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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°32, 16 août 2010  >  La «Fondation Bertelsmann» ou: La «vision» du bradage des communes [Imprimer]

La «Fondation Bertelsmann» ou: La «vision» du bradage des communes

hof. Des «ateliers du futur», des «forums prévisionnels» ou des «ateliers de démographie» en vue du soi-disant «développement de la commune» – cela n’existe pas en Suisse seulement. C’est à travers l’Europe entière que les communes ont affaire à de telles organisations douteuses et anti-démocratiques. Et partout elles se déroulent selon le même schéma, guidées par des animateurs externes.
En Allemagne, c’est la Fondation Bertelsmann qui en fournit le modèle. Sur ses sites internet on trouve des directives stratégiques, des conseils, des manuels en vue de créer des «ateliers dans les communes» ainsi que des «visions sur le développement communal».1
Quant aux «visions» de la Fondation Bertelsmann, elles sont évidentes. Il s’agit du détournement vers le privé des institutions communales («out-sourcing»), de l’usurpation de tâches réservées à la souveraineté de la commune, de privatisation de piscines commu­nales et des régies communales de l’eau, des maisons de retraite, des associations et unions d’intérêt public etc.; les communes et leurs institutions devront, selon ces plans, devenir des entreprises fonctionnant selon le principe de gain et profit, quitte à participer à la course aux avantages locaux. Il est évident que cela n’a plus rien à voir avec la démocratie.
En Angleterre, l’entreprise Arvato, filiale à 100% de la Fondation Bertelsmann, a ainsi pris possession de la commune de East Riding, Yorkshire, gérant maintenant des tâches auparavant réservées à la souveraineté communale dans une circonscription qui compte pas moins que 325 000 habitants (cf. en­cadré) – s’étendant du prélèvement des impôts communaux, en passant par la distribution des allocations d’aide sociale, jusqu’à la gestion des finances.2
En Allemagne, c’est la ville de Wurzburg (Basse-Franconie) où Arvato gère «la totalité des prestations administratives».3 D’autres communes devraient suivre ce modèle.
Or, en Allemagne, il s’agit de 105 milliards d’euros, provenant des fonds fiscaux qui, selon estimation, circulent dans les communes et leurs institutions par an. Ce sont ces milliards-là qui provoquent l’avidité de la multinationale Bertelsmann. Pour le moment, Arvato «se contente» d’un cinquième de cette somme, comme dit son chef, Rolf Buch: «Il s’agit d’un marché de plus de 20 milliards d’euros, soit autant que le chiffre d’affaires actuel de Bertelsmann.»4
Non, décidément, avec Bertelsmann, on n’a plus affaire à un cercle à connivence chrétienne distribuant des livres et des périodiques dont les magazines illustrés peuplaient, du temps de l’après-guerre, les mé­nages, les cabinets médicaux et les pharmacies allemands. Aujourd’hui, il s’agit d’un empire des médias connecté dans le monde entier, disposant d’un chiffre d’affaires en milliards et qui, dans de nombreux pays, entretient des relations les plus privilégiées avec des hommes politiques de haut rang, des présidents de partis et des chefs d’Etat, ainsi qu’avec des fonctionnaires de syndicats etc. Les gens de Bertelsmann siègent dans des institutions et commissions de l’UE et influencent tous les domaines de la politique – qu’il s’agisse de la Constitution europé­enne, de la formation d’une armée européenne ou de la privatisation des domaines de la formation et de la santé et, dernièrement aussi des communes.5
La «vision» de la Fondation Bertelsmann est une «Europe des régions» dans laquelle les nations souveraines ont disparu6 et dont les unités administratives sont des «espaces métropolitains» ou des communes fusionnées, unités sous l’administration centrale de Bruxelles7 et exploitées sur le marché par Bertelsmann. C’est dans cette direction-là qu’est dirigé ce «changement», changement où les décisions démocratiques des citoyens ne font que déranger.
Pour démarrer le «changement» on convoque – après concertation avec les conseillers externes – un groupe, complètement arbi­traire, mais pourtant soigneusement choisi – de membres d’exécutifs, d’associations, d’Eglises, de corps de métier et corporations, d’entreprises etc. dans les «ateliers du futur» susnommés qui n’ont aucune légitimation ni représentation démocratiques. Ainsi, avec le recours à des méthodes de manipulation psychologique employées dans des groupes d’envergure (mise en place, «open space» etc.) qui n’ont rien à faire dans un processus de décision libre et démocratique, on se met à dis­soudre «les forces récalcitrantes» de la société.8 Il s’agit de créer une «ambiance positive de renouveau» qui vise «l’enthousiasme des acteurs locaux».9 Ceux qui mettent en doute les «visions» sont traités de «passéistes» et de «traditionalistes arriérés». De telles images nuisibles ne font que semer la discorde dans les communes et déranger la paix politique.
Nous n’avons pas besoin d’«ateliers du futur» qui, comme des «cabinets de l’ombre», se mettent à saper l’autonomie communale. Il ne nous faut pas du «strip-tease» psycholo­gique dans des salles polyvalentes pour procréer des «visions communales», qui ne créent, en fait, que des coûts. Le vrai débat sur les thèmes d’avenir se situe dans les conseils municipaux et les réunions communales où chaque citoyen est censé contribuer, proposer des motions et solliciter un vote, dénué de tout endoctrinement et de toute manipulation.
Mais détrompons-nous: en Suisse aussi, une 5e colonne de traîtres au pays se bâtit sous forme d’«acteurs» en vue du développement européen régional misant sur les méthodes Bertelsmann. Ainsi «régiosuisse», un réseau central national en faveur du développement régional suisse, recommande-t-il chaudement «la fondation allemande de Bertelsmann». «Sur son site internet», poursuit-il, «elle fournit toute une gamme d’idées à l’usage des gestionnaires régionaux et instances constructrices de réseaux» (sic!); on y trouve, ajoute-t-il, «diverses publications et une banque de données intitulée ‹Best Practices des communes pour les com­munes› etc. qui offrent, également aux instances ac­trices suisses pour le développement communal d’intéressants intrants.»10
Voilà pourquoi, dans nos communes, les «ateliers du futur» surgissent du sol comme des champignons. Il ne faut pourtant pas oublier que ce sont toujours les citoyennes et citoyens qui décideront, en dernière in­stance, s’ils veulent effectivement l’«Anschluss» à une «Europe des régions», gérée de manière centraliste par Bruxelles, où il n’y aurait plus de nations souveraines, ni par conséquent, de citoyens jouissant de leurs pleins droits de démocratie directe.    •

