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Horizons et debats  >  archives  >  2010  >  N°44, 15 novembre 2010  >  Toute école et toute réforme doivent être mesurées à la qualité relationnelle entre enseignant et élève! [Imprimer]

Toute école et toute réforme doivent être mesurées à la qualité relationnelle entre enseignant et élève!

par Roland Güttinger, instituteur et enseignant spécialisé

Chaque école et chaque réforme doivent être mesurées à la qualité de la relation entre l’enseignant et les élèves, que l’école s’appelle «école mosaïque»*, qu’elle s’organise dans des paysages d’apprentissage ou qu’elle veuille avant tout abandonner le vieux style autoritaire.

Réflexions sur l’apprentissage – plus actuelles que jamais!

Ce sont trois raisons qui m’ont amené à écrire quelques réflexions sur l’apprentissage:
a)    D’abord, il y a des changements dans beaucoup d’écoles et les premières réactions commencent à se manifester dans le public élargi.
b)    Ensuite ma participation à une formation continue intensive portant sur des questions des conditions nécessaires relatives à l’école et à la société, permettant de former nos élèves pour un avenir démocratique en commun.
c)    Et finalement le centième anniversaire de Jeanne Hersch, qui a déclenché beaucoup d’articles et de souvenirs de son temps et de son engagement pour l’éducation et concernant les «Jugendunruhen» (émeutes des jeunes) des années 1980, très proche du contexte actuel.
Je reprendrai ces différents aspects l’un après l’autre. Mais tout d’abord, je voudrais revenir à quelques échos d’une école de réforme – une «école mosaïque». Je ne veux cependant pas dire par là que les «écoles mosaïques» représentent toutes les réactions ou qu’elles correspondent même à un courant général. Mais j’ai quand même l’impression qu’elles expriment quelque chose qui dépasse des réactions purement individuelles.

Quelques échos de l’école

Un élève a raconté que les premiers mois à l’école avaient été absolument «super», qu’ils n’avaient pas eu de devoirs à faire, qu’ils avaient pu liquider tous les travaux en classe. Ainsi ils avaient eu davantage de temps pour leurs hobbys et, de cette façon, ils avaient eu le loisir d’apprendre à effectuer des achats électroniques. Après six mois, cependant, et surtout vers la fin de l’année scolaire, ils auraient eu de plus en plus de retard avec leurs mati­ères scolaires. En outre, le travail pendant les leçons individuelles aurait été parfois interminable, au bout de deux leçons plus rien n’allait, même la récréation n’aurait plus eu d’effet. Et lui, il n’aurait de toute façon plus rien à espérer, car il n’avait de toute façon pas été assez bon.
Par d’autres élèves, j’ai entendu une version raccourcie, c’est-à-dire qu’ils avaient échoué, avec le temps, par rapport au contenu et finalement dans leur notes. Les récits allaient d’abréviations compréhensibles, mais pas efficaces, dans les corrections de leurs propres travaux, de l’embrouillage désemparé dans les plannings sur ordinateur jusqu’à être complètement dépassé par les plannings non respectés.

Etre attentif mais tout de même …

Comme enseignant et aussi en tant que parent on sait bien sûr que nous devons être très prudents avec ces récits. Nous ne connaissons pas toutes les conditions et sous-estimons peut-être l’état et les problèmes de l’élève individuel. Mais nous devons tout de même essayer de placer ces récits dans un contexte plus large, d’autant plus si l’on connaît de sa propre expérience les parcours d’apprentissage d’élèves individuels et la collaboration avec l’école et les parents.
Dans cette image qui se dessine lentement, il faut certainement noter la phrase d’un directeur d’école en Thurgovie qui a prédit dans la phase préparatoire de l’«école mo­saïque» qu’il faudrait cinq ans pour surmonter les difficultés du début. Et là, bien sûr, on se demande ce qui se passera avec les élèves durant ce temps correspondant à des années décisives pour le choix de leur profession?
Je voudrais aussi parler des élèves moyens à faibles – quels sont les effets de tels changements pour eux? Nous savons, à propos d’élèves qui arrivent à faire leurs devoirs scolaires avec peu d’efforts, qu’ils n’ont pas de peine à atteindre leur but malgré les changements et essais d’écoles. Mais ceux-ci ne sont pas la plus grande partie des enfants et adolescents dans notre école publique. Ce sont bien sûr les autres enfants, qui forment une large moyenne des effectifs qui devraient nous tenir à cœur. C’est leur développement et leurs réactions dans de telles expériences que nous devrions regarder de plus près et analyser.

