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Horizons et debats  >  archives  >  2013  >  N°34, 11 novembre 2013  >  «Aujourd’hui, plus que jamais, je pense qu’il est nécessaire que nous soyons éduqués à la solidarité» [Imprimer]

«Aujourd’hui, plus que jamais, je pense qu’il est nécessaire que nous soyons éduqués à la solidarité»

Message du Pape François à l’attention de Monsieur José Graziano da Silva, directeur de la FAO*

La Journée mondiale de l’alimentation nous met face à l’un des défis les plus sérieux pour l’humanité: celui des conditions de vie tragique dans lesquelles se trouvent des milliers de personnes affamées ou souffrant de malnutrition parmi lesquelles, de très nombreux enfants. Cette journée assume un fait d’une gravité majeure, dans notre époque caracté­risée par un progrès sans précédent dans divers domaines de la science et par des possibilités de communication croissantes.
C’est un scandale que puissent exister encore la faim et la sous-alimentation dans le monde! Il ne s’agit pas seulement de répondre à des urgences immédiates mais d’affronter ensemble, à tous les niveaux, un problème qui interpelle notre conscience personnelle et sociale pour atteindre une solution juste et durable. Personne ne devrait être contraint de quitter sa propre terre ni son propre contexte culturel à cause d’un manque de moyens essentiels à sa subsistance!
Paradoxalement, à une époque où la globalisation permet de connaître les situations des besoins dans le monde, de multiplier les échanges et les rapports humains, il semble que la tendance à l’individualisme et au repli sur soi-même augmente, engendrant un certain comportement d’indifférence – au niveau personnel, des institutions et de l’Etat – envers celui qui meurt de faim ou souffre de dénutrition comme si cela était un fait inéluctable.
Mais la faim et la malnutrition ne peuvent jamais être considérées comme une situation normale à laquelle il faudrait s’habituer comme faisant partie du système. Il faut que quelque chose change en nous-mêmes, dans notre mentalité, dans nos sociétés.
Que pouvons nous faire? Je pense qu’une étape importante serait de prendre la décision d’abattre les barrières de l’individualisme, du repli sur soi-même, de l’esclavage au profit à tout prix et ceci non seulement dans les dynamiques des relations humaines mais aussi dans les dynamiques économiques et financières globales. Aujourd’hui, plus que jamais, je pense qu’il est nécessaire que nous soyons éduqués à la solidarité, à redécouvrir la valeur et la signification de cette parole aussi dérangeante et souvent mise à l’écart et faire en sorte qu’elle devienne une attitude fondamentale dans les choix au niveau politique, économique et financier, dans les rapports entre les personnes, entre les peuples et entre les nations. C’est seulement, si nous sommes solidaires de façon concrète en dépassant les visions égoïstes et les partis pris que l’objectif d’éliminer les formes d’indigence déterminées par le manque de nourriture pourra finalement être également atteint. Une solidarité qui ne se réduit pas aux différentes formes d’assistance mais qui œuvre pour assurer à un nombre toujours plus grand de personnes les moyens d’une indépendance économique. Beaucoup d’efforts ont été entrepris dans plusieurs pays mais nous sommes encore loin d’un monde où chacun peut vivre dans la dignité.
Le thème choisi par la FAO pour la célébration de cette année est intitulé «Systèmes alimentaires durables au service de la sécurité alimentaire et de la nutrition». Il me semble y lire une invitation à repenser et à rénover nos systèmes alimentaires, dans une perspective solidaire, en dépassant la logique d’exploitation sauvage de la création et en orientant au mieux notre engagement de cultiver et de protéger l’environnement et ses ressources afin de garantir la sécurité alimentaire et de se mettre en route vers une nutrition suffisante et saine pour tous.
Ceci comporte une sérieuse remise en question sur la nécessité de modifier concrètement nos styles de vie y compris alimentaires qui dans tant de zones de la planète sont marquées par le consumérisme, le gaspillage et le gâchis d’aliments.
Les informations fournies à ce sujet par la FAO indiquent qu’environ un tiers de la production mondiale alimentaire est indisponible à cause des pertes et des gaspillages toujours plus vastes. Il suffirait de les éliminer pour réduire de façon drastique le nombre d’affamés. Nos parents nous enseignaient la valeur de ce que nous recevons et de ce que nous avons comme étant un don précieux de Dieu.
Mais le gaspillage d’aliments est seulement un des fruits de cette «culture du rebut» menant souvent au sacrifice d’hommes et de femmes aux idoles du profit et de la société de consommation; un triste signe de cette «globalisation de l’indifférence» qui nous habitue lentement à la souffrance de l’autre comme si cela était normal. Le défi de la faim et de la sous-alimentation n’a pas uniquement une dimension économique ou scientifique concernant les aspects quantitatifs et qualitatifs de la filière alimentaire mais a aussi une dimension éthique et anthropologique. Nous éduquer à la solidarité signifie nous éduquer à l’humanité: édifier une société qui soit véritablement humaine veut dire mettre toujours au centre la personne et sa dignité sans jamais la vendre à la logique du «profit».
L’être humain et sa dignité sont «des piliers pour l’édification de règles partagées et structurées, dépassant le pragmatisme ou la seule dimension technique et qui soient capables d’éliminer les divisions et de combler les décalages existants». (cf. discours aux participants de la 38e session de la FAO, 20 juin 2013).
Nous sommes, maintenant à la veille de l’Année internationale qui, selon l’initiative de la FAO, sera dédiée à la famille rurale. Cet événement me donne l’opportunité de proposer un troisième élément de réflexion: l’éducation à la solidarité et à un style de vie qui dépasse «la culture du rebut» et met réellement au centre la personne ainsi que sa dignité comme faisant partie de la famille. De cette première communauté éducative nous apprenons à prendre soin de l’autre, du bien de l’autre, à aimer l’harmonie de la création et à profiter et partager ses fruits en favorisant une consommation raisonnable, équilibrée et de développement durable.
Soutenir et protéger la famille afin d’éduquer à la solidarité et au respect est une étape importante pour se mettre en route vers une société plus équitable et humaine.
L’Eglise catholique parcourt ces chemins avec vous, consciente que la charité et l’amour sont l’âme de sa mission.
Que la célébration d’aujourd’hui ne soit pas seulement une commémoration annuelle mais une véritable occasion de nous stimuler nous-mêmes et de stimuler les institutions à œuvrer selon une culture de rencontre et de solidarité pour donner des réponses adéquates au problème de la faim et de la sous alimentation ainsi qu’aux autres problématiques concernant la dignité de chaque être humain.
En vous exprimant, Monsieur le Président directeur général, mon souhait le plus cordial pour que le travail de la FAO soit toujours plus efficace, j’invoque sur vous et sur tous ceux qui collaborent à cette mission fondamentale, la Bénédiction du Dieu tout-puissant.

Vatican, le 16 octobre 2013

(Original en espagnol, traduction de la version italienne par Horizons et débats)

*     Ce message a été présenté par le délégué à l’alimentation mondiale du Vatican, l’archevêque Luigi Travaglino, lors des festivités de la FAO à l’occasion de la Journée mondiale de l’Alimentation.