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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°40, 6 janvier 2014  >  Lancement d’une initiative populaire pour renforcer la sécurité alimentaire [Imprimer]

Lancement d’une initiative populaire pour renforcer la sécurité alimentaire

Interview du conseiller national Rudolf Joder, UDC

L’initiative populaire fédérale pour renforcer la sécurité alimentaire arrive au bon moment. Elle prévoit de compléter l’article 104 de la Constitution fédérale par un nouvel alinéa 104a pour renforcer «l’approvisionnement de la population avec des denrées alimentaires issues d’une production indigène durable et diversifiée». Dans l’interview ci-dessous du conseiller national Rudolf Joder, un des initiateurs, vous pourrez prendre connaissance des aspects politiques et économiques qui sont à la base de cette initiative.

Horizons et débats: Pourquoi cette initiative en faveur de la sécurité alimentaire est-elle préparée maintenant, quels buts veut-elle atteindre?

Rudolf Joder, conseiller national: Le but de l’initiative est de maintenir et d’assurer une souveraineté alimentaire minimale. Dans l’agriculture suisse nous sommes confrontés à un grand processus de réduction. Depuis l’an 2000 42 000 emplois dans l’agriculture ont été supprimés. C’est-à-dire que 15 000 exploitations agricoles ont dû être abandonnées. 2000 ha de surface agricole cultivable disparaissent chaque année. Selon l’avis des initiateurs, il faut stopper ce processus. Sinon, il faut s’attendre à ce que dans quelques années, on n’aura plus d’approvisionnement agricole d’importance en Suisse.

L’initiative sera lancée par vous – le groupe Joder/Graber – avec l’Union suisse des paysans. Quels sont les contenus concrets?

Le texte de cette initiative populaire contient les points suivants: 1. Renforcement de la production indigène, 2. Protection des terres cultivées avec les surfaces d’estivages, parce que l’économie alpestre doit être incluse. 3. La qualité des denrées alimentaires. 4. la diminution des charges administratives car une partie grandissante des paiements directs de l’agriculture n’arrive jamais jusque chez les paysans mais se retrouve dans les bureaux de protection de l’environnement. 5. La nécessité absolue d’abandonner le cycle de quatre ans du changement des conditions-cadres législatives dans le domaine de l’agriculture.

Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?

Le Conseil fédéral et l’Office fédéral de l’agriculture disent que ce cycle de quatre ans est donné par le cadre des paiements pour l’agriculture qui est défini tous les quatre ans. Cette affirmation est juridiquement fausse, parce nous fixons tous les quatre ans un cadre de paiements pour la politique de l’enseignement et la politique du développement sans adapter chaque fois les bases juridiques correspondantes. Pour cette raison, ce principe est aussi valable pour l’agriculture. C’est pourquoi nous demandons davantage de sécurité dans le processus de la planification, davantage de sécurité au niveau des investissements et de la sécurité juridique pour les exploitations agricoles afin qu’elles aient assez de temps pour la reconversion si elles doivent passer à une autre forme de production.

Cette initiative représente donc une réponse à la politique agricole du Conseil fédéral?

C’est ça, incontestablement. L’initiative veut clairement corriger la fausse direction qu’a prise la politique agricole 2014 à 2017 (PA 14/17). Cette PA 14/17 favorise la culture extensive. Elle demande par exemple de baisser massivement la production des céréales, des betteraves, ainsi que le nombre du bétail. Cette initiative veut stopper ce processus et garantir une agriculture productive. Il est clairement dans l’intérêt de la population suisse de produire une certaine partie des denrées alimentaires dans le pays et en bonne qualité.

Dans la PA 2014/17 on subventionne par exemple d’avantage la surface de pâturage que le cheptel.

C’est exact. On pourrait, en n’exagérant que peu, définir le nouveau concept de la politique agricole de la façon suivante: moins un paysan travaille, plus on lui octroie d’argent dans le cadre des paiements directs. Ce n’est pas viable. La tâche primordiale de l’agriculture est de produire pour la population des denrées alimentaires de bonne qualité et non pas de s’occuper uniquement de la préservation du paysage. Cela d’autant plus que la législation concernant la protection de la nature est d’ores et déjà très complète en Suisse quand on la compare avec la plupart des pays étrangers.

