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18 juillet 2016
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Horizons et debats  >  archives  >  2011  >  N°40, 10 octobre 2011  >  «Cependant nous pourrons regarder nos enfants dans les yeux avec bonne conscience» [Imprimer]

«Cependant nous pourrons regarder nos enfants dans les yeux avec bonne conscience»

Pourquoi la Slovaquie veut refuser le FESF1

par Richard Sulík, président du Parlement slovaque

hd. Richard Sulík, le président du Parlement slovaque, nous fournit un exemple de «ce qui finalement est important pour un politicien», comme le pape Benoît XVI l’a rappelé avec insistance dans son discours devant le Bundestag allemand (cf. p. 4 de cette édition). «Son critère ultime et la raison de son travail comme politicien ne doivent pas être le succès […]. La politique doit être faite d’efforts pour la justice, qui créent ainsi la condition essentielle de la paix». « Richard Sulík remplit cette exigence comme politicien honnête et droit. Son premier et plus important but est de satisfaire à son mandat de représentant du peuple: «Une brève réflexion concernant notre mandat suffit pour savoir sans aucun doute qu’il n’y a que la deuxième alternative qui entre en considération» (c’est-à-dire, dire Non à l’élargissement du plan de sauvetage et d’économiser à long terme 3,3 milliards d’euros au contribuable slovaque). Avec sa prise de position courageuse il prend le risque que la centrale de Bruxelles ne soit pas contente de son pays. «Cependant nous pourrons regarder nos enfants dans les yeux avec bonne conscience.» Il démontre ainsi de façon impressionnante ce qu’Anita Schächter appelle «le courage citoyen» (cf. p. 6).

Je m’appelle Richard Sulík et depuis le mois de juillet 2010 je suis le président du Parlement slovaque (predseda Národnej rady SR). Ma nomination a été précédée des élections législatives de juin 2010 qui furent couronnées de succès (12,14%) pour le parti SaS (Sloboda a Solidarita – liberté et solidarité, fondé en mars 2009), et dont je suis le président. A part ça, le SaS forme une coalition à quatre et fournit les ministres pour les affaires sociales, l’économie, la défense et la culture.
Lors de la campagne électorale (au printemps 2010) déjà, nous avons refusé une première aide à la Grèce et nous n’étions pas le seul parti à choisir cette prise de position. Notre argument principal consistait à dire que cette aide ne profite pas aux Grecs eux-mêmes, mais aux banques (qui durant des années ont gagné plus que convenablement en intérêts élevés), et que la Grèce devait se déclarer en cessation de paiements, afin qu’on arrive à une vraie remise de dette. Au Parlement slovaque, nous avons réussi à arrêter la première aide à la Grèce, ce qui nous a permis d’économiser au contribuable 800 millions d’euros.
En même temps, nous avons voté pour un plan de sauvetage (FESF) à durée limitée pour les raisons suivantes:
1.    L’aide financière étatique est limitée à trois ans et il n’y aura pas d’aide financière étatique de longue durée.
2.    On n’accorde un crédit qu’à un pays «dont les dates d’échéance garantissent que l’endettement est supportable».
3.    On ne sauve que des pays (pas des banques).
Comme nous savons aujourd’hui, rien de tout cela n’est vrai, et personnellement je regrette que nous ayons été si crédules alors. Ce n’est évidemment pas la seule raison pour laquelle le SaS votera contre l’élargissement du FESF.

Les raisons générales

Le FESF essaie de résoudre la crise de la dette avec de nouvelles dettes. C’est comme si on essayait d’éteindre un feu avec un ventilateur ou de l’essence, et c’est la raison pour laquelle le FESF est une solution substantiellement contreproductive.
Le FESF à durée limitée a une capacité de 250 milliards d’euros, dont on a dépensé 71 milliards d’euros pour l’Irlande et le Portugal; il y a donc momentanément 179 milliards à disposition. Cela suffit pour des petits pays qui entrent en considération comme Chypre, Malte, la Belgique et la Slovénie. Pour des grands pays comme l’Espagne et l’Italie, même la somme du FESF augmentée à 440 milliards d’euros ne suffit pas. La question est donc: à quoi les 190 milliards d’euros (augmentation de 250 à 440 milliards) seront-ils utilisés?
Comme on peut lire dans la presse, les banques européennes, selon une analyse du Fonds monétaire international (FMI), ont besoin d’environ 200 milliards d’euros, donc très exactement la somme à laquelle la capacité du FESF est supposée être augmentée. Pour l’instant, le FESF ne doit toutefois pas sauver des banques, mais cela doit justement être rendu possible par un élargissement massif des compétences. En Slovaquie, avant le 21 juillet, il n’y avait ni informations ni surtout discussions concernant cet élargissement des compétences. Ajoutons qu’il y a douze ans, les banques slovaques durent être sauvées, ce qui a coûté au budget slovaque 8% du produit intérieur brut (PIB), et que personne ne nous a aidés (ce qui était aussi juste).
Il est aussi prévu que le FESF élargi puisse acheter des emprunts d’Etat, par exemple d’Italie. Comme la Banque centrale européenne (BCE) l’a déjà fait, en contradiction flagrante avec ses principes. Après ça, il n’est pas étonnant que les marchés deviennent nerveux et n’aient plus confiance, si l’on rompt n’importe quelle règle et que les politiciens ne disent pas la vérité.
Mais revenons à l’Italie. La BCE a donc acheté les emprunts d’Etat parce que les intérêts avaient grimpé à près de 6%. Ce serait donc là une raison? L’Italie enregistre le deuxième déficit le plus élevé de la zone euro (120% du PIB) et en même temps les troisièmes réserves d’or les plus élevés dans le monde (2500 tonnes). Si en Italie quelqu’un estime que les intérêts des nouveaux emprunts d’Etat sont trop élevés, alors il faut vendre l’or. Et quelques entreprises d’Etat en plus. Et avant tout, le pays doit commencer à économiser. Mais au lieu de cela, la BCE achète les emprunts d’Etat pour maintenir les intérêts bas et pour permettre un nouvel endettement de l’Italie. C’est exactement ça, le jeu de hasard moral […]. L’ironie, c’est que les gens qui sont responsables de ce hasard moral, se plaignent en même temps de la perte de confiance.

