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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°24, 20 juin 2011  >  «L’Europe, c’est la diversité» [Imprimer]

«L’Europe, c’est la diversité»

Coopération et coordination intergouvernementales entre des Etats souverains «sur un pied d’égalité»

par Friedrich Romig, Vienne

«Si l’Euro échoue, c’est l’Europe qui échouera!» assura la chancelière Angela Merkel à ses auditeurs lors du World Economic Forum fin janvier 2011 à Davos. Beaucoup de gens secouaient la tête. Comment cela? Est-ce que l’Europe est si faible que son existence dépend d’une monnaie artificielle chancelant d’une crise à l’autre? La Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Belgique – cela devient de plus en plus difficile et de plus en plus cher pour que ces Etats ultra déficitaires et endettés maintiennent la tête hors de l’eau. Quelques-unes des bouées de sauvetage lancées à ces Etats s’avérèrent de plomb, empêchant la poussée de croissance nécessaire. Merkel essaya d’aider les noyés par «le pacte de compétitivité». Mais ses collègues au Conseil des ministres de l’Union européenne ainsi que la plupart des députés du Parlement européen le regardèrent carrément comme absurde: baisser les salaires, interdire leur indexation. Freiner les dépenses de l’Etat, licencier des fonctionnaires, réduire les re­traites, augmenter l’âge de retraite. Restreindre la prévention des maladies tout en augmentant le prix, diminuer les allocations familiales – tout cela ne peut être enduré en politique. Pour beaucoup ce n’est pas une bonne idée d’encore enfoncé dans l’eau, par des contraventions, ceux qui sont en train de se noyer et qui ne se plient pas au «Diktat» d’un gouvernement économique. C’est pourquoi le seul résultat de l’idée du pacte fut du refus et de la haine envers la figure dominante allemande et ses partisans.
Sur la scène internationale, les représentants même de petits Etats ne prennent plus au sérieux les interventions de cabaret spectaculaire de Madame Merkel, Monsieur Schäuble et de Monsieur Westerwelle. On comprit qu’ils devaient apaiser – avant les nom­breuses élections régionales – leur peuple râlant contre les nouvelles charges et on passa à l’ordre du jour. Tout comme pour le premier pacte de stabilité de Messieurs Kohl et Waigel, on approuvera peut-être quelques points de leurs propositions et les confiera au papier. Personne n’attend leur réalisation. Qui est-ce qui veut boucher les soupapes de secours de la chaudière à vapeur sous haute pression qu’est l’union monétaire?
Donc on va les ouvrir. Bien camouflé par des figures de rhétorique sur la stabilité, dans les coulisses, entretemps, on donne du tonus à la machinerie pour la création illimitée de monnaie ou le «quantity easing» d’après le modèle américain. On est en train de changer la BCE (Banque centrale européenne), le MES (Mécanisme de stabilité européen), le FESF (Fonds européen de stabilité financière) en «Bad Banks» en accordant des crédits aux Etats en faillite contre la promesse de paiement, en achetant leurs reconnaissances de dettes et en repoussant, par la conversion des dettes, le remboursement des dettes de l’Etat à la saint-glinglin. Et comme les «Bad Banks» et les «Fonds de stabilité» n’offrent pas de garantie, les Etats Triple A tels que l’Allemagne, les Pays Bas ou l’Autriche doivent, dans une plus grande mesure encore, se porter garant pour les emprunts que le MES et le FESF ont contractés. Entretemps, les intérêts des marchés financiers pour des crédits à court terme ont augmenté de 50%, tandis que leur solvabilité semble diminuer. Un dicton allemand dit que «cautionner, c’est s’étrangler» (Bürgen tut würgen) et c’est ce qui se passe en ce moment. A cause des sommes gigantesques de monnaies vagabondes une sorte de guerre monétaire a éclaté. Et aussi y a-t-il les signes avant-coureurs de l’inflation – les immenses augmentations des prix de l’énergie, des matières premières et des aliments commencent à se faire remarquer.
Dans cette situation, un livre vient de sortir qui se démarque de façon bienfaisante du tapis patchwork par lequel des politiciens affolés veulent retarder l’échec de l’UE et de l’Euro pour sauver leur propre peau, coûte que coûte.
L’auteur du livre est Václav Klaus, actuellement président de la République tchèque, professeur d’économie nationale et multiple docteur honoris causa. Ancien collaborateur de la banque nationale de Tchécoslovaquie et en tant que ministre des Finances après la chute du mur de 1989, il s’y connaît très bien en questions monétaires. C’est rare parmi les hommes politiques qu’il y en ait d’une compétence pareille. Dans son livre intitulé «Europa?» (Augsburg 2011, ISBN 978-3-9396-4535-1) qui vient de paraître, on trouve une multitude de déclarations irréfutables sur l’évolution négative de l’UE, sur l’union monétaire et les tentatives désespérées de sauver l’Euro. En voilà quelques échantillons: Pour Vaclav Klaus, l’union monétaire «a depuis longtemps échoué» («Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 27/4/10). Comme projet économique, elle a «échoué» (p. 128) parce qu’elle n’a pas tenu ses promesses. Au lieu d’une accélération de la croissance il y a eu une diminution de moitié des taux de croissance. Les frais de la création et du maintien de l’union