1 Bertelsmann-Stiftung: Workshops für Kommunen. URL: www.bertelsmann-stiftung.de/cps/rde/xchg/SID-0FEC8238-A85109F4/bst/hs.xsl/93630.htm
2 Privat statt Staat: Das englische Modell. Bertels­mann-Tochter Arvato übernimmt Verwaltung. «Neue Westfälische», Bielefeld, 1/9/06
3 Arvato Services Bertelsmann: Arvato startet Dienstleistungen für die öffentliche Verwaltung in Deutschland. URL: www.arvato-services.de/de/news-20070427.html
4 Siebenhaar, Hans-Peter: «Ein riesiger Markt vor der Haustür». «Handelsblatt», 4/4/08
5 cf. Hillard, Pierre: La Fondation Bertelsmann et
la gouvernance mondiale, Paris 2009
6 cf. Hillard, Pierre: La Fondation Bertelsmann et
la gouvernance mondiale, Paris 2009
7 cf. Wüthrich, Marianne: Bruxelles tente de
court-circuiter la structure politique de la Suisse. Horizons et débats no 31 du 10/8/09
8 Willener, Alex: Zukunftswerkstatt. Hochschule
Luzern o.J. URL: www.hslu.ch/s-zukunftswerk-statt.pdf 
9 Bertelsmann-Stiftung (Hrsg.): Demographie
konkret – Handlungsansätze für die kommunale Praxis. Gütersloh o.J., S. 35
10 regiosuisse: Organisationen/Institutionen/Netz­werke (CH/EU). www.regiosuisse.ch/adressen/links/links/#organisationen-institutionen-ch

Arvato, filiale de Bertelsmann, prend en charge une administration communale Bradage de missions souveraines

hof. Sous le titre «Le privé prend la place du public: le modèle anglais», la «Neue Westfälische», quotidien de Bielefeld, a publié le 1er septembre 2006 le communiqué suivant:
«Reprise de l’administration par Arvato, filiale de Bertelsmann.
A East Riding, commune située dans le nord-ouest du Yorkshire, les autorités ont abdiqué: A partir de cet été, une grande partie des missions souveraines sont effectuées par un organisme privé. Qu’il s’agisse de la perception des impôts communaux, du versement des aides sociales ou de la gestion des finances de cette circonscription qui compte pourtant environ 320 000 habitants, ce n’est plus l’administration publique qui gère ces tâches mais une entreprise privée.
Et il s’agit d’une entreprise allemande. Arvato AG, filiale à 100% du groupe Bertelsmann, a conclu un contrat de 8 ans qui lui rapporte 25 millions d’euros par année.»
L’article parle ensuite de «prestations jusqu’ici réservées à l’Etat qui sont dorénavant fournies par des sociétés de services privées. L’esprit humain ne connaît pas de limites dès lors qu’il faut imaginer dans quels domaines les entreprises privées peuvent intervenir, qu’il s’agisse de la construction et de l’administration de prisons ou d’hôpitaux, de la gestion du métro londonien ou, comme c’est le cas à East Riding, de l’administration d’une circonscription tout entière.»
Telle est la «vision» du groupe Bertelsmann. Par le biais de quantité d’«ateliers du futur» ou de «workshops démogra­phiques», on essaie d’imposer aux citoyens, aux conseillers communaux, aux entrepreneurs, etc., à l’aide de slogans tels que «pilotage politique efficace», «projets communaux efficaces et prometteurs», de «compétitivité», etc. la privatisation de communes et d’institutions publiques. Il s’agit de «commercialiser» nos communes qui devront participer à la course aux «atouts locaux» pour finalement se dissoudre, selon les projets de Bertelsmann, dans une Europe des régions où les Etats-nations n’existent plus.
Mais les citoyens informés s’opposeront massivement à de tels projets néo-féodaux dès qu’ils se rendront compte de leur portée.