Les raisons particulières

Quelques mots encore concernant la Slovaquie. Comptant 5,5 millions d’habitants disposant de 65 milliards d’euros de PIB, nous sommes un petit pays. Avec moins de 800 euros de salaire moyen et moins de 400 euros de pension mensuelle en moyenne, nous sommes aussi un pays pauvre. Jusqu’à ce jour, il n’y a par exemple pas de liaison par autoroute entre les deux plus grandes villes de Bratislava (la capitale) et de Košice.
De l’autre côté, la Slovaquie devrait payer 7,7 milliards d’euros, soit 11,73% de son PIB, alors que l’Allemagne avec 211 milliards d’euros ne doit payer que 8,45% du PIB allemand, sans parler du Luxembourg, qui avec 1,9 milliards d’euros ne doit payer que 4,83% du PIB luxembourgeois.
Exprimées par rapport aux revenus mensuels moyens, les garanties sont encore plus injustes. En Allemagne, chaque habitant ne répond que de 0,8 fois du salaire mensuel moyen allemand, alors qu’en Slovaquie, la garantie s’élève à 1,87 fois du montant slovaque. On ne peut simplement pas expliquer cela à nos citoyens.
Non seulement nous avons une mauvaise infrastructure et les salaires les plus bas, mais nous devons encore fournir les garanties les plus élevées (comparées au revenu moyen), pour que la Grèce puisse payer à ses retraités quatre fois plus que la pension versée aux Slovaques, que l’Irlande puisse maintenir son impôt sur le revenu de 12,5% et que l’Italie puisse verser à ses députés 15 000 euros par mois. Dans ce contexte, parler de solidarité (de solidarité de la Slovaquie avec une Italie considérablement plus riche), c’est simplement pervers.
Nous devrions expliquer à nos citoyens que potentiellement (dans le cas d’un paiement irrévocable et sans conditions des garanties), ils devront donc par exemple payer une taxe à la valeur ajoutée plus élevée, pour que l’Italie ou la Grèce puissent continuer à disposer d’un niveau de vie bien plus élevé que la Slovaquie. Cela marcherait peut-être, seulement je n’ai pas été élu pour ça. Si les politiciens allemands croient qu’ils doivent absolument envoyer 211 milliards d’euros d’argent du contribuable, ou peut-être le double, n’importe où dans la nature, qu’ils le fassent. Pour cet argent, nous préférons terminer enfin la construction de l’autoroute à Košice.
Nous avons exposé toutes nos raisons de refuser le FESF dans une petite brochure, qui existe aussi en allemand. C’est pourquoi je ne veux pas entrer dans les détails et je veux juste encore mentionner un argument.
On nous reproche que si le FESF est refusé, nous bloquons toute la zone euro. C’est possible, mais ce n’est pas de notre faute. Si pour la fondation du FESF 90% du capital de vote a suffit, il en faut 100% pour son élargissement. Aucune idée, qui a inventé ça, mais ce n’est pas correct de faire ainsi pression. Même si rien que 90% suffisaient pour l’élargissement, la Slovaquie ne bloquerait personne. Mais à présent nous avons été mis sans raison devant la décision, soit de bloquer d’autres pays (qui ne peuvent apparemment à peine attendre de faire de nouvelles dettes pour résoudre la crise de la dette), ou d’économiser à longue échéance 3,3 milliards d’euros pour le contribuable slovaque. Une pensée brève pour notre mandat suffit pour savoir sans aucun doute, qu’uniquement la deuxième alternative entre en ligne de compte. On ne nous en félicitera probablement pas à Bruxelles. Cependant nous pourrons regarder nos enfants dans les yeux avec bonne conscience.    •

(Traduction Horizons et débats)

1 Fonds européen de stabilité finançière