Une parenthèse commune

Un élément commun nous frappe dans tous ces récits, c’est que l’effort d’accomplir les devoirs demandés disparaît chez les élèves; l’espoir meurt de pouvoir suffire aux exi­gences. Ce qui fait retomber la motivation, jusqu’à ce qu’en plus le lien avec l’enseignant en souffre également. A ce stade, le pas à franchir pour que la responsabilité de faire des progrès soit située entièrement chez les élèves, n’est plus grand. Avec ça, on aurait un cercle qui se ferme et qui, en fait, ne devrait pas l’être.
En plus, je sais d’une autre «école mo­saïque» que ce sont justement ces points problématiques qui apparaissent comme exigences de qualité pour l’école:
•    les élèves doivent être autonomes mais pas laissés en plan,
•    la motivation doit être maintenue et augmentée,
•    la partie du travail à l’ordinateur ne doit pas dépasser 20 minutes par jour et se faire sous contrôle,
•    les progrès particuliers doivent être accompagnés de près et contrôlés tous les jours,
•    les revers doivent être discutés de suite et des solutions doivent être trouvées en collaboration avec le «coach»,
•    les périodes d’apprentissage autonomes devraient être augmentées lentement – de deux heures par semaine à quatre, ensuite au bout de six mois un peu plus, mais accordées individuellement à l’élève.

Des questions s’imposent

Que faire? Il ne s’agit bien sûr pas de trouver des coupables, mais de reconnaître les mécanismes dérangeants le plus clairement pos­sible. On ne mettra pas des enseignants ou des élèves au pilori. Pas du tout, mais il faut nous rendre compte de ce qui manque. Qu’est-ce qui va dans la mauvaise direction? Quels éléments se rencontrent, soit au niveau de l’élève, des parents, des enseignants, de l’organisation de l’école, de la structure de l’école ou des lois?

L’aspect central: La relation entre l’enseignant et l’élève

C’est la relation personnelle entre l’élève et l’enseignant, indépendamment du type d’école, des réformes et des changements, qui est au centre du processus d’apprentissage. C’est là que se trouve en tout temps le point crucial quant aux progrès de l’apprentissage. C’est ce que Comenius savait si bien tout comme plus tard Rousseau et Pestalozzi. La psychologie moderne de l’apprentissage et la psychologie du développement l’ont confirmé, et dans des «biographies d’échec scolaire» on peut toujours les suivre.
Lorsqu’alors nous nous demandons ce qu’il faut faire dans les cas d’élèves individuels «perdus», nous pouvons dire avec certitude, sauf exceptions, que nous ne pouvons pas leur attribuer à eux seuls les difficultés, en invoquant leur manque d’aptitude à l’étude. Non – du côté de l’adulte, il faut un vrai engagement, un accompagnement et des offres d’aide à la coopération avec eux pour rester à leur côté pendant des périodes difficiles.

Concrètement cela veut dire…

Cela ne veut pas dire qu’on enlève à l’élève sa responsabilité d’apprendre, mais il doit faire l’expérience de ce qui est – même pour les plus âgés – nécessaire: Une participation vraie et un enseignement pour apprendre, cela veut dire une introduction dans la communauté de la classe (on apprend en écoutant, mais aussi par les questions des camarades), des exigences claires en ce qui concerne la quantité et la qualité de l’exécution, un contrôle régulier et soigneux de l’accomplissement des devoirs, des corrections en commun, un écho immédiat, lié à la perspective du succès, même de succès partiels. Nos élèves sont des êtres humains, des adolescents en plein développement, et au degré secondaire, dans une période de distinction et de recherche de soi. Ils ont besoin ­d’adultes, de vrais adultes.

Quels sont donc les éléments d’une vraie relation?

Une fiabilité assurée, une participation et des perspectives optimistes, de la joie, de l’humour, de la patience et du calme, des réponses émotionnelles compréhen­sibles, c’est-à-dire l’authenticité dans les réactions, tous ces facteurs font la vraie relation. L’authenticité est toujours liée à notre ­exemple responsable, d’avoir toujours à l’œil la justice et le bien de tous, et de ne pas dépendre de l’approbation des jeunes.

L’actualité durable de Jeanne Hersch

Jeanne Hersch, la philosophe genevoise connue qui aurait fêté ces jours ses 100 ans, a travaillé jusqu’à l’âge de 90 ans de façon engagée sur les questions des droits de l’homme et des problèmes des jeunes. Dans les années 1980 avec ses Antithèses, elle s’est opposée courageusement aux Thèses de la Commission d’experts du gouvernement à propos des émeutes des jeunes. Elle était à l’époque une personne engagée, solitaire dans le monde académique, elle a refusé de suivre son parti socialiste lorsque la libéralisation des ­drogues a obtenu la priorité dans l’agenda du PS suisse.
Le souvenir public de son œuvre montre qu’à l’époque elle a écrit des choses qui n’ont rien perdu de leur actualité aujourd’hui. Dans ses antithèses, elle prend les adolescents très au sérieux, ne leur laisse rien passer et les conduit vers la responsabilité. Mais, en même temps, tous les autres acteurs du processus de société autour de l’école, de la formation et de l’éducation ne sont pas libérés pour autant de leur responsabilité; elle exige pour notre jeunesse au lieu d’espaces libres:
«Encourager et soutenir ceux des maîtres qui conçoivent en adultes leur rôle dans la vie de la classe. Renforcer la communauté de la classe scolaire, qui, pour beaucoup ­d’enfants, remplace la famille brisée ou déficiente. Aucune considération intellectuelle ne peut justifier l’éclatement de la classe, en un temps où elle est affectivement, à l’évidence, plus nécessaire que jamais.»