Comment pourrait-on atteindre la souveraineté alimentaire à l’aide de cette initiative?

La souveraineté alimentaire n’est pas seulement mise en danger par la nouvelle PA 14/17 mais également par la politique univoque du Conseil fédéral voulant l’ouverture des marchés agricoles. Cette stratégie, par exemple lors des négociations futures avec l’UE, va totalement dans la fausse direction. Nous importons déjà bien plus de denrées alimentaires que nous en exportons. Depuis 2007, la libéralisation du marché du fromage a montré très clairement que lors d’une ouverture encore plus large du marché, l’agriculture indigène sera du côté des perdants. C’est ce processus qu’il faut stopper. La politique du Conseil fédéral doit être corrigée. Voilà l’objectif central de l’initiative.

Y a-t-il une justification plausible pour la commercialisation des produits agricoles à l’instar d’autres produits économiques?

Derrière la politique du Conseil fédéral se cachent diverses réflexions erronées. De mon point de vue, il y a dans le domaine des biens économiques une différence considérable entre les machines et les denrées alimentaires. Je suis clairement d’avis que les denrées alimentaires doivent être cultivées là ou elles sont consommées. Ce principe trouve de plus en plus de soutien malgré la mondialisation et l’ouverture mondiale des marchés.

Cette approche se trouve aussi dans le Rapport sur l’agriculture mondiale de l’ONU de 2008. Dans ce document, il est expliqué qu’une agriculture de proximité, ancrée localement avec des exploitations familiales est capable de résoudre le problème de la faim dans le monde.

Oui, on s’est rendu compte que le transport massif de produits alimentaires à travers le monde peut causer énormément de dégâts. Il ne s’agit pas uniquement de pollution de l’environnement suite aux voies de transports très longues, il ne s’agit pas uniquement de la perte de qualité, mais il s’agit également de la destruction des agricultures dans les pays en voie de développement et dans les pays émergeants. Cela a pour conséquence que les économies nationales de ces pays ne peuvent se développer si les produits alimentaires cultivés dans ces pays sont constamment concurrencés par des produits d’importation à prix cassés des pays industrialisés. En jetant leurs produits agricoles sur les marchés des pays du Sud, ceux-ci détruisent la production indigène. Les Etats-Unis, par exemple, subventionnent massivement leurs produits agricoles. Ainsi, ils peuvent demander des prix si bas qu’ils peuvent évincer la production d’autres pays et ainsi détruire leur agriculture. Ce processus doit être stoppé aussi à l’échelle internationale. Il faut absolument qu’une approche différente s’impose.

On a l’impression que le conseiller fédéral Schneider-Amman s’obstine dans cette question.

Oui, cela se montre aussi dans la partie douteuse de l’accord de libre échange entre la Suisse et la Chine. Il est insensé d’importer de la Chine, suite à la baisse des droits de douane, davantage de viande, de poulet et de lapin en Suisse. La viande de ces animaux peut être produite en Suisse, nous ne sommes pas tributaires de cette viande importée dans notre pays après un voyage de 20 000 kilomètres.

Là, il se pose également la question de savoir si l’entretien des animaux correspond en Chine au standard très élevé de notre pays.

C’est encore un aspect supplémentaire à tous les autres, car la protection des animaux n’existe pratiquement pas en Chine. En Suisse, nous avons des règles très strictes concernant le bien-être animal. Les produits sont fabriqués de manière très différente. Les conditions ne sont pas les mêmes. Les citoyens suisses ne veulent pas de viande produite dans des conditions insupportables pour les animaux concernés.

L’approvisionnement des habitants de notre propre pays avec des denrées alimentaires en qualité et en quantité suffisante est finalement aussi un aspect de sécurité. Comment maintenir la souveraineté du pays et empêcher encore davantage de dépendance? Sinon nous serions livrés, dans toute situation de crise, au bon vouloir des autres Etats.

C’est un aspect très important. C’est pour cette raison que nous exigeons que le niveau actuel de 50 à 60% de degré d’autosuffisance ne soit en aucun cas réduit. Si nous le baissons, la dépendance de la Suisse de l’étranger augmentera. Ainsi notre pays devient de plus en plus sujet au chantage. Cela ne peut pas être le but de notre politique de sécurité. L’attitude du Conseil fédéral concernant ces questions agricoles est totalement incompréhensible. Le degré d’autosuffisance est en étroite relation avec la souveraineté et l’indépendance d’un pays. Ce n’est pas un hasard que la Chine, par exemple, aspire à un degré d’autosuffisance de 95%.

