l’inégalité des paramètres et des rapports de force ne permettant qu’un perdant: la Suisse et sa population. A propos du moment de la volte-face, Jordan s’est exprimé de la façon suivante lors de sa conférence de presse à Zurich: «C’était le bon moment pour renoncer au cours minimal.»
Compte tenu du bilan de la BNS, du montant considérable des devises, qui ne peut plus être réduit aux cours payés, le moment est adéquat, car d’autres achats d’euros auraient placé notre institut d’émission dans une situation précaire. A la «monnaie de papier» sans valeur intrinsèque fait face une valeur au bilan de 500 milliards de francs. La politique de la masse monétaire que mène la Banque centrale européenne (BCE) et la politique d’endettement des pays d’Europe déterminants ont abouti à des pressions massives sur l’euro que la BNS ne pouvait plus maîtriser. Le danger potentiel d’un retrait de la Grèce de la zone euro représente également un risque élevé pour l’euro. Il n’y a donc aucun signe que la chute de l’euro pourrait être freinée tant soit peu.
La question suivante se pose de façon urgente: pourquoi ceux qui déterminent notre politique des changes n’ont-ils pas réagi plus tôt à la chute des changes qui se dessinait depuis longtemps? Seule la Direction générale de la BNS peut dissiper le soupçon que sa décision a été différée en raison de la votation relative à l’initiative sur l’or (obligation de tenir 20% des réserves en or).

Qui paie les frais de la politique des changes erronée?

Il n’a pas encore été répondu à cette question, mais il est déjà évident que la Banque nationale a essuyé une perte comptable considérable. Le patrimoine de la BNS appartenant au peuple suisse, celui-ci paie la facture. L’épargnant et le rentier pourraient également souffrir du revirement. On ne peut pas non plus exclure que l’économie suisse pâtisse de la situation. Si et dans quelles proportions l’emploi souffrira de cette évolution dépend largement des entreprises et des consommateurs suisses. Dans notre pays, la consommation privée, à savoir la demande intérieure, reste un pilier de la conjoncture. A ceux qui prétendent qu’il s’agit d’une protection archaïque du pays et d’une action entravant la liberté des échanges, je rétorque que, par le bas niveau de l’euro, c’est précisément ce que fait l’Union européenne pour son industrie d’exportation.
Toutefois, la vigueur du franc a ses aspects positifs. Les importations deviennent meilleur marché et le pouvoir d’achat augmente. Pour un pays qui doit pratiquement importer toutes ses matières premières se dessine ainsi un élément positif.
Le «choc» permettrait aussi de faciliter les tâches productives des arts et métiers, de l’agriculture et de l’industrie en réduisant rigoureusement les tâches administratives excessives proposées par les autorités.

Leçons à tirer

Il faut considérer la liaison du franc à l’euro comme une faute à ne pas répéter. Si l’on faisait une analyse coûts-bénéfices de cette politique des changes aventureuse, les charges dépasseraient de loin les profits. Les centaines de milliards directement investis par notre économie auraient rapporté bien davantage que la roulette au casino des marchés des changes.
Les expériences faites ces dernières années ont montré des lacunes dangereuses dans la stratégie et la tactique des négociateurs suisses. Les relations amicales à tout prix recèlent le risque d’être dupé. Dans le cadre d’accords de libre-échange, la Suisse doit défendre ses intérêts politiques et économiques légitimes en tant que partenaire égal et les faire valoir dans ses contrats, y compris par des clauses de protection, des normes de sécurité et la possibilité de modifier les contrats si les conditions cadres changent.
Cependant, il me semble essentiel que la politique, l’économie et le peuple reconnaissent que notre autodétermination et nos droits souverains ne soient plus jamais limités ni ne puissent faire l’objet de transactions, sous quel que prétexte que ce soit. La souveraineté de notre pays est et reste non négociable. Ayons confiance en notre force, notre talent et notre volonté politique de prendre en mains le destin de notre pays, de manière souveraine et libre. Cette attitude est indispensable si nous voulons forger un avenir axé sur le bien commun et l’indépendance. La souveraineté de la Suisse, son autodétermination – que chaque Etat peut exiger – ne doit plus être sacrifiée à de prétendus avantages économiques. Tel est le cas des prochaines négociations bilatérales entre la Suisse et l’UE. Si le conseiller fédéral M. Schneider-Ammann réagit à la nouvelle politique des changes de la BNS en s’exclamant: «Maintenant, il convient de renforcer les bilatérales», la délégation suisse aux négociations doit se voir fixer des limitations. Oui, mais sans renonciation à nos droits souverains. Nous ne nous laissons pas priver de nos libertés. Comme tous les autres Etats, la Suisse, Etat souverain, doit être respectée et traitée en conséquence.
La liberté implique le sens des responsabilités, la souveraineté conduit à la solidarité. Dans la situation actuelle des changes, la tentation de s’enrichir est grande. Pourquoi ne pas être solidaire avec la place industrielle suisse et avec les travailleurs du pays? Si la décision de la BNS devait avoir provoqué un choc, ne serait-ce pas faire preuve de maturité, plutôt que de s’agiter et de paniquer (voir la bourse), que de s’attacher à ce qui rassemble? Honorez le travail du pays et achetez les produits suisses – tout simplement parce que ce comportement a un sens: au lieu de vagabonder dans le lointain, estimez et apprenez à utiliser ce qui est bon et se trouve à proximité.•