Regardons maintenant tous ces changements

On peut poser les mêmes questions en ce qui concerne les réformes scolaires. Dans quelle mesure soutiennent-elles la rencontre ou la coopération entre l’élève et le pédagogue?
La nouvelle loi sur l’école publique – soit celle du canton de Zurich – a été décidée et se trouve actuellement dans sa phase de réalisation. Un élément important est l’introduction de directeurs d’école. Cela a conduit à la délégation de beaucoup de tâches des enseignants et des commissions scolaires à la direction de l’école. C’est à cette dernière qu’est confiée la direction opérationnelle de l’école. Ce n’est pas par hasard que le nouveau vocabulaire contient beaucoup de notions écono­miques. Les écoles se concurrencent entre elles et sont tenues d’élaborer des «Leitbilder» (des modèles), des programmes etc., et de se profiler. Dans ce contexte, les enseignants sont occupés à bien d’autres choses et l’orientation vers leur devoir pédagogique n’a plus la première place.
La direction stratégique de l’école de son côté est dans les mains des commissions scolaires. Ce qui a déjà conduit comme je le perçois – et je l’entends aussi de la part de parents – à une distance plus grande entre la commission scolaire et la base (enseignants, élèves, parents). Les parents connaissent à peine la commission scolaire et vice versa. Et si par chance il en va autrement, c’est le signe d’un engagement ­proche de la population de personnalités indivi­duelles dans la commission scolaire. Les efforts par rapport à l’école, ou exprimé différemment: La proximité envers l’école – comme devoir important dans un Etat de démocratie directe – est cependant affaiblie. Le caractère de l’école populaire se perd, l’exemple manque en matière d’engagement citoyen, ce qui devrait pourtant se refléter dans l’école.
L’école est pour nos enfants, et ceci pas en dernier lieu, aussi une préparation pour plus tard à notre ordre démocratique. Cela ne se fait pas tout seul, la démocratie doit être vécue consciemment comme exemple, et être comprise dans le quotidien de l’école. La démocratie – si l’on ne veut pas qu’elle reste une notion abstraite – doit commencer dans les petites choses et croître.
Pour les parents également, qui devraient s’engager au moins aussi intensément pour l’école comme telle, et qui ne devraient pas penser uniquement à leur propre enfant, le lien à l’école, à l’origine étroit, est affaibli par la nouvellel hiérarchisation. Même si au niveau de la participation des parents, on cherche de nouvelles voies, le réseau ori­ginel entre parents comme citoyens et la commission scolaire avec son contrôle immédiat d’une tâche publique, est devenu plus difficile en raison de la plus grande distance entre les deux pôles. Ce qui en souffre, c’est la qualité des liens immédiats.
Beaucoup de nouveautés à l’école laissent des traces au niveau des élèves lorsque par exemple ils collectent des produits dans leurs portfolios qui devraient finalement documenter leurs compétences. On trouve assez vite les effets des faiblesses humaines dans ce processus: On produit du papier pour se profiler, se présenter. L’apparence, la présentation sur Internet obtiennent plus d’importance, et le mûrissement de la personnalité de l’élève n’est pas assez pris en considération. Mais c’est justement à ce mûrissement que nous devons vouer tous nos soins et toute notre attention si nous voulons empêcher que l’individualisation croissante ne devienne solitude.
Et c’est là probablement l’élément fort expliquant les phénomènes décrits par les élèves. L’essai de structurer l’école comme telle, d’organiser ses tâches par des plans, des contrôles d’ordinateur et d’organiser les réactions, de les diriger de façon plus économique avec moins de frais, tout cela se fait aujourd’hui aux frais de la pédagogie qui pourtant demeure la vraie tâche de l’éducation. Et cette dernière se réalise uniquement dans la rencontre directe, dans la relation entre êtres humains, et c’est pourquoi elle devrait se trouver au centre à l’école. Nous, les enseignants dans leur ensemble, sommes pris au dépourvu si l’on veut nous cantonner au rôle de modérateurs, médiateurs, coaches, d’agents de transmission de matières ou de travailleurs à temps partiel, un rôle qui nous dépossède de notre vocation centrale! •

* Dans les «écoles mosaïques» les élèves du secondaire d’âges différents reçoivent un enseignement individualisé, par groupes, dans une vaste salle.