monétaire ont dépassé les béné­fices. Imposée sur le plan politique contre toute objection du côté économique, l’union monétaire n’a pas mené à l’intégration, mais à la séparation des pays. Les pays forts ont été affaiblis, alors que dans les pays faibles des bulles malsaines se sont formées qui, maintenant, explosent et mènent à un taux de chômage élevé. Actuellement, le projet motivé politiquement et non pas économiquement est poursuivi de façon irresponsable, «à un prix extrêmement élevé que les citoyens des pays de la zone Euro vont devoir payer» (p. 131) soit sous forme d’une décroissance de l’économie comparée au reste du monde, soit sous forme «d’une augmentation des volumes de transferts financiers qui doivent être versés aux pays ayant les plus grands problèmes économiques et financiers.» Et ce prix «va continuer à augmenter» (p. 132). «L’Euro est devenu un danger pour l’Europe».
Aussi, dans son entité, l’UE a échoué. La fraternisation chantée sous forme de l’hymne à la joie et à la liberté ne s’est pas réalisée. Elle ne se laisse «pas non plus organiser artificiellement» (p. 31). Aujourd’hui, par l’UE ne sont «pas seulement menacées la liberté et la démocratie mais aussi la prospérité». A Bruxelles, la démocratie «n’est pas réalisable» (p. 16): «Le personnage principal de l’UE, ce n’est pas le citoyen, mais le fonctionnaire.» (en lettres grasses dans l’original). Il vit «de davantage de planification, régulation, contrôle et coordination» (p. 25) et nuit ainsi à l’épanouissement économique et culturel des différents pays. La démocratie ne fonctionne «qu’au niveau d’Etats nationaux» (p. 33). Si les Etats nationaux sont affaiblis par l’enchaînement des mouvements vers une «ever-closer Europe», la démocratie disparaîtra. Le «soi-disant approfondissement» n’est «pas seulement inutile, mais politiquement dangereux et économiquement freinant» (p. 24). Par le passé, «l’Europe n’a jamais été une entité politique (et ne doit sans doute pas en devenir une)» (p. 31). Par «l’approfondissement» et «l’uniformisation» ou «unification», nous ne créerons pas d’«Etat Soleil» en Europe, mais bien plutôt le «‹Meilleur des mondes› de Huxley, un monde de Zamjatin, Orwell et d’autres penseurs de cette espèce» (p. 31). «Le Traité de Lisbonne est en contradiction avec le principe de la souveraineté de l’Etat tchèque» (p. 42) et «du peuple tchèque» (p. 43). «Le système actuel selon lequel les décisions sont prises dans l’UE est tout à fait différent de celui examiné par l’histoire et du système de la démocratie classique testé dans le passé» (p. 51). Au Parlement européen, il n’y a pas d’opposition parlementaire. «Nous avons fait l’expérience amère [dans le système communiste] que là où il n’y a pas d’opposition la liberté meurt» (p. 51). Mais également «un renforcement éventuel du Parlement européen» ne représenterait aucune «solution du déficit démocratique», étant donné qu’il appartient aux «malformations congéni­tales incorrigibles» de l’Union européenne (p. 64). Il n’existe pas de peuple européen ou de «demos européen». «La dissolution des frontières étatiques et la mutation de l’‹Europe des nations› en une ‹Europe des régions› repose sur la fausse idéologie du multiculturalisme». La tentative des élites politiques, de «renforcer et d’approfondir l’intégration de l’UE ne mène qu’à une augmentation du déficit démocratique et à un éloignement croissant du citoyen» (p. 66). En réalité, l’UE nuit à l’idée européenne (p. 64: Václav Klaus se réfère ici à des critiques éminents comme par exemple l’ancien président fédéral Roman Herzog, le député Peter Gauweiler, le juge à la cour constitutionelle Paul Kirchhof, tous déposants de recours constitutionnels auprès de la cour constitutionelle de Karlsruhe, ainsi qu’un poète et essayiste Hans Magnus Enzensberger). L’UE «ne tient pas compte des citoyens» (p. 65) comme l’ont montré les référendums sur la Constitution européenne ou sur l’introduction de l’Euro. C’est pourquoi l’on a évité, dans beaucoup d’Etats, si les circonstances le permettaient, de demander au peuple son avis.
Le résumé qu’en fait Václav Klaus est clair et fondé sur la logique de telle sorte que tout citoyen qui réfléchit doit y adhérer: le développement de l’Union européenne vers un état fédéral et une union monétaire et de transfert, promu encore à présent par une très grande partie de nos élites politiques, a échoué! C’était une «idée fausse». Ne pas le reconnaître «coûtera encore très cher». Plus vite que nous nous rendrons compte de l’échec et en tirerons les conséquences, plus grande sera la chance que nous puissions, en Europe, préserver la liberté, la souveraineté nationale, la démocratie, le bien-être et l’identité culturelle sous ses multiples formes d’expression. «L’Europe, c’est la diversité», elle puise sa force dans la multiplicité de ses peuples et de ses nations, et non pas dans un souci de nivellement, d’égalisation et d’uniformisation. D’après Klaus, nous n’avons pas besoin d’une gouvernance européenne ou «globale», mais d’une coopération et d’une coordination intergouvernementales d’Etats souverains «sur un pied d’égalité».
Le livre devrait absolument être lu par nos hommes politiques et si possible avant d’en arriver chez nous à des situations tunisiennes ou égyptiennes.    •
(Traduction Horizons et débats)