Cela revient à dire que d’autres accords de libre-échange sont contre-productifs du point de vue sécuritaire. Mais qu’est-ce que cela signifie pour nos exploitations agricoles, si nous concluons divers accords de libre-échange, dans lesquels l’agriculture n’est pas exclue, ce qui, par exemple, avait été fait en tout conscience de cause au sein de l’AELE?

En réalité, cela augmente la pression sur notre agriculture. Les prix à l’intérieur du pays baissent pour un certain produit alimentaire et les coûts ne peuvent pas être adaptés. Cela signifie concrètement une perte de parts de marché pour l’agriculture indigène. C’est pour cette raison que je travaille avec le professeur en droit Paul Richli à une initiative parlementaire sur le thème de la protection de l’agriculture suisse face aux ouvertures du marché. Malheureusement, cet aspect ne pourra pas être intégré dans l’initiative populaire. Mais je suis en train de reprendre ce sujet au niveau politique à l’aide d’une initiative parlementaire. Il s’agit de protéger nos paysans du libre-échange agricole. Nous voulons globalement empêcher de futures démarches de libéralisation du Conseil fédéral, parce qu’autrement, très rapidement, notre agriculture ne sera plus concurrentielle, vu les coûts élevés et la topographie difficile de notre pays, et ne pourra pas tenir bon, face aux importations étrangères.

On peut donc dire, que vos efforts concernant l’agriculture et sa protection sont étroitement liés au maintien de notre souveraineté étatique.

Oui, absolument! Justement en cette période de mondialisation, il est très important de ne pas perdre des yeux cet aspect. L’agriculture est très importante pour l’avenir de la Suisse et cela non pas uniquement à cause de la forte augmentation de la population – nous avons depuis l’an 2000 une augmentation de presque un million de personnes –, mais aussi pour des raisons d’indépendance et de souveraineté. Si nous dépendons de l’étranger pour nourrir notre population, nous serons facilement soumis au chantage et perdrons notre indépendance.

Monsieur le Conseiller national, je vous remercie de cet entretien.     •

Interview réalisée par Thomas Kaiser

Initiative pour la sécurité alimentaire

Art. 104a (nouveau) Sécurité alimentaire

1. La Confédération renforce l’approvisionnement de la population avec des denrées alimentaires issues d’une production indigène durable et diversifiée; elle prend des mesures efficaces notamment contre la perte des terres cultivées, y compris les surfaces d’estivages et pour la mise en œuvre d’une stratégie qualité.
2. Elle veille, pour l’agriculture, à une charge administrative réduite et à une sécurité appropriée au niveau des investissements et du droit. ?

Mesures transitoires

Le Conseil fédéral propose à l’Assemblée fédérale, au plus tard deux ans après l’acceptation par le peuple et les cantons de l’article 104a, les dispositions légales correspondantes.
[La version en allemand fait foi.]

Source: www.sbv-usp.ch

L’essence de l’exploitation paysanne familiale

Le terme d’exploitation paysanne familiale comprend toutes les activités paysannes reposant sur la coopération familiale. Elles sont liées à divers domaines du développement agricole. Les exploitations paysannes familiales sont une possibilité d’organiser l’agriculture, l’exploitation forestière, la pêche, le rendement des pâturages et l’exploitation des eaux, exploitées et dirigées sur la base familiale, s’appuyant surtout sur le travail des membres de la famille, hommes et femmes.
Dans les pays en voie de développement ainsi que dans les pays développés, les exploitations paysannes familiales représentent la forme dominante de l’agriculture et de la production de denrées alimentaires.
A l’échelle nationale, il y a un grand nombre de facteurs représentant la clé pour un développement réussi des exploitations agricoles familiales: les conditions agro-écologiques, les particularités du paysage, l’environnement politique, l’accès aux marchés, l’accès à la terre et aux ressources naturelles, l’accès à la technologie et aux services de conseils, l’accès à l’argent, les conditions démographiques, économiques et socioculturelles, la disponibilité de formations spéciales etc.

Source: www.fao.org/family-farming-2014/en/

(Traduction Horizons et débats)