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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°26, 26 août 2013  >  Les Allemands commencent à débattre de leur souveraineté [Imprimer]

Le droit naturel a imprégné tout le développement du droit en Europe

par Wolfgang Waldstein

Après tout ce qui a pu être dit sur la question du droit naturel, il n’y a qu’un seul résultat: le droit naturel existe sans aucun doute. Il a été reconnu et mis en pratique par les êtres humains depuis la nuit des temps. Depuis le deuxième siècle av. J.-C. il a imprégné tout le développement juridique en Europe. De ces connaissances sont issus les «Livres de loi du droit naturel», le «Allgemeine preussische Landrecht» de 1794, le Code civil français de 1804, et le «Allgemeine Gesetzbuch» autrichien de 1811 (AGBG). Sur cette base, le AGBG peut dire encore aujourd’hui dans son paragraphe 16 «Tout homme a des droits innés compréhensibles par la seule raison.» D’où sort que la connaissance du droit naturel n’est pas une question de quelque théorie philosophique plus ou moins fiable, mais une réalité dans tout le développement de la culture juridique européenne. C’est uniquement sur la base du droit naturel qu’en 1948 la «Déclaration universelle des droits de l’homme» a pu être formulée dont le préambule, alinéa 1, dit: «Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.» En 1949, le peuple allemand s’est prononcé en faveur de ces droits dans l’article 1, alinéa 2 de la Loi fondamentale.

Source: Wolfgang Waldstein: «Ins Herz
geschrieben. Das Naturrecht als Fundament der menschlichen Gemeinschaft», 2010,
p. 157, ISBN 978-3-86744-137-7

Les Allemands commencent à débattre de leur souveraineté

par Karl Müller

En Allemagne, quelques semaines seulement avant les législatives, un débat public a commencé sur l’étendue de la souveraineté de ce pays. Il a été provoqué par des informations toujours renouvelées sur les enchevêtrements des autorités dans les activités d’écoute et de rassemblements de donnés par les services secrets des alliés occidentaux vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Pour le moment, on ne peut pas prévoir dans quelle direction cette discussion va s’orienter. Souhaitable, pour le pays et pour ses ressortissants, cette réflexion doit etre entamée sur la souveraineté des citoyens, sur la souveraineté du peuple – et sur ce qui relève du droit, à l’intérieur du pays et vis à vis les autres Etats et peuples du monde.

Dans le «Frankfurter Allgemeine Zeitung» du 5 août, Wolfgang Michal, l’ancien rédacteur du «Vorwärts», organe du SPD, a lié les implications des services secrets allemands avec le problème «de la souveraineté allemande toujours pas éclaircie». Il pose la question: «Est-ce que la loi fondamentale – malgré le Traité deux plus quatre entré en vigueur en 1991– n’est qu’une belle façade derrière laquelle se cache toujours un droit déplaisant de contrôle?» […] Wolfgang Lieb, porte-parole des années 1990 du gouvernement de Johannes Rau de la Rhénanie-Nord-Westphalie, a posé, il y a quelques jours, la question épineuse: «La Loi fondamentale n’est-elle qu’un magma malléable d’un quelquonque droit d’occupation? Vivons-nous dans l’état d’urgence sans le savoir? Est-ce conforme à la loi que le BND (Bundesnachrichtendienst = service de renseignements fédéral) aide un service étranger à violer nos droits fondamentaux? De telles questions sont écartées comme hystériques, folie paranoiaque ou alarmisme par des hommes politiques peu enclins à défendre la Loi fondamentale. Mais elles atteignent un public se trouvant hors du petit ‹Filter-Bubble› et elles mènent au centre du problème.»
De telles voix ne sont pas rares. Pendant les semaines passées, dans les médias de grand public, d’autres personnes ont posé des questions semblables, et parmi elles des hommes politiques du SPD. On est en campagne électorale et on se rappelle des premières années d’après-guerre quand l’ancien président du SPD, Kurt Schumacher, reprochait au chancelier du CDU d’alors, Konrad Adenauer, d’être le chancelier des alliés.

Depuis des décennies déjà, des violations du droit sur ordre des puissances vainqueures?

Mais également la recherche scientifique vient de reposer la question de la souveraineté allemande. Les dernières semaines, les thèses de l’historien fribourgeois, Josef Foschepoth, sont souvent mentionnées. Dans son livre intitulé «Überwachtes Deutschland» [l’Allemagne surveillée], paru déjà en 2012 et réédité en 2013 (ISBN 978-3-525-30041-1), il présente des documents déclassifiés dont ressort que les autorités ouest-allemandes, pendant la guerre froide, ont violé les droits des citoyens et n’ont pas seulement lu mais aussi détruit des millions de courriers venant de la RDA –pour protéger les Allemands de l’Ouest de la propagande communiste, comme on disait alors. Tout cela d’abord sur ordre des forces d’occupation occidentales, et après, en tant que pays formellement autonome en exécutant de son plein gré les ordres des forces d’occupation.
Grâce à ce livre et les débats consécutifs, on a su qu’il y avait en 2013 encore, des droits d’exceptions issus de traités secrets conclus avec les services secrets des forces d’occupations occidentales. On ne s’est pas mal étonnés en apprenant la semaine dernière, que le gouvernement allemand, venait de résilier seulement maintenant ces traités, conclus dans les années 1960, avec la Grande Bretagne, les Etats-Unis et la France. Pour quelles raisons ces révélations subites: pour désarmer d’éventuels critiques?

Les débats de la souveraineté en Suisse et en Allemagne

En Suisse aussi a lieu un débat sur la souveraineté qui se distingue pourtant beaucoup du débat allemand. La «Neue Zürcher Zeitung» a consacré une série d’articles plutôt ambigus à ce sujet. Pourtant, la recherche scientifique vient de publier un ouvrage de base dont la lecture est à conseiller. Il s’agit du travail de l’historien suisse, René Rocca. «Wenn die Volkssouveränität wirklich eine Wahrheit werden soll … Die schweizerische direkte Demokratie in Theorie und Praxis – Das Beispiel des Kantons Luzern» (ISBN 978-3-7255-6694-5).
Tandis qu’en Suisse, il s’agit de rappeler les débuts et les traditions de la démocratie directe, de rendre hommage à la souveraineté du peuple et de rendre accessible ses bases spirituelles et historiques aux contemporains, l’impression est toute autre en Allemagne. On y abuse du débat sur la souveraineté en inculquant aux citoyens que l’Allemagne n’est évidemment pas souveraine et qu’il ne faut surtout pas avoir le bon esprit de vivre la souveraineté citoyenne et de réaliser la souveraineté du peuple.
Cela vaut certainement pour des hommes politiques tels que le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, qui, le 18 novembre 2011, constatait, devant l’assemblée des banquiers du congrès des banques européennes, que «depuis le 8 mai 1945, l’Allemagne n’avait plus jamais joui de sa pleine souveraineté». Or, pour lui, il ne s’agissait pas de critiquer ce fait, mais de dire aux Allemands qu’ils devaient se contenter, dès lors pour l’avenir, de ne plus avoir leur mot à dire. Surtout au cas où il s’agit de la mainmise de l’Etat sur leurs revenus et leurs biens. Les Allemands ne doivent pas seulement renoncer à leur souveraineté mais aussi payer un prix élevé pour la «grande Europe» prévue.

Karl Albrecht Schachtschneider: Celui qui est souverain, est libre.

Karl Albrecht Schachtschneider, dans son livre, paru en 2012, «Die Souveränität Deutschlands. Souverän ist, wer frei ist» (ISBN 978-3-86445-043-3), nous a rapporté la citation de Wolfgang Schäuble, mentionnée ci-dessus. Dans la préface déjà, il le contredit: «La défense de la souveraineté des Etats nations contre l’hégémonie post-nationale est aujourd’hui la profession de ceux qui veulent préserver la liberté des citoyens en tant qu’êtres humains. La souveraineté, c’est la liberté. Elle ne peut trouver sa réalité que dans les Etats de droit, les démocraties et les Etats sociaux, dans des républiques donc. On tente d’abolir la souveraineté des peuples européens par l’intégration européenne et mondiale.»
Par son livre, le professeur Schachtschneider rend possible un tournant copernicien dans le débat allemand sur la souveraineté en clarifiant les choses. Ce débat peut prendre des traits suisses. La Suisse est d’ailleurs le pays que M. Schachtschneider estime être «le pays le plus démocratique du monde, si ce n’est le seul pays vraiment démocratique».

La dignité de l’homme exige des citoyens souverains et la démocratie directe

Le Tribunal constitutionnel fédéral allemand intervient dans ce débat en définissant la souveraineté en partant du citoyen et de ses droits et non pas de la définition des anciennes puissances vainqueures. Dans sa sentence du 7 septembre 2011 elle déclare littéralement: «La prétention au partage libre et égal du pouvoir public est ancré dans la dignité de l’homme.» Schachtschneider y ajoute, ayant en vue les demandes de démocratie directe, d’initiatives populaires et de référendums: «Le Tribunal constitutionnel considère non seulement les élections, mais aussi les votations comme élément fondamental du principe démocratique dont les citoyens sont actuellement privés sur le plan fédéral, en contradiction de l’art. 20, al. 2 de la Loi fondamentale. La liberté des citoyens, la dignité de l’homme, la souveraineté du peuple sont ainsi violés.»
Schachtschneider caractérise ainsi l’actuelle situation politique de l’Allemagne qui est à la base de cette violation: «L’Etat des citoyens a été repris par une bande de voleurs. Le devoir des députés et du parlement est de reconnaître quelle politique est la bonne pour la bonne vie du peuple, sur la base de la vérité; donc de reconnaître dans chaque situation quel est le droit en vigueur et non pas de dominer le peuple et même de l’opprimer de plus en plus par tous les moyens de la domination moderne: les médias et les services de renseignements pour atteindre essentiellement un seul but: la dissolution de l’Allemagne en tant qu’Etat souverain de citoyens libres et l’intégration des Allemands dans les Etats unis d’Europe, démunis de citoyens. Un grand Etat dans lequel il serait facile, pour la classe politique, de dominer la population, étant donné que celle-ci, réduite à l’état de purs travailleurs et consommateurs, ne peut plus vivre l’éthique citoyenne, si elle ne l’aura pas tout à fait oublié, davantage oublié qu’à l’heure actuelle de l’Etat-nation.»

Prendre conscience de sa souveraineté et agir en tant que citoyen souverain

La souveraineté du citoyen fait partie des droits naturels de l’homme et elle est équivalente à l’éthique citoyenne. S’il est vrai que «l’Etat des citoyens a été repris par une bande de voleurs» c’est alors que le droit naturel accorde au citoyen un droit de résistance. René Rocca justifie cela d’un point de vue à la fois historique et constitutionnel.
Droit de résistance ne veut pas dire prendre les armes et faire recours à la violence. On connaît suffisamment de telles périodes sanglantes et insensées dans le passé et au présent. Droit de résistance, aujourd’hui, veut plutôt dire qu’on se rend compte de sa souveraineté et qu’on agit en citoyen souverain. Sans violer le droit, il faut œuvrer jusqu’à ce que le droit devienne loi et réalité. Karl Albrecht Schachtschneider écrit: «Ce qui n’est donc pas la volonté du peuple, viole le peuple dans sa souveraineté, dans sa liberté. […] Chaque politiqe ne respectant pas le principe démocratique de la formation de la volonté politique, viole la souveraineté du peuple.»

Comment est-ce que les Allemands veulent-ils se positionner dans le monde actuel?

Pour l’Allemagne, on souhaiterait un débat sur la souveraineté sur de telles bases. Ceci d’autant plus qu’il ne s’agit pas seulement de la souveraineté intérieure mais aussi extérieure. Comment les Allemands veulent-ils se positionner dans le monde actuel? Comme un pays qui prend au sérieux sa constitution, la Loi fondamentale, en s’abstenant de toutes agressions guerrières et de toutes menaces envers d’autres Etats, respectant ainsi le droit international et la Charte des Nations Unis? Ou bien continuera-elle à se comporter comme vassal, servil et enclin à la guerre, de la grande puissance américaine? Ou bien poursuivra-t-elle ses propres ambitions aggressives de grande puissance en Europe et dans le monde? Est-ce qu’il faut resserrer les anciennes alliances ou en conclure de nouvelles? Ou est-ce que, dans l’avenir, les Allemands veulent-ils s’abstenir de toutes alliances à but impérialiste et s’engager dans la voie de la neutralité?
L’histoire allemande, peut-elle se répéter tragiquement? Certains prétendent: Un faux débat sur la souveraineté orienté vers une politique de puissance, plus la volonté de certains cercles anglo-saxons pourraient mener l’Allemagne sur une pente dangereuse semblable à la situation avant la Grande Guerre. L’Allemagne pourrait, pour la troisième fois en cent ans, se retrouver du «mauvais» côté du front prévu. L’affirmation de ces milieux anglo-saxons: On ne peut pas compter sur l’Allemagne, elle est ambigüe, elle aspire toujours à un arrangement avec «l’ennemi», par exemple avec la Russie ..., de nouveau un concurrent économique trop fort. L’Allemagne serait toujours une puissance continentale avec des liens trop forts vers l’est. «L’intégration» dans «l’ouest» ne serait pas vraiment réussie. En Allemagne, il y a en effet un ministre des Affaires étrangères en fonction, à parler, il y a quelques années, «d’une fonction charnière» de l’Allemagne entre l’Ouest et l’Est.
Des puissances ayant des buts impérialistes n’ont pas d’amis dans le monde, elles n’ont même pas de patrie. Elles poursuivent leurs intérêts sans scrupules et cherchent des «coalitions de bonnes volontés». Est-ce qu’on y réfléchit déjà en Allemagne? Cela aussi relève du devoir de citoyens souverains.     •

*    Le Traité deux-plus-quatre du 12 septembre 1990 règle entre autres les relations de la République fédérale d’Allemagne (après l’adhésion de la RDA au domaine d’application de la Loi fondamentale) avec les quatre puissances vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. L’article 7 du contrat stipule:
«(1) Les Etats-Unis d’Amérique, la République française, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et l’Union des Républiques socialistes soviétiques mettent fin par le présent Traité à leurs droits et responsabilités relatifs à Berlin et à l’Allemagne dans son ensemble. En conséquence, il est mis fin aux accords, décisions et pratiques quadripartites correspondants, qui s’y rattachent, et toutes les institutions des Quatre Puissances y afférentes sont dissoutes.
(2) L’Allemagne unie jouira, en conséquence, de la pleine souveraineté sur ses affaires intérieures et extérieures.»

L’initiative populaire «Pour la sortie du MES» met en pratique la souveraineté des citoyens fondée sur le droit naturel

km. Depuis six mois déjà, des citoyens recueillent, dans le pays entier, des signatures pour l’initiative populaire allemande «Pour une sortie du MES» (www.volksinitiative-esm-austritt.de) revendiquant une loi sur la sortie du MES. Après avoir atteint 400 000 signatures, ce projet de loi devra être présentée au Bundestag allemand.
Cette initiative populaire est un exemple qui montre, qu’en Allemagne également, les citoyens commencent à prendre au sérieux et à revendiquer leur droit de souveraineté fondé sur le droit naturel. L’initiative se réfère à l’art. 20, al. 2 de la Loi fondamentale selon lequel tout le pouvoir étatique émane du peuple et peut être exercé par celui-ci également dans des votations. La démocratie directe, rattachée directement aux choses à régler (sachunmittelbar), est garantie sur le plan du droit constitutionnel et elle est l’expression la plus immédiate de la souveraineté du peuple. Les tentatives de priver le peuple de ces droits relèvent de l’injustice.
Selon l’initiative populaire le «Traité instituant le Mécanisme européen de stabilité» (MES), en vigueur depuis septembre 2012, représente non seulement la fausse voie pour résoudre la crise toujours virulente de l’euro, mais aussi une attaque fondamentale contre la souveraineté des citoyens et du peuple. Pour cette raison la réponse de l’initiative populaire allemande à ces attaques est: Sapere aude! Aie le courage de te servir de ta